Diversité et inclusion au sein des cabinets d'avocat : faut-il (encore) en parler ?

Diversité et inclusion au sein des cabinets d’avocat : faut-il (encore) en parler ?

A. Dorange
Rédactrice en chef du Journal du Village de la Justice

La Diversité et l’Inclusion (D&I) sont de plus en plus au cœur des enjeux des organisations ; les politiques D&I se multiplient, y compris au sein des cabinets d’avocats. L’égalité de traitement, l’égalité des chances, la lutte contre les discriminations, l’intégration et le sentiment d’appartenance sont des sujets qui préoccupent. C’est heureux.
Pour autant, l’inclusion et la diversité sont, ici comme ailleurs, majoritairement appréhendées selon deux angles : la lutte contre les discriminations et le management de la diversité. De quoi parle-t-on et comment s’emparer de la D&I sans tomber dans le piège de la catégorisation qu’impliquent ces approches ? C’est la réflexion que nous ouvrons ici.

Article issu du numéro 99 du Journal du Village de la Justice "Inclusion et diversité".

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Note aux lecteurs...

Cet article a été publié dans le numéro 99 du Journal du Village de la Justice. N’hésitez pas à le consulter en intégralité !

D&I : de quoi parle-t-on ?

« Selon les acceptions, la diversité recouvre une réalité hétérogène qui va varier d’une organisation à l’autre : des populations cibles (les femmes, les personnes issues de l’immigration, les jeunes, les seniors, les personnes handicapées…), des objectifs (l’égalité professionnelle, l’égalité des chances, la non-discrimination…) ou des marqueurs de l’identité individuelle comme l’appartenance religieuse ou l’orientation sexuelle » [1].

L’inclusion se rapporte à la création et au sentiment d’appartenance à un environnement au sein duquel chaque individualité est respectée.

L’inclusion (en entreprise) est assez couramment définie comme le fait d’intégrer les personnes concernées (par la diversité) pour favoriser leur épanouissement au sein de l’organisation.
Ainsi, la diversité serait le quoi (et un fait), l’inclusion, le comment (et un choix) et « la diversité ne devien[drai]t performante que dans un climat inclusif qui permet à chaque coéquipier d’exprimer son plein potentiel, quelles que soient ses singularités » [2].

Toutefois, en revenant à l’origine du concept, l’inclusion « n’a pas été définie comme directement liée au management de la diversité, mais comme un concept permettant d’étudier le sentiment d’appartenance à une organisation, ainsi que les notions de carrière et de relation à l’emploi, (…) comme le degré selon lequel les salarié(e)s sont accepté(e)s et traité(e)s comme membres à part entière d’une organisation » [3].

Plus qu’une approche liée à l’image et qu’une démarche de conformité, l’inclusion n’aurait pas grand-chose à voir avec les critères identifiés au titre des discriminations et des politiques de diversité : elle ne consiste justement pas dans la catégorisation des personnes en fonction d’un ou de plusieurs facteurs constitués par des données biologiques, physiologiques, anatomiques, démographiques, sociales, économiques, de croyances ou autres.

Elle se rapporte à la création et au sentiment d’appartenance à un environnement, au sein duquel chaque individualité est respectée, intégrée et valorisée en tant que personne sans considération pour un critère différenciant. Elle consiste à « offrir à tous, à compétences et capacités égales, les mêmes possibilités dans l’emploi et dans son accès » [4], à permettre à chaque membre de l’équipe de s’exprimer sans crainte et de déployer toutes ses compétences.

La D&I au sein de la profession d’avocats

Des engagements.

La prise en considération des enjeux de la diversité et de l’inclusion au sein de la profession d’avocats est ancienne ; de nombreuses actions des institutions représentatives en attestent (spécifiquement sur les actions contre le sexisme, nous vous renvoyons à la lecture de cet article qui les recensent).

La bonne nouvelle est que la profession est indubitablement, par nature, réfractaire à toute idée d’inégalité et d’injustice. Le positionnement de « sentinelle des libertés » lui est reconnu ; la posture plus que majoritairement incarnée. Cette absence de résistance culturelle collective est un véritable atout pour promouvoir le changement en matière de D&I, en interne comme dans leur sphère d’influence. De nombreux cabinets se sont déjà concrètement et véritablement engagés dans cette voie.

