Force est de constater que les réseaux sociaux et internet pullulent de « Gourou 2.0 », tous plus imaginatifs les uns que les autres pour extorquer de l’argent, des héritages à leurs victimes ou encore assouvir leurs désirs sexuels.
Si dans l’inconscient collectif, les groupements sectaires sont liés à des croyances religieuses ou spirituelles, le phénomène de dérives sectaires se retrouve également dans les domaines du bien-être, du sport, du coaching et de la santé.
En 2021, la MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) a fait état d’une hausse significative des saisines (+86% par rapport à 2015) dont ¼ concerne uniquement le domaine de la santé. La crise de covid-19 a accentué cette incursion dans le milieu de la santé avec les multiples théories du complot mises en exergue.
Après de vifs débats parlementaires et un examen devant le Conseil constitutionnel lequel par décision n°2024-865 DC en date du 7 mai 2024 a déclaré le texte partiellement conforme à la Constitution, la loi a été publiée et se décompose en 17 articles.
Il convient d’en étudier les plus importants.
Tout d’abord, nous pouvons noter la création d’un nouveau délit autonome de placement ou de maintien en état de sujétion psychologique ou physique.
I. La création d’un nouveau délit de placement ou de maintien en état de sujétion psychologique ou physique (article 3).
L’article 223-15-3 du Code pénal, dans sa version modifiée par la loi en date du 10 mai 2024 - article 3, dispose en son I que : « I.-Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende le fait de placer ou de maintenir une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement et ayant pour effet de causer une altération grave de sa santé physique ou mentale ou de conduire cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.
Est puni des mêmes peines le fait d’abuser frauduleusement de l’état de sujétion psychologique ou physique d’une personne résultant de l’exercice des pressions ou des techniques mentionnées au premier alinéa du présent I pour la conduire à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ».
Auparavant, il existait uniquement l’article 223-15-2 du Code pénal relatif au délit « d’abus de faiblesse par sujétion psychologique », introduit dans ledit code par la loi About-Picard en 2001.
Or, cet article concernait l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse d’une personne soit mineure, soit vulnérable, « soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ».
La nouvelle loi a le mérite d’avoir créé un 1ᵉʳ alinéa spécifiquement réservé aux personnes placées ou maintenues en état de sujétion psychologique en ajoutant la précision selon laquelle cet assujettissement a « pour effet de causer une altération grave de sa santé physique ou mentale ou de conduire cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ».
En effet, dans certains dossiers, il était parfois difficile de démontrer un acte ou une abstention gravement préjudiciable de sorte que viser désormais expressément « une altération grave de sa santé physique ou mentale » est, à mon sens, une avancée.
Le second alinéa reprend les termes de l’ancien article 223-15-2 du Code pénal, à savoir l’abus frauduleux de l’état de sujétion psychologique.
Le Conseil constitutionnel a validé la conformité de cet article à la Constitution en précisant que :
« le législateur a entendu incriminer le seul fait de placer ou de maintenir une personne en état de sujétion psychologique ou physique, dès lors qu’il en résulte pour elle des conséquences gravement préjudiciables. Il a ainsi entendu assurer la sauvegarde de la dignité de la personne humaine et poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de la santé, de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions » [1].
L’objectif de la loi est donc de faciliter et de renforcer les poursuites pénales à l’encontre des auteurs de dérives sectaires.
Par ailleurs, cette loi vise de nouvelles circonstances aggravantes.
II. La création de nouvelles circonstances aggravantes (articles 5, 6 et 9).
Il est prévu des circonstances aggravantes :
- Liées à l’état de sujétion psychologique ou physique (article 5) : l’article 223-15-3 du Code pénal prévoit en son II, 3° que les peines sont plus lourdes « Lorsque l’infraction est commise par le dirigeant de fait ou de droit d’un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités ». Cela concerne les cas de meurtre, actes de torture et de barbarie ainsi que les violences et l’escroquerie.
