Par conséquent, un vieux débat au sein de la discipline économique a été relancé, et les liens macro financiers sont devenus des préoccupations majeures des économistes aujourd’hui.
Dans ce contexte, un secteur financier solide et performant peut contribuer à la croissance économique à long terme. En particulier, il permet de réduire les frictions liées à l’échange des biens et services et contribue ainsi à l’amélioration de la performance économique. En revanche, le rôle du système financier dans la création, la transmission et l’amplification des chocs macroéconomiques est un fait avéré, d’où l’importance de considérer l’impact du secteur financier sur l’activité économique réelle.
Dans ce sens, afin d’assurer la stabilité macroéconomique, surtout dans le cas des pays en développement comme le Maroc, il est nécessaire d’appréhender si, et dans quelle mesure, l’activité bancaire interagit avec la conjoncture macroéconomique.
Dans un contexte international marqué par l’incertitude, le Maroc se trouve dans une situation inquiétante. En effet, l’économie marocaine a connu pendant ces dix dernières années un ralentissement substantiel de la croissance économique, ce qui coïncide avec une réduction sans précédent du crédit bancaire accordé aux agents économiques. Comme illustration de ce constat, la moyenne de l’intensité du crédit bancaire au secteur privé est passée de 72.02% entre 2009 et 2011 à 63.17% durant la période 2018-2019. Cette concordance entre la croissance du crédit bancaire et la conjoncture économique au Maroc nous amène à supposer l’existence d’une relation causale entre le crédit bancaire et la croissance économique. La vérification de cette hypothèse, cependant, nécessite une analyse détaillée de la littérature économique sur le sujet ainsi que l’élaboration d’une analyse empirique rigoureuse s’intéressant à la détection de la relation de causalité et l’identification de son sens.
1- Evolution du rôle du système bancaire dans le financement de l’économie marocaine.
Au cours des années soixante-dix et la majeure partie des années quatre-vingt, le gouvernement marocain a poursuivi une stratégie de développement économique où l’État avait joué un rôle majeur. Cette période a été caractérisée par : (i) un système bancaire fortement contrôlé où la banque centrale peut fixer le taux d’intérêt et avoir un contrôle direct sur l’octroi du crédit (ii) des marchés monétaires et boursiers sous-développés (iii) des flux de capitaux fortement contrôlés et des investissements étrangers restreints dans le secteur financier. Ces inefficacités du système financier marocain ont été aggravées par les déséquilibres macroéconomiques, notamment le déficit budgétaire et celui de la balance commerciale, et des niveaux excessifs de la dette publique. Pour assurer le redressement de ces équilibres, le gouvernement marocain, avec le soutien du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque Mondiale, s’est lancé dans des plans de réformes structurelles et de stabilisation. Les principaux objectifs de ces programmes étaient de réduire l’intervention gouvernementale, d’établir une économie de marché ouverte et d’améliorer les perspectives de croissance économique. De plus, les réformes du système financier visaient le renforcement du rôle des banques commerciales privées dans l’allocation des ressources financières, l’amélioration de la capacité des institutions financières à mobiliser l’épargne, et le renforcement de la concurrence dans le secteur bancaire pour soutenir la stabilité des intermédiaires financiers. Ces efforts se sont traduits par des réformes du secteur bancaire, du marché des capitaux, de la politique monétaire et des dispositifs de contrôle de l’activité bancaire.
Dans ce cadre, les réformes du secteur bancaire comprenaient des modifications du cadre législatif régissant les activités des banques commerciales et les pouvoirs de la banque centrale, le renforcement de la réglementation prudentielle conformément aux normes internationales et la déréglementation de l’activité bancaire.