Des problématiques persistantes.

À l’instar des autres organisations, des problématiques de D&I persistantes sont constatées. En dépit des nombreux et réels "efforts" réalisés, le retentissement et la durabilité des comptes sur les réseaux sociaux [5] dédiés au recueil de témoignages et dénonçant des agissements sexistes au sein de la profession restent préoccupants. S’ils n’ont évidemment pas vocation à représenter le comportement de tous ses membres, ils révèlent que bien du chemin reste à parcourir…

Les chiffres en attestent également, qu’il s’agisse de ceux du Défenseur des Droits dans l’enquête réalisée en 2018 [6] ou ceux du printemps et de l’automne 2022, issus de l’enquête Collaboration du CNB [7] et du sondage de la ComHaDis [8].

Dans le prolongement, un groupe de travail "Harcèlement et discrimination" a été constitué au CNB pour « proposer des solutions pour remédier à ces situations » et « faire évoluer la prise de conscience de ces phénomènes par les membres de la profession », avec trois axes de travail : formation, procédure et communication [9].

Pourquoi le changement est-il si long ?

Nous le disions, au sein des cabinets d’avocats comme dans d’autres organisations, l’inclusion et la diversité sont majoritairement appréhendées selon deux angles : la lutte contre les discriminations et le management de la diversité, principalement sous l’angle des quotas.

Ces deux axes constitués par le juridique et les chiffres ont un fondement commun : les différences, avec d’un côté l’interdiction et la sanction des différences de traitement injustifiées et, de l’autre, la représentation, la valorisation et l’attention portée aux différences. Cette gestion des diversités et des inégalités pouvant en découler dans l’environnement professionnel répond à plusieurs enjeux. C’est éminemment louable. Mais leur prépondérance a ses revers.

Un premier revers est celui de l’approche catégorielle et silotée qu’elle implique ou, plutôt, des conséquences de cette dernière. Nous y reviendrons. Or, « pour qu’émerge une diversité respectueuse de la loi et en même temps soucieuse de combattre certaines inégalités, pour que la diversité conduise à rassembler les individus autour de ce qui les rapproche et non à les catégoriser sur ce qui les différencie, les entreprises doivent prendre conscience des pièges que recouvre le concept de diversité » [10].

Un deuxième revers est celui de politiques D&I parcellaires. Les dimensions de l’égalité professionnelle (genre), l’âge, le handicap et, dans une moindre mesure, l’origine ethnique sont en effet très souvent abordées dans les politiques D&I des organisations.
En revanche, les origines culturelles, ethniques, sociales, la neurodiversité, l’orientation sexuelle le sont encore trop peu. Mais il est vrai que se pose alors la question de savoir jusqu’où aller dans les caractéristiques et situations à retenir et le traitement potentiellement différencié à leur accorder… Se saisir du concept d’inclusion permet précisément de s’affranchir de cette potentielle limite de la réflexion.

Paradoxes et limites des approches fondées sur les différences.

Soyons clairs à nouveau : il n’y a pas de débat sur la légitimité des approches fondées sur les différences. L’incrimination [11] de la prise en compte injustifiée d’une différence est impérative dans un État de droit [12]. Mais au-delà du droit et des obligations de mise en conformité à certains régimes contraignants, les choses sont plus délicates à appréhender. Non dans le principe de la diversité évidemment, mais dans sa mise en œuvre, le plus souvent réduite à une approche quantitative destinée à justifier et contraindre un taux d’employabilité.

Au-delà du droit et des obligations de mise en conformité, les choses sont plus délicates à appréhender.

Souvent perçus comme un « mal nécessaire », n’ôtons pas tout leur intérêt aux index [13] et aux quotas : d’une part, parce que ces obligations sont bel et bien de nature à amorcer le changement par la contrainte et d’autre part, parce que ces indicateurs incitent à la réalisation d’états des lieux "objectifs" et permettent de mesurer des progrès. Les données statistiques peuvent d’ailleurs être utilement invoquées à titre probatoire [14].