- Liées aux thérapies de conversion (article 6) : sont visées ici les « thérapies de guérisons » proposées dans les groupements sectaires aux fins d’éradiquer notamment l’homosexualité.
L’article 225-4-13 du Code pénal dispose que « Les pratiques, les comportements ou les propos répétés visant à modifier ou à réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, vraie ou supposée, d’une personne et ayant pour effet une altération de sa santé physique ou mentale sont (…) punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsqu’ils sont commis :
3° bis Sur une personne dont l’état de sujétion psychologique ou physique, au sens de l’article 223-15-3, est connu de leur auteur ;
6° Par le dirigeant de fait ou de droit d’un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités.
Lorsque les faits mentionnés au premier alinéa du présent article sont commis en bande organisée par les membres d’un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités, ils sont punis de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende (…) ».
- Liées à l’utilisation de support numérique (article 9) : les articles 223-15-2 et 223-15-3 du Code pénal prévoient une peine plus lourde « lorsque l’infraction est commise par l’utilisation d’un service de communication au public ou en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique ». Ceci permet d’étendre la lutte contre les dérives sectaires au monde numérique ce qui n’est pas superflu, internet et les réseaux sociaux étant inondés de théories du complot, de « Gourou 2.0 ».
Outre le versant répressif de la loi, l’objet de ladite loi est également de renforcer l’accompagnement des victimes de dérives sectaires.
III. Le renforcement de la protection des mineurs victimes de dérives sectaires et de l’accompagnement des victimes (article 7 et 10).
L’article 7 a donc inséré les articles 223-15-2 et 223-15-3 du Code pénal au deuxième alinéa de l’article 8 du Code de procédure pénale de sorte que les délits d’abus de faiblesse et de sujétion psychologique et physique, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, se prescrivent par 10 ans (et non plus par 6 ans), à compter la majorité de ces derniers.
L’Assemblée Générale du Conseil National des Barreaux a adopté le 2 février 2024 une résolution en réponse au projet de loi et a invité le législateur
« à une réflexion globale des prescriptions pour les délits concernant les mineurs afin de simplifier et clarifier les régimes d’exception dans un souci d’intelligibilité et de prévisibilité de la loi pénale ».
Même si je partage cette position, il convient de souligner que cet allongement de la durée de la prescription est bienvenu puisque nombre de parents participant à des mouvements sectaires impliquent leurs enfants dès le plus jeune âge. Il est donc nécessaire que ces futurs adultes puissent faire valoir leurs droits le plus longtemps possible.
La loi a, en outre, élargi les catégories d’associations pouvant intervenir en matière de dérives sectaires comme partie civile (article 10).
Or, l’article 2-6 du Code de procédure pénale dispose que :
« Par dérogation au troisième alinéa du présent article, lorsque les faits prévus à l’article 225-4-13 du code pénal sont commis au préjudice d’une personne dont l’état de sujétion psychologique ou physique, au sens de l’article 223-15-3 du même code, est connu de leur auteur, l’accord de la victime ou, le cas échéant, de son représentant légal n’est pas exigé ».
Dès lors, en cas de délit de conversion visant à modifier ou réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, l’association peut intervenir en qualité de partie civile, sans l’accord de la victime ou de son représentant légal. Ceci permet de protéger des victimes malgré elles et d’autres victimes.
Par ailleurs, le Conseil National des Barreaux a exprimé des inquiétudes concernant l’assouplissement des règles de constitution de partie civile des associations
« qui sont déjà très nombreuses à pouvoir saisir les juridictions pénales, afin d’éviter que celles-ci ne puissent se substituer au ministère public qui doit rester seul dépositaire des prérogatives générales de poursuites pénales ».
Une autre avancée de la loi est la création des délits de provocation à l’abandon et à l’abstention.
