Nous l’écrivions ci-dessus, la manière dont les avocats proposent leurs services et organisent la délivrance de la prestation juridique à leurs clients a évolué. Cela passe notamment par l’affectation d’un(e) avocat(e) [3] à une ou plusieurs entreprises clientes. Une sorte de « mise à disposition », même si l’expression n’est pas rigoureusement exacte.
Le principal changement consiste à délivrer le conseil juridique non plus tant à la demande ou en « one shot », mais d’interagir de manière proactive, en créant une proximité accrue avec leur clientèle pour mieux l’accompagner au quotidien ou presque.
Certes, il est piquant de constater que la prestation de DJE coexiste avec l’opposition majoritaire de la profession à la création du statut d’« avocat en entreprise »… Mais ne ravivons pas le débat ici, le sujet de l’indépendance n’est pas véritablement le cœur de notre propos. Concentrons-nous plutôt sur cette façon de travailler en DJE ou en temps partagé, pour examiner si cette manière de délivrer et de facturer le conseil juridique change la donne pour les bénéficiaires du conseil juridique. Car tel est bien le principal enjeu.
Pour approfondir le sujet et confirmer nos intuitions, nous avons échangé avec deux cabinets : l’un à Paris, qui s’est organisé pour répondre au plus près aux besoins de ses clients ; l’autre à Rennes, qui propose explicitement une prestation de DJE.
DJE et conseil juridique d’avocat.
Audrey Benguira, avocate au barreau de Paris (ScaleUpLegal), nous confirme que les cabinets d’avocats se sont modernisés notamment pour tenir compte de la rationalisation des coûts de l’entreprise. « Une autre expression assez communément utilisée et qui reflète assez bien la façon dont nous organisons nos prestations de Conseil est "temps partagé" » poursuit-elle, « car nous dédions une plus grande partie de notre temps et de notre force de travail de façon continue à certains clients dans ce cas, par rapport à une approche par dossier, plus traditionnelle et où notre assistance est plus ponctuelle ».
Une approche similaire se retrouve du côté de Jean-Nicolas Robin, avocat au barreau de Rennes (Avoxa), qui explique que le cabinet a « mis en place la DJE en 2019, pour répondre à la diversité des besoins de nos clients, qui n’ont pas toujours en interne de juriste omniscient – et c’est bien normal – et, dans le même temps, ont assez fréquemment besoin d’être conseillés et accompagnés sur les aspects juridiques de leurs projets et de la vie de l’entreprise ».
DJE : ce qui ne change pas.
Classiquement, comme le souligne Jean-Nicolas Robin, « les avocats peuvent prendre en charge la plupart des besoins juridiques des entreprises, dans le cadre d’une prestation de DJE ou non d’ailleurs. Cela peut être pour un appui juridique auprès de la direction générale ou de la direction financière ou pour un projet nécessitant une expertise particulière. Cela peut aussi être pour la mise en place de choses plus simples ou ponctuelles, par exemple en droit social ou en droit des contrats ».
Audrey Benguira a la même approche. « Sur le fond, nous faisons exactement la même chose "qu’avant", en intervenant le plus souvent sur des projets complexes, qui nécessitent une expertise technique ou une séniorité. Nous sommes et restons des avocats et nous travaillons pour l’entreprise, pour sa direction juridique ».
« Au-delà des mots, poursuit-elle, cela signifie que nous intervenons encore et toujours comme des consultants, c’est-à-dire en support, en renfort. Et soyons clairs : un consultant n’a pas vocation à intervenir dans la prise de décision elle-même. D’ailleurs, nous n’engageons pas nos clients, à la différence d’une direction juridique ou d’un juriste interne. Nous leur donnons le conseil juridique nécessaire pour qu’ils puissent, eux, se positionner et faire leurs choix ».
Jean-Nicolas Robin se veut également rassurant. « La prestation de DJE n’enlève rien aux équipes juridiques en place. Nous apportons quelque chose en plus : soit parce que, ce n’est pas un secret, les directions juridiques sont rarement en sous-régime, soit parce que nous apportons une ressource humaine experte en supplément, en complément de leurs savoir-faire. D’expérience, les juristes sont bien plus ravi(e)s, qu’inquiet(e)s pour leur prérogatives ».
DJE : ce qui change.
Mais alors, nous direz-vous, quelle est la différence ? La réponse d’Audrey Benguira éclaire le changement de pensée et de posture : « c’est une façon, d’une part de s’adapter aux besoins des entreprises, en gardant l’expertise et la qualité de notre conseil et, d’autre part, de s’aligner au plus près de leurs possibilités financières ». Pour le dire autrement, « c’est une relation-client améliorée, avec une proximité accrue ».