Nécessité faisant loi, ces outils de mesure tendent à favoriser la prise de conscience et encouragent les évolutions aux fins d’une meilleure équité professionnelle. À cet égard, ils constitueraient bien des « levier[s] d’action pour faire reculer les inégalités » [15].

Peut-être nécessaires, ils ne sont pour autant pas suffisants, même en étant suivis des remédiations et correctifs appropriés. Et, ce, d’autant que l’importance accordée à ce qui ne devrait être qu’un outil parmi d’autres, a involontairement généré des conséquences pernicieuses. Impossible en effet de ne pas constater que « la multiplication d’actions centrées sur certaines populations (les personnes handicapées, les femmes, les seniors, etc.) a rendu le discours sur la diversité urticant pour beaucoup, y compris pour les populations concernées » [16].

Dans son principe, l’approche quantitative permettrait de lutter, au besoin par la contrainte des quotas, contre une « présomption d’incompétence » assignée à ses bénéficiaires ; dans la pratique, marquée par une « insuffisante prise en compte du facteur humain » [17], elle ne permet à elle seule ni de dépasser la catégorisation, ni de déconstruire durablement les stéréotypes. Elle tendrait même à « accrédit[er] l’idée que, sans ces programmes, ces individus n’auraient pas les qualifications pour accéder à ces places. Censée initialement lutter contre ce stéréotype, la discrimination positive a pu au contraire la renforcer » [18].

Une fois encore, écartons tout risque d’interprétation ambiguë. Il n’est pas question de dire qu’il doit y avoir une différence de traitement ou, à l’inverse, qu’il ne doit y en avoir aucune. Mais sur le terrain de l’égalité, il convient de garder à l’esprit deux choses :
- d’une part, le fait qu’une différence de traitement n’est « en soi, [ni] une inégalité de traitement, ni une discrimination » [19] et qu’il est bien question de lutter contre « la différence de traitement de deux situations qui doivent pourtant être considérées comme semblables » [20] ;
- d’autre part, le fait que viser seulement l’égalité est susceptible d’entretenir l’idée (préconçue) de l’existence d’une inégalité préexistante, initiale.
L’enjeu serait donc plutôt « d’évaluer (…) la pertinence des distinctions faites entre les situations » [21]et de les resituer par rapport aux (autres) objectifs poursuivis : « perçue par les entreprises de manière plus positive que la lutte contre les discriminations, la promotion de la diversité est un moyen de faire avancer la question de l’égalité mais elle ne saurait à elle seule résoudre la question des inégalités » [22].

S’engager en faveur de l’inclusion et de l’égalité, au-delà du droit et des chiffres, des déclarations d’intention et de la sensibilisation n’est pas chose facile. Et le fait est, que « la notion de "bonne gestion de la diversité" renvoie (…) à des principes dont la mise en œuvre concrète n’est pas [souvent] abordée... » [23]. L’une des difficultés pratiques rencontrées pour amorcer le changement est en effet que, le plus souvent, « les approches demeurent de l’ordre de la posture, sans aborder la façon opérationnelle dont le management peut s’emparer de ces bonnes intentions » [24].

La suite : Management inclusif : comment amorcer le changement au sein des cabinets d’avocat ?

La Rédac’ prolonge l’info :

Décret n°2023-993 du 27 octobre 2023 (JO 28 oct.) relatif à l’instauration du fonds territorial d’accessibilité à destination des micro, petites et moyennes entreprises classées établissements recevant du public de 5e catégorie.

Ce texte met en place, pour la période allant du 2 novembre 2023 au 31 décembre 2028, une aide financière pour les micro, petites et moyennes entreprises classées établissements recevant du public (ERP) de 5e catégorie, qui réalisent des travaux en vue de se conformer aux obligations en matière d’accessibilité des établissements recevant du public. Il en fixe les conditions et modalités de calcul et de versement dans le cadre du fonds territorial d’accessibilité [25].
Cette aide bénéficie aux personnes physiques et morales remplissant, à la date du dépôt de la demande, les conditions suivantes [26] :


  • moins de deux cent cinquante salariés (selon CSS, art. L.130-1) ;
  • chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 50 millions d’euros hors taxe ou un total de bilan n’excédant pas 43 millions d’euros ;
  • appartenance à la 5e catégorie des établissements recevant du public (au sens de CCH, art. R.143-19) ;
  • appartenance aux types M, N, O et W des établissements recevant du public au sens de l’article GN 1 de l’arrêté du 25 juin 1980. Les ERP de 5e catégorie appartenant à d’autres types pourront être éligibles au dispositif sur décision expresse du représentant de l’État dans leur département d’implantation ;
  • création avant le 20 septembre 2023 ;
  • inscription au RNE (registre national des entreprises) ;
  • à jour des obligations à l’égard de l’Administration fiscale et de l’organisme de recouvrement des cotisations patronales de sécurité sociale ;
  • absence de procédure de liquidation judiciaire en cours.
    Les dépenses éligibles à l’aide doivent relever de l’une des catégories suivantes :
  • équipements de mise en accessibilité ;
  • travaux de mise en accessibilité ;
  • dépenses d’ingénierie et d’assistance à maîtrise d’ouvrage réalisées dans le but de rendre accessible un établissement recevant du public.
    
Les modalités de dépôt des demandes de subvention et la liste de dépenses éligibles au fonds territorial d’accessibilité, ne nécessitant pas d’autorisation de construire, d’aménager ou de modifier un établissement recevant du public, sont fixée par un arrêté du 31 octobre 2023 (Arr. 31 oct. 2023, NOR : ECOI2325350A, JO 1er nov.).

A. Dorange
Rédactrice en chef du Journal du Village de la Justice

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Notes de l'article:

[1H. Garner-Moyer, 2012, « Réflexion autour du concept de diversité. Éclairer pour mieux agir », www.afmd.fr.

[2L. Depond, 2022, Intelligence relationnelle et inclusion, Dunod, Coll. Les carnets soft skills, p. 56.

[3C. Joly, M. Ouvrard, 2023, Diversité, Inclusion et Marque employeur : comment les faire dialoguer, www.afmd.fr.

[4ANI. L’accord national interprofessionnel sur la diversité dans l’entreprise du 12 octobre 2006, entré en vigueur au 1er mars 2008

[5Voir not. Tumblr @Payetarobedavocate ; compte Twitter et Facebook @Payetarobe ; hashtag Twitter #jesuispasseparuncab ; Instagram @balance_ton_cabinet_d’avocat.

[7CNB, 2022, Enquête Collaboration, Communiqué du 22 nov. 2022

[8www.avocatparis.org/les-resultats-du-sondage-comhadis. Questionnaire anonyme envoyé aux avocat(e)s inscrit(e)s au barreau de Paris et aux élèves-avocat(e)s de l’EFB à l’automne 2022

[9CNB, Ass. gén. 9 sept. 2022, Groupe de travail harcèlement/discrimination, Rapp. d’information, Enjeux et perspectives d’actions, www.cnb.avocat.fr/fr/actualites/rapport-dinformation-du-groupe-de-travail-harcelementdiscrimination-enjeux-et-perspectives-dactions

[10H. Garner-Moyer, précité

[11C. pén., art. 225-1 et s.

[12Conv.EDH, art. 14 ; Protocole n° 12, art. 1er.

[13Index égalité professionnelle, index senior et plus récemment index diversité et inclusion (expérimenté en 2021-2022).

[14Voir récemment C. Cass., soc., 14 déc. 2022, n° 21-19.628.

[15H. Zannad, P. Stone, précité.

[16P. Scharnitzky et P. Stone, précité.

[17L. Depond, précité.

[18H. Garner-Moyer, précité.

[19O. Jouanjan, « Logiques d’égalité, Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n°4, avr. 2020.

[20Ibid.

[21Ibid.

[22H. Garner-Moyer, précité.

[23Ibid.

[24P. Scharnitzky et P. Stone, précité.

[25Voir min. Économie, 2 nov. 2023, Lancement du fond territorial d’accessibilité

[26Attention : le local n’est pas considéré comme un ERP si l’activité libérale est exercée par l’occupant, même partiellement, dans le même ensemble de pièces que celui de sa vie familiale. Sur ce point, voir not. UrbanLaw Avocats, Les locaux professionnels dans lesquels est exercée une activité libérale constituent un rétablissement recevant du public.

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