En tout premier lieu, il est à prendre acte de la polysémie du substantif, du mot comme l’on disait naguère, mais également de la variété des paradigmes aux seins desquels il est à trouver une place qui lui donnera une finalité sans éventuelle référence commune avec toutes celles qu’il pourra produire.
S’il est un critère, premier, qui soit indéniablement attaché à l’expertise, c’est celui du savoir. Pas d’expert sans savoir ? Dans la stricte acception envisageable de cette interrogation puisse-t-il s’agir d’un axiome ou le principe de la réfutation possible doit-il lui être conservé pour maintenir son caractère de scientificité si tel doit en être de sa qualité ?
Cela conduit d’emblée à s’interroger sur la notion de ce savoir, de la science et de la technique voire de la normativité-technique. Déjà la notion de Savoir [1], avec un « S » majuscule, supporte une ambiguïté confusionnelle en son contenu structurel, de savoir, de savoir-faire, de savoir être et en expertise de Justice de « savoir dire » [2]. La première déclinaison de ce savoir, avec un « s » minuscule, contenue dans celle avec un « S » majuscule, est de nature à traduire une mise en dynamique des connaissances initiales, des informations détenues, celles-ci à observer comme des éléments de bases, statiques, sans signification autre que celle qui la constitue. Ce savoir qui se décline comme ci-avant est une exploitation ordonnée visant, par sa mise en œuvre dynamique, à satisfaire un objectif souhaité. Ce savoir va s’intégrer dans une exploitation technique permettant, selon des règles déterminées, de réaliser des actions et des objectifs répétitifs, ou non, mais répondant à des critères qualitatifs contrôlables. Cela ne sera permis que parce qu’un corpus de connaissances théoriques, la science [3], reconnues par une communauté [4] dite scientifique, aura permis d’asseoir et de se référencer à des règles supposables, universelles au moins en notre dimension maitrisée de notre cosmos. Pour l’expertise, il convient de s’arrêter à ce niveau et non pas d’anticiper vers la notion de recherche [5] qui invite à la nécessité d’imagination et non plus à se satisfaire des seuls faits objectifs constatables. Un chercheur ne sera donc peut-être pas nécessairement un bon expert.
Outre la notion de paradigme expertal qui est de nature à devoir être considérée par le domaine de la sociologie [6], pour laquelle il sera à s’interroger de sa qualité même de science, et de quelle nature de science [7], c’est vers la finalité d’usage de l’expertise qu’il sera à s’orienter pour en définir l’éventuelle structure fonctionnelle.
Le caractère de polysémie du vocable n’est pas, tant que cela, une contrainte, une difficulté, un possible obstacle à un bon usage, à une bonne référence et compréhension si, systématiquement, est associé un adjectif qualificatif délimitant la sphère de considération. Éventuellement se manifestera la nécessité d’adjonction, plus ou moins systématique, d’une note de bas de page de définition. Pour autant, la qualité de cette référence commune, même aussi restrictive qu’elle puisse être envisagée, impose que le socle initial d’expression soit strictement commun et produise un réel rattachement à la notion de pensées, les plus variables possibles, que celui-ci permette.
Un deuxième point qui devrait revêtir la même stricte rigueur est celui visant à déterminer si la fonction d’expertise emporte, ou non, un caractère de libre arbitre de la part de son auteur ? Là on en arrive à la problématique de notre thématique périodique de l’expertise de Justice mais dont le principe est de nature à être étendu, tel que, ou non, à tous les autres domaines. A qui appartient-il de se forger une opinion, sa propre opinion, son appréciation souveraine, sa conviction, son intime conviction ? Pour l’expert de Justice la réponse est de nature à être limpide et sans ambiguïté possible. L’expert de Justice est impérativement confronté aux notions de neutralité et d’impartialité sous peine de nullité de ses travaux. De la sorte ceux-ci ne peuvent nullement être homologués ou entérinés sans être repris dans des débats contradictoires les soumettant à la critique et à la motivation de la suite leur étant donnée.
Si la réponse est non, cela induit que la fonction d’expertise puisse n’être initialement que partielle, en fonction des éléments détenus, et impose éventuellement une nécessité d’allers-retours, entre le ou les bénéficiaires de l’expertise et le, ou les experts selon que l’instruction reprise par l’éclairage produit impose, ou non, de nouveaux éclairages à l’exploitation de ceux déjà formulés. Ne s’agirait-il pas déjà d’une forme de « contradictoire » [8], et non de pouvoir, qui s’exprime, que cela puisse concerner une fonction de jugement ou celle de décision ? L’expert ne produit pas d’axiome. De façon accessible pour tous il met en adéquation le contenu des faits, non directement exploitables, lui étant soumis et les règles scientifiques, techniques, normatives-techniques l’encadrant et le rendant ainsi exploitable. Il n’est donc pas de la compétence de l’expert de modifier les paramètres de la problématique lui étant soumise. Il ne peut, il ne doit, s’en tenir qu’aux faits lui étant portés. Pour autant l’expert n’intervient pas mathématiquement comme un logiciel. Sa compétence propre se manifeste en premier lieu par sa capacité d’interprétation scientifique dans la juste factualisation à produire des faits pour les rendre compatibles à l’exploitation par la science. Inévitablement la question du temps disponible, et nécessaire, pour poursuivre l’œuvre, ayant initié le recours à l’expertise, se posera et chacun est en mesure d’identifier tous les aléas d’importance ou secondaires pouvant se produire. Plus que toutes autres interrogations à formuler il serait de nature à concevoir que ce puisse être un caractère d’éthique, subjectif par définition, qui puisse alors prévaloir dans cet exercice expertal.
