Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’appel de Dijon ce 08 février 2024, N°RG22/00058, et qui vient aborder le sort de Madame D dans son combat contre la Caisse de retraite concernant la question de sa cristallisation de sa pension de réversion.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, Madame D était bénéficiaire depuis le 1ᵉʳ février 2008 d’une pension de réversion attribuée par décision du 13 février 2008 par la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail.
Le 1ᵉʳ octobre 2010, Madame D avait fait valoir ses droits à la retraite puisqu’elle bénéficiait d’une retraite personnelle au régime général qui lui avait été octroyé par décision en date du 26 août 2010.
Contre toute attente, le 27 novembre 2019, la CARSAT a notifié à Madame D un indu d’un montant de 12.421,23 euros correspondant à la pension de réversion trop perçue sur la période comprise entre le 1ᵉʳ novembre 2017 et le 31 octobre 2017.
Madame D a alors saisi la commission de recours amiable, laquelle a, par décision du 10 novembre 2020, réduit le montant de l’indu à la somme de 8.694,00 euros.
Procédure judiciaire contre la répétition de l’indu réclamée par la CARSAT.
C’est dans ces circonstances que le 15 juin 2021, Madame D contestant l’indu, a saisi le pôle social du Tribunal judiciaire de Dijon, lequel, par décision du 07 décembre 2021, avait déclaré le recours recevable et avait pourtant validé l’indu notifié à Madame D, réduisant cependant ce montant à la somme de 6.882,75 euros.
C’est dans ces circonstances que Madame D a frappé d’appel la décision, suivant arrêt que nous étudions ce jour et dans lequel cette dernière sollicitait donc que la date de cristallisation retenue soit celle du 1ᵉʳ janvier 2011, et ce, afin de débouter la CARSAT de sa demande de cristallisation qui aurait été effectuée sur la base de sa demande de réactualisation en 2015.
De même concert, Madame D sollicitait naturellement l’annulation de l’indu et de condamner la CARSAT à rétablir la pension de réversion.
Deux problématiques étaient abordées devant la cour d’appel.
La recevabilité du recours contre la décision de la CARSAT.
Concernant tout d’abord la recevabilité de l’appel et deuxièmement, la question de la révision de la pension de réversion.
Sur la recevabilité de l’appel, la cour d’appel rappelle en tant que de besoin que, aux termes des articles 528 et 538 du Code de procédure civile, le délai pour former appel d’un jugement est d’un mois à compter de la notification de la décision concernée.
Aux termes de l’article 669.2 du même Code, la date de réception d’une notification faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception est celle qui est apposée par l’administration des postes lors de la remise de la lettre à son destinataire.
Aux termes de l’article R142-10-7 du Code de la Sécurité sociale, le Greffe notifie la décision à chacune des parties.
Enfin, aux termes des articles 670 et 670-1 du même Code, la notification est réputée faite à personne lorsque l’avis de réception est signé par son destinataire, la notification étant réputée faite à domicile ou à résidence lorsque l’avis de réception est signé par une personne munie d’un pouvoir à cet effet.
Or, dans cette affaire, la déclaration d’appel avait été faite par Maître L, conseil de Madame D, le 21 janvier 2022 par RPVA à 11H04 et enregistré par le Greffe le 24 janvier 2022 alors que la notification du jugement du 07 décembre 2021 avait été faite le 16 décembre 2021 par avis de réception signé par Madame D, bien qu’aucune date de distribution ni tampon de la poste ne soit mentionné sur l’avis précité.
Dès lors, la cour, dans la nuance de la date de réception et donc du point de départ du délai pour faire appel, considère que le délai n’a pas commencé à courir, de telle sorte que l’appel interjeté par Madame D est parfaitement recevable.
La révision de la pension de réversion.
Sur la question de la révision de la pension de réversion, dans le cadre de son recours, Madame D soutenait que sa pension de réversion n’était plus révisable au motif pris qu’elle était cristallisée à compter du 1ᵉʳ janvier 2011.
Celle-ci ayant donc bénéficié de l’ensemble de ses droits à cette date et que lors du dépôt de sa demande de pension de retraite un questionnaire de ressource mentionnant ses droits à retraite complémentaire lui avait été adressé.
