L’audition de l’enfant en France : un droit trop souvent ignoré ?

Par Sylsie Albertelli, Avocate.

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Explorer : # audition de l'enfant # droit de l'enfant # discernement # protection de l'enfance

L’audition de l’enfant en France, droit fondamental reconnu par les textes internationaux, est paradoxalement trop souvent ignorée. Si la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) et d’autres textes européens consacrent le droit de l’enfant à exprimer son opinion, son application effective se heurte à des obstacles majeurs.
Le concept de discernement, essentiel pour déterminer si un enfant peut être entendu, est interprété différemment selon les États, créant des disparités de traitement. En France, l’audition de l’enfant est soumise à l’appréciation des juges, souvent influencée par l’âge et le contrôle parental. Divers mécanismes existent, tels que l’audition en justice, les groupes de parole et des initiatives innovantes comme la "valise des mots", mais leur efficacité est limitée. Comparée à d’autres pays européens, la France accuse un certain retard dans la prise en compte de la parole de l’enfant. L’affaire Amandine, tragique exemple de l’échec du système de protection de l’enfance, souligne l’écart entre le droit théorique et la réalité. Ainsi, la France doit repenser ses pratiques, s’inspirer des modèles étrangers et renforcer les initiatives existantes pour garantir une réelle écoute de l’enfant.

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1. Un droit fondamental reconnu par les textes internationaux et européens.

L’audition de l’enfant en justice repose sur un cadre juridique international qui garantit à l’enfant une reconnaissance en tant que sujet de droit. Ce droit a été