Le marché boursier a également connu des réformes majeures à travers le renforcement de son organisation et de ses structures avec la création de la Société de Bourse des Valeurs de Casablanca, des OPCVM, l’agrément des sociétés de bourse et la mise en place du dépositaire central. Sur le front de la politique monétaire, les instruments indirects de contrôle (opérations d’open market, les reprises et les avances de liquidité par appels d’offre, ...) ont été introduits et le nouveau statut de Bank al-Maghrib, qui ont accru l’autonomie de l’autorité monétaire afin d’éviter les conflits d’intérêts entre politique budgétaire et politique monétaire, a entré en vigueur. Ces réformes du système financier comprenaient des étapes importantes vers la libération des taux d’intérêt, la réglementation prudentielle et le renforcement de la supervision bancaire. Par exemple, le Dahir Portant Loi N° 1-93-147 Du 15 Moharrem 1414 Relatif à l’exercice De l’activité Des Établissements de Crédit et de Leur Contrôle (1993) avait accordé une plus grande autonomie à la banque centrale et renforcé la réglementation prudentielle conformément aux normes du comité de Bâle. À la fin de la décennie 90, le contrôle du crédit et les emplois obligatoires ont été abolis, le marché interbancaire et de change ont été établis et les taux d’intérêt ont été libérés.
Étant donné que les principaux objectifs de ces réformes étaient de promouvoir l’épargne, l’investissement et la croissance, la libération des taux d’intérêt et la disponibilité accrue d’instruments financiers devraient stimuler l’épargne et l’investissement et améliorer l’allocation des ressources provenant de l’intermédiation financière, les réformes mises en œuvre au cours de cette période ont été associés à des améliorations substantielles dans la structure financière de l’économie marocaine. En effet, le taux d’approfondissement financier a passé de 40.3% entre 1970 et 1986 à 53.4% entre 1987 et 1995, ce qui montre la nette amélioration de la disponibilité des instruments monétaires et financiers dans l’économie marocaine pendant cette période. En ce qui concerne l’allocation des ressources financières, l’intensité du crédit bancaire au secteur privé a passé de 17.5% à 23.6% pendant la même période. Ces changements se sont traduits par une hausse de taux d’épargne du secteur privé de 19% à 21.7% et le taux d’investissement du même secteur de 15.5 à 18.3% entre les périodes 1970-1986 et 1987-1995.
Les réformes des années 90 ont été poursuivies et étendues avec le Dahir N° 1-05-178 Du 15 Moharrem 1427 Portant Promulgation de La Loi N° 34-03 Relative Aux Établissements de Crédit et Organismes Assimilés (2006). Cette loi avait apporté avec elle des changements majeurs dans le secteur bancaire, à savoir : (i) l’élargissement du champ de contrôle de Bank Al-Maghrib et renforcement de son rôle et de son autonomie en matière de supervision bancaire, (ii) le renforcement des comités de contrôle et de supervision des établissements du crédit et, (iii) le renforcement des moyens de contrôle consolidés des groupes bancaires (Bank Al-Maghrib, 2005b).
Parallèlement à ces réformes, le secteur bancaire a connu une expansion massive de son réseau d’agences, passant d’une moyenne annuelle de 10.26 agence bancaire pour 100 000 adultes entre 2003 et 2005 à 24.76 entre 2018 et 2019, soit une augmentation de plus de 100%. Pendant la même période, le nombre des distributeurs automatiques des billets pour 100 000 adultes a passé de 11.6 à 28.19.
2. Évolution du nombre des agences bancaires et des distributeurs automatiques des billets pour 10 000 adultes.
Il est à noter par ailleurs que la majorité de cette progression s’est produite entre 2003 et 2011, la période pendant laquelle le nombre d’agences et de distributeurs a presque doublé, passant de 10.26 à 20.72 pour les agences bancaires et de 11.6 à 19.75 pour les distributeurs automatiques de billets. En outre, comme l’indique la figure 2 ci-dessus, l’expansion du réseau bancaire s’est considérablement ralentie depuis 2012, signalant, potentiellement, le ralentissement des rendements de l’expansion du secteur bancaire au Maroc ou la saturation de son réseau. Cette expansion du réseau bancaire a coïncidé avec une expansion remarquable des crédits bancaire à l’économie. Effectivement, la moyenne annuelle de l’intensité du crédit bancaire au secteur privé a passé de à 23.6% entre 1987 et 1995 à 48,15 % entre 2003 et 2005, pour atteindre une moyenne annuelle de 71.02% entre 2009 et 2011.