Jean-Nicolas Robin détaille la manière dont les choses se font au sein de son cabinet. « Nous avons un associé par spécialité, qui avec son équipe, est le référent du client par rapport à son besoin dominant. C’est à lui qu’il revient de collecter l’ensemble des demandes du client et soit les traiter lui-même, soit faire intervenir un autre avocat du cabinet. Pour le dire autrement, un associé ou un collaborateur est un point d’entrée unique et il ou elle va, au besoin, "dispatcher" les demandes entre les différents avocats du cabinet, mobiliser la ressource adéquate sur les problématiques de l’entreprise, matière dominante ou non. De quoi éviter au client de devoir réexpliquer sa situation à chaque fois et d’avoir plusieurs cabinets sur ses sujets juridiques ». Gain n°1.
Audrey Benguira explique que « c’est la manière dont nous nous organisons et la tarification qui ont changé, par exemple avec une présence ponctuelle de l’avocat dans les locaux de l’entreprise et une facturation à la journée plutôt qu’au taux horaire. Et ce sont en effet des pratiques répandues dans le monde du consulting et que nos clients apprécient. Rares sont aujourd’hui les entreprises et les opérations qui permettent de facturer comme avant, à l’heure ou pour de la rédaction de notes, sans visibilité sur ce qui est fait concrètement ». Gain n°2.
Jean-Nicolas Robin précise cette question de la facturation de l’accompagnement : « nous faisons un état des lieux et décidons avec nos clients de se voir par exemple tous les mois, 1 journée, 2 jours selon les besoins, avec une facturation en taux journalier moyen (TJM). Ce TJM est le même pour tout le cabinet, quel que soit l’avocat qui intervient ».
Et l’avantage est clair : « il est ainsi plus facile pour le client de budgétiser cet abonnement en quelque sorte, avec des TJM planifiés, fixes et prévus à l’avance, pour x journées d’intervention sur une période déterminée. Nous prévoyons aussi la possibilité de pouvoir ajuster facilement, avec des TJM exceptionnels sur une ½ ou 1 journée « flottante » ou plus, pour une intervention urgente ou un besoin spécifique, qui n’aurait pas été planifié plus tôt et qui va nécessiter plusieurs jours de présence dans l’entreprise. » Gain n°3.
Avec de tels échanges réguliers et planifiés explique Jean-Nicolas Robin, « par cette proximité et ce lien de confiance, il est possible d’évoquer, avec la garantie du secret professionnel, les différents projets de l’entreprise, de challenger sur la conformité, d’anticiper d’éventuelles difficultés juridiques et, parfois, de dissiper des tensions internes. La DJE, c’est bien sûr répondre au client sur les sujets qu’il a identifiés, mais aussi aller plus loin. C’est l’accord convenu avec nos clients, que de s’impliquer dans la vie de l’entreprise. » Gain n°4.
Conclusion.
Vous l’aurez perçu, quelle que soit l’appellation retenue pour cette prestation de conseil par les avocats, elle relève en partie du marketing. Et ceci n’est pas anodin sur un marché du travail où le freelancing ou le consulting ont plutôt le vent en poupe.
Ici comme ailleurs, insistons donc, avec Audrey Benguira, sur le fait que « l’appétence à faire du consulting ne doit pas faire oublier que dans notre secteur d’activité, indépendant veut dire libéral et qu’un juriste ne peut donc pas être consultant sans être avocat. Nos contraintes et obligations déontologiques, ne serait-ce que sur les conflits d’intérêts, sont aussi là pour protéger le client. Les seules personnes qui sont en mesure de faire véritablement une prestation de consulting juridique, ce sont les avocats. Il est difficile, à mon sens, de modéliser autrement ».
Vous l’aurez également compris, lorsque l’on évoque la DJE ou le temps partagé, il est surtout question d’entretenir sa relation-client. La question ne serait donc pas tant celle du prix, que celle de la construction d’un accompagnement de qualité et de confiance dans la durée, avec des gains de temps, de visibilité, d’anticipation et de disponibilité. Jean-Nicolas Robin l’exprime clairement : « ces modalités d’intervention sont un gage de sérénité pour nos clients : ils n’ont pas d’inquiétude sur le point de savoir qui contacter ou sur le prix que cela va coûter. C’est aussi, pour eux, la garantie d’être assisté quel que soit le dossier ».
Exactement ce que l’on attend d’un consultant externe, n’est-ce pas ? Sur le secteur juridique ou non d’ailleurs ! Dès lors, qu’attendons-nous pour interroger nos cabinets d’avocats et s’enquérir de ce qu’ils peuvent nous proposer sur ce format ?