IV. La création des délits de provocation à l’abandon et à l’abstention (article 12).
L’article 223-1-2 du Code pénal, dans sa version modifiée par loi du 10 mai 2024 -article 12, dispose, en ses deux premiers alinéas, que :
« Est punie d’un an d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende la provocation, au moyen de pressions ou de manœuvres réitérées, de toute personne atteinte d’une pathologie à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical thérapeutique ou prophylactique, lorsque cet abandon ou cette abstention est présenté comme bénéfique pour la santé de la personne concernée alors qu’il est, en l’état des connaissances médicales, manifestement susceptible d’entraîner pour elle, compte tenu de la pathologie dont elle est atteinte, des conséquences particulièrement graves pour sa santé physique ou psychique.
Est punie des mêmes peines la provocation à adopter des pratiques présentées comme ayant une finalité thérapeutique ou prophylactique alors qu’il est manifeste, en l’état des connaissances médicales, que ces pratiques exposent à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente (…) ».
Après de vifs débats parlementaires sur cet article 12 initialement article 4, il a été précisé à l’alinéa 4 que :
« Lorsque les circonstances dans lesquelles a été commise la provocation définie au premier alinéa permettent d’établir la volonté libre et éclairée de la personne, eu égard notamment à la délivrance d’une information claire et complète quant aux conséquences pour la santé, les délits prévus au présent article ne sont pas constitués, sauf s’il est établi que la personne était placée ou maintenue dans un état de sujétion psychologique ou physique, au sens de l’article 223-15-3 ».
Cette précision peut paraître a priori redondante mais a pour objet de tenter de concilier la liberté d’expression et la liberté de choisir ou de refuser un soin.
Cet article vise à combattre les gourous ou manipulateurs lesquels revendiquent être des thérapeutes et/ou avoir des compétences médicales et/ou paramédicales et qui proposent notamment sur internet et les réseaux sociaux des faux traitements, des traitements substitutifs à base de fruits et légumes, ou encore de pratiquer un jeûne pendant plusieurs jours pour bénéficier d’une guérison miraculeuse.
La création de ces nouveaux délits est donc une avancée mais encore faudra-t-il en réunir toutes les conditions comme l’a justement souligné le Conseil Constitutionnel.
En effet, le Conseil Constitutionnel a validé la conformité de cet article à la Constitution mais a cependant émis une réserve d’interprétation en précisant notamment que :
« il résulte des termes mêmes des dispositions contestées que la provocation doit être adressée à toute personne atteinte d’une pathologie. Dès lors, la seule diffusion à destination d’un public indéterminé d’informations tendant à l’abandon ou à l’abstention d’un traitement médical ne peut être regardée comme constitutive de pressions ou de manœuvres au sens des dispositions contestées. Ces dispositions ne peuvent donc permettre que la répression d’actes ayant pour but d’amener une personne ou un groupe de personnes visées à raison de la pathologie dont elles sont atteintes à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical » [2].
Par ailleurs, Les Sages ont souligné qu’en instituant ces nouveaux délits
« le législateur a entendu lutter contre la promotion des comportements ou des pratiques présentés comme thérapeutiques ou prophylactiques alors qu’ils sont susceptibles de mettre en danger la santé des personnes. Ce faisant, il a poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de la santé, de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions (…). Par conséquent, pour ces motifs et ceux énoncés aux paragraphes 16 à 19, 21 et 22, l’atteinte portée à la liberté d’expression et de communication par les dispositions contestées est nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi ».
Néanmoins, il faut rappeler que certains gourous ont déjà l’objet de poursuite pour exercice illégal de la médecine. Dans certains cas, le Conseil de l’Ordre des Médecins s’est constitué partie civile [3].
Il résulte donc de l’étude cette loi du 10 mai 2024 des avancées notables en matière de lutte contre les dérives sectaires mais reste à savoir si cette loi sera efficiente.
Les débats parlementaires houleux présagent d’oppositions frontales dans les prétoires.