En l’occurrence de la période où la croissance du réseau du secteur bancaire s’est ralentie, la figure 3 ci-dessous montre que l’intensité du crédit bancaire au secteur privé est passée d’un niveau record de 71,02 % entre 2009 et 2011 à 63,17 entre 2018 et 2019. De plus, même après avoir considéré le crédit au secteur public, qui a augmenté légèrement au cours de la période d’étude, l’intensité du crédit (hors crédit aux institutions financières) a connu une baisse sensible passant de 92,21% entre 2012 et 2014 à 89,70 entre 2018 et 2019.
3. Évolution du crédit bancaire.
Si le réseau du secteur bancaire et l’intensité du crédit à l’économie se sont ralentis au cours des dix dernières années, le crédit bancaire reste la principale source de financement de l’économie marocaine. Ainsi, la comparaison du financement par le crédit bancaire, le crédit d’autres institutions financières, et le financement boursier montre que le secteur bancaire est le premier pourvoyeur de financement à l’économie marocaine.
Afin de mieux appréhender l’évolution du rôle du secteur bancaire dans le financement de l’économie nationale, il importe d’analyser sa contribution par rapport aux autres établissements du crédit, notamment, les sociétés de financement. En effet, les dispositions de la loi bancaire limitent les opérations de ces établissements à l’octroi du crédit et stipule que les sociétés de financement ne peuvent pas collecter des fonds à vue auprès du public. Ces sociétés sont majoritairement composées des sociétés du crédit à la consommation, représentant 56% du nombre total des sociétés de financement en 2004 et 44.6% en 2019, et des sociétés du crédit-bail, représentant 38.6% et 26% du nombre total des sociétés de financement en 2004 et 2019 respectivement (Bank Al-Maghrib, 2005b, 2019).
La comparaison ente le crédit octroyé au secteur privé par les banques et celui des autres institutions financières en pourcentage du PIB montre que ce dernier n’a pas connu une progression pendant la dernière décennie. En particulier, la moyenne annuelle de l’intensité du crédit des autres institutions financières au secteur privé est restée entre 22 et 23% pendant toute la période 2010- 2019. En outre, comme l’indique la figure 4 ci-après, le secteur bancaire demeure toujours la source de la majorité des financements du secteur privé au Maroc. Ainsi, l’intensité du crédit bancaire au secteur privé est presque trois fois plus grande que celle des autres institutions financières, constituant à peu près trois tiers de financement de secteur.
Les causes de la faiblesse des introductions en bourse ne se limitent pas seulement à des facteurs économiques et financiers tels que le faible dynamisme économique, le nombre réduit de sociétés cotées, l’instabilité des rendements boursiers, etc., mais elles sont également causées par la présence des facteurs institutionnels et socioculturels tels que le caractère familial des petite ou moyenne entreprise (PME), le manque de transparence et de communication financière et l’aversion des investisseurs au risque.
Plus encore, l’accès des PME au marché boursier est très limité. En effet, ces derniers n’ont accès qu’au troisième compartiment du marché des introductions en bourse (le marché de croissance). Cependant, le nombre d’introductions en bourse dans ce compartiment reste très faible (12 en 2018). Cette faiblesse s’explique principalement par l’absence d’incitations fiscales, les conditions restrictives d’émission et d’admission en bourse et les coûts élevés d’émission des titres.
Partant de ce qui précède, le crédit bancaire joue un rôle primordial dans le financement de l’économie marocaine. De ce fait, un ralentissement du crédit bancaire peut avoir des majeures conséquences macroéconomiques, d’où l’importance de l’analyse de la relation fondamentale entre le crédit bancaire et l’activité économique au Maroc.
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