Des envois successifs de questionnaires de ressources.
Pour autant, pour Madame D, c’était à la CARSAT de prendre en compte ses nouvelles ressources et de prévoir une révision dans les mois suivants, ses droits à retraite personnelle.
Et, qu’on ne peut que s’étonner que finalement un contrôle a été effectué par la CARSAT en 2015 et que ce n’est qu’encore quatre ans plus tard que celle-ci s’est vu notifier un indu.
Or, celle-ci précisait que la retraite complémentaire lui avait été octroyée à compter du 1ᵉʳ janvier 2014, soit, trois ans après la cristallisation de sa pension de réversion, de telle sorte que celle-ci ne pouvait en aucunement être révisée.
La CARSAT, quant à elle, fait valoir que la demande est relative à une révision du montant d’une pension de réversion déjà liquidée et non à un rejet d’une demande de pension de réversion après examen des ressources, de telle sorte qu’il y avait lieu d’écarter l’application de l’article R815-29 du Code de la Sécurité sociale.
La CARSAT soutenait encore que les ressources de Madame D dépassent le plafond de la pension de réversion, de telle sorte qu’elle ne peut plus en bénéficier.
La CARSAT soutenant encore que Madame D a attesté sur l’honneur de signaler toute modification de ses ressources, qu’elle est entrée en jouissance de sa retraite complémentaire personnelle à date du 1ᵉʳ octobre 2010.
Or, la CARSAT reproche à Madame D de ne pas l’avoir informé spontanément de cette nouvelle ressource, qu’elle n’a eu cette information qu’à la réception d’un questionnaire ressource du 22 décembre 2015 lui permettant ainsi de réviser la pension de réversion, d’inclure la retraite complémentaire dans les ressources.
Après la date de cristallisation, dans la mesure où elle n’avait pas connaissance de toutes les ressources de l’assuré, la CARSAT considérant ainsi avoir versé indûment une pension de réversion depuis le 1ᵉʳ janvier 2011.
La révision de la pension de réversion.
Il convient de rappeler que, selon l’article R353-1-1 du Code de la Sécurité sociale, la pension est révisable en cas de variation dont le montant des ressources calculées en application de l’article précédent, ce même texte prévoit cependant que la date de la dernière révision ne peut être postérieure à un délai de trois mois après la date à laquelle le conjoint survivant est entré en jouissance de l’ensemble des avantages de retraite personnelle de base et complémentaire lorsqu’il peut prétendre à de tels avantages et à la date à laquelle il atteint l’âge prévu par l’article L161-17-2 lorsqu’il ne peut pas prétendre à de tels avantages.
En l’espèce, la cour retient que Madame D a fait valoir ses droits à la retraite au régime général qu’elle a perçu à compter du 1ᵉʳ octobre 2010.
À compter de cette même date, elle a également bénéficié de pension de retraite complémentaire servi par l’ARRCO et AGIRC, ce qui n’est pas contesté ni par Madame D ni par la CARSAT et non au 1ᵉʳ janvier 2014 comme l’ont retenu à tort les premiers Juges.
Cette date correspondant finalement à la liquidation des retraites complémentaires et non pas à leurs attributions.
La liquidation des droits à retraite complémentaire.
En conséquence, sur le principe, la cour retient qu’aucune révision de la pension de réversion de Madame D n’était possible après le 1ᵉʳ janvier 2011, ce qui vient caractériser l’idée même d’une cristallisation de la pension de réversion sans que celle-ci ne puisse être remis en cause de quelque manière que ce soit.
Pour autant, la cour rappelle qu’il résulte de la combinaison des dispositions des articles R353-1-1 et R815-18 et R815-38 du Code de la Sécurité sociale que si la date de la dernière révision de la pension de réversion ne peut être postérieure notamment à un délai de trois mois après la date à laquelle le conjoint survivant est entré en jouissance de l’ensemble des avantages personnels de retraite de base complémentaire lorsqu’il peut prétendre à de tels avantages, c’est à la condition que l’intéressé est informé de cette date, l’organisme auquel incombe le paiement de la pension de réversion.
