La journaliste Charlotte Rotman a suivi pendant plusieurs années le travail d’Anne Bouillon dans son cabinet nantais, qui ne désemplit pas, et assisté à des procès. L’album, dont elles ont co-écrit ensemble le scénario, est basé sur ces années d’observations, et témoigne du traitement judiciaire quotidien des violences faites aux femmes.
L’occasion pour la Rédaction du Village de la Justice d’aller interroger une avocate engagée...
Village de la Justice : À qui s’adresse ce livre ?
Anne Bouillon : « Plutôt à un public jeune, à ceux et celles qui n’auront pas le réflexe d’aller lire un livre sur ce sujet, à ceux qui s’interrogent sur les violences conjugales, sans pour autant avoir envie de lire un livre "de juriste". »
VJ : Pourquoi ce choix du roman graphique ? Est-ce que les images marquent, voire choquent plus ?
- Anne Bouillon
AB : « Non, pas du tout, ce n’est pas l’idée. J’ai mené les deux exercices de front (écrire un livre et écrire cette bande-dessinée) et pour le livre [2], ses lecteurs m’ont témoigné que le récit avec des mots pouvait aussi être difficile.
La finalité de l’image, à mon sens, c’est le mouvement. On perçoit les actions, le quotidien, les situations qui s’enchaînent, et le fait que ma pratique d’avocate dépasse mon cabinet. »
VJ : Quel est le plus beau compliment qu’on puisse vous faire à propos de cet ouvrage ?
AB : « Qu’il aide à percevoir et mesurer la réalité de ce que vivent les femmes, qu’il permette de montrer qu’il ne s’agit pas d’un épiphénomène, que notre société est organisée autour des violences faites aux femmes, mais qu’il ne s’agit pas d’une fatalité, qu’on peut changer cela.
J’ai moi-même fait mon propre travail introspectif, depuis 23 ans que je défends les femmes, ma pratique s’est améliorée. »
V.J : Comment se protège-t-on de la dureté des situations ?
AB : « Ma fonction, le mandat qui m’est donné et ma robe d’avocate me protègent.
Je suis mue par des objectifs définis, mais je sais que je ne vais sauver personne : je ne suis pas une "sauveuse", je suis "une défendeuse".
Cela étant, je suis parfois impactée mais cette émotion, cette indignation, cette colère, je veux les conserver, elles sont un moteur.
Tout ça, une nouvelle fois, n’est pas une fatalité. Les choses sont en mouvement et je suis heureuse d’y participer, c’est... une joie, pour moi. »
V.J : Que pensez-vous du "tribunal médiatique" que certains confrères dénoncent, ou encore de la Justice qui serait "laxiste" ?
A.B : « Je n’observe pas, dans mon quotidien d’avocat, une justice qui serait expéditive ou laxiste. Ni le principe du contradictoire, ni l’individualisation des peines ou encore la présomption d’innocence ne sont écornés parce que l’on prête une attention accrue à la parole des femmes.
Quant au tribunal médiatique, il s’agit en réalité de savoir pourquoi la parole déborde : parce qu’elle ne va pas au bon endroit, et elle ne va pas au bon endroit car ces endroits destinés à ça manquent de moyens !
Alors oui, on peut regretter l’absence de filtres sur les réseaux sociaux, mais pas que les médias fassent leur travail et révèlent des faits.
Il ne faut pas se tromper : le vrai problème de notre société, ce sont les chiffres des féminicides et des violences commis chaque année en France... »
La Rédaction a sélectionné différentes pages de l’ouvrage, des extraits qui témoignent de la diversité des situations traitées par l’avocate. (Cliquez sur l’image pour l’agrandir !)
Informations techniques :
Titre : "Les femmes ne meurent pas par hasard. "
Auteurs : Anne Bouillon, Charlotte Rotman, Lison Ferné
Editions : Steinkis
Date de parution : 31 Octobre 2024
ISBN 9782368466575
Pages : 192
Prix : 24€