Les principales finalités [9] exprimées, pour l’usage de l’expertise, sont essentiellement le jugement, et pas exclusivement en matière de Justice, et la décision. Il n’est pas certain qu’il faille se satisfaire de ces deux seuls critères même s’ils sont prégnants dans l’utilisation qui en est faite. Consécutivement pourrait également se poser l’interrogation de la qualité d’usage des travaux [10] de l’expertise [11] au regard de leurs propres et inversement.
Combien d’exemples seraient à citer, voire à étudier ? En cela il est déjà à se reporter au domaine récent de la situation sanitaire de la covid-19 pour laquelle Etienne Klein [12], directeur de recherche au C.E.A. et philosophe des sciences, a produit ouvrages, conférences et vidéos sur cette thématique, sur cette exceptionnelle opportunité manquée d’associer les citoyens, alors en demande, au partage d’une culture rendue accessible, compréhensible et soumise à un réel débat public d’intérêt général.
Ce contexte concret, et encore récent, a-t-il été l’objet du recours à des experts, et à leur expertise, ou à celui de spécialistes, supposables ou effectifs, produisant leur avis [13], de l’ipsédixitisme ou de l’ultracrépidarianisme ?
Si pour la Justice la référence de fond est celle du bloc de Constitutionnalité, et notamment la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen [14] du 26 août 1789, en matière de décision, publique, privée, de quelle qu’importance que ce soit, elle emprunte à l’expression du principe de la « démocratie » qu’elle soit Institutionnelle, publique ou « privée ».
C’est avant tout au regard de ces deux critères que la notion d’expertise mériterait sa juste qualification renvoyant à la notion de spécialistes, quel qu’en soit le degré de compétence et de performance, toute autre forme de recours dont éventuellement avec une possible capacité de libre arbitre dans les conclusions à produire. Pour l’expert de Justice la question même du libre arbitre est fondamentalement incompatible en ce que la fonction de juger ne peut se déléguer.
La réelle problématique fondamentale qui se présente, du fait même de la nature humaine, porte sur le contexte de soumission qu’induit le savoir auprès duquel il est fait recours et qui confère de facto, à son détenteur, un critère de pouvoir [15] sur le requérant. La régulation de cet état de fait ne découlera pas d’un recours aux lois de la nature mais probablement du seul caractère d’éthique qui reste globalement de seule appréciation individuelle.
Le seul volet probable qui puisse donc s’envisager peut-il être celui « Humain » voulu, d’application du contrat sociétal, social, établi par l’édiction de nos textes les plus fondamentaux ? Ne sera-t-il pas confronté à des tentatives de dénaturation ? Est-ce à dire que la stabilité juridique du processus expertal puisse, ou doive, être variable selon le temps et selon les lieux ?
Pour en revenir à notre propos qui soit celui de l’expertise de Justice la notion de pouvoir induite par le savoir ne peut prévaloir, sauf à être sanctionnée. Cependant n’est-elle pas, sous une forme ou une autre, plus ou moins, admise au nom d’un certain critère de « paix sociale », de sécurisation à satisfaire de la présence garantie d’experts, d’institutionnalisation d’un entre-soi, conscient ou inconscient ?
La conséquence de ces deux facteurs, intangibles, est que l’expertise de Justice produite ne soit pas une réponse, à des interrogations, qui soit de facto exploitable es qualité. Il ne s’agit que de la traduction-interprétation d’une partie inexploitable, temporairement extraite de l’ensemble de l’affaire, par manque de connaissances spécifiques, et pouvant être pleinement reprise en instruction, par son insertion nouvelle, étant devenue exploitable, dans l’affaire, à l’instar de ce qu’il aurait été possible de le réaliser directement si les Juges et les Parties avaient détenu les savoirs de l’expert de Justice.
N’est-il pas à constater que la réelle problématique porte sur les trois facteurs du « principe de facilité », « d’économie de temps » et de « limitation des coûts » en opposition avec ceux l’intérêt général composé de ceux des justiciables, de la société et de la Justice ?
L’ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit - Aristote.
Le justiciable affirme, l’expert doute, le juge réfléchit.