Ce que rappelle d’ailleurs la jurisprudence, 24 novembre 2016, deuxième chambre civile, pourvoi N°15-24.019.
Ainsi, la CARSAT justifie que Madame D a bien été informée de l’obligation légale d’informer la caisse de l’évolution de ses ressources puisqu’en 2007, 2008 ainsi que par les questionnaires de ressources en 2007 et 2010, elle atteste sur l’honneur des modifications de sa situation.
L’obligation légale d’information pensant sur l’allocataire.
Pour autant, Madame D ne démontre pas avoir informé la caisse de la perception des pensions de retraite complémentaire avant la réactualisation de son dossier en 2015 et la notification du 27 novembre 2019 de la CARSAT valant suppression du paiement de la pension de réversion et lui réclamant le trop-perçu à rembourser.
Madame D s’étant abstenue de porter à la reconnaissance de la caisse l’ensemble de ses avantages personnels de retraite de base et complémentaire, n’ayant donc pas satisfait à son obligation d’information de la caisse des changements survenus dans sa situation postérieurement à l’attribution de la pension de réversion, la révision de cette dernière ayant pu intervenir après l’expiration du délai de trois mois prescrit par l’article R353-1-1 du Code de la Sécurité sociale.
Cette décision demeure malgré tout contestable puisqu’au final, dans la mesure où le lecteur attentif peut avoir l’impression que finalement le raisonnement fait par la cour consiste à ce que « le serpent se morde la queue ».
En effet, dans l’hypothèse où Madame D se considère comme étant cristallisée, celle-ci n’est pas tenue d’apporter des informations sur toute évolution qui viendrait par la suite parce que c’est justement l’objectif même de la cristallisation de la pension de réversion et de ses droits à retraite qui font que toute modification postérieure n’a pas vocation à impacter le calcul de ses droits qui ont déjà été cristallisés.
Pour autant, inversement, les dispositions susvisées imposent au bénéficiaire des allocations et de la pension de réversion de déclarer spontanément toute modification de sa situation en contradiction avec l’idée même que cela a été complètement cristallisé.
Or, nonobstant la cristallisation qui a eu lieu, en déclarant les modifications de la situation, finalement Madame D, à bien y comprendre la cour, se retrouve à, elle-même, amener la CARSAT à venir procéder à des nouveaux calculs de droits à retraite à pension de réversion alors même que la situation était cristallisée depuis 2011.
Ce qui peut quand même sembler curieux et invite forcément à une pratique attentive de l’obligation que peut avoir l’allocataire de la déclaration qu’il doit faire des modifications de sa situation.
Concernant le bien-fondé de l’indu, la cour retient que la CARSAT justifie d’un indu de près de 12.421,23 euros, qu’elle réclamait avant la remise accordée par la commission de recours amiable correspondant au cumul du trop-perçu au titre de la pension de réversion pour 5.539,52 euros et des retraites personnelles et complémentaires pour la période du 1ᵉʳ novembre 2017 au 31 octobre 2019.
Excédant ainsi le plafond des ressources de 1.171,00 euros brut par mois.
La prescription biennale de la répétition de l’indu.
La cour retient que cette créance est limitée à la période de prescription biennale prévue à l’article L355-3 du Code de la Sécurité sociale, de sorte que les sommes perçues à tort par Madame D pour la période lui restent acquises.
La cour considère que la CARSAT serait alors bienfondé à réclamer le seul trop perçu de 8.694,00 euros, étant cependant observé qu’en sollicitant la confirmation de la décision de la commission de recours amiable la caisse consent nécessairement à la remise de l’échéancier qui avait été accordé par celle-ci, de telle sorte que la dette de Madame D doit être ramenée à la somme de 6.882,75 euros.
Sur ce point, l’argumentation de la cour est intéressante puisqu’elle rappelle que la prescription biennale prévue à l’article L353-3 du Code de la Sécurité sociale s’applique et que toutes sommes perçues au-delà de cette prescription biennale sont acquises pour l’allocataire.
Ce qui est quand même un point important sur le terrain pratique et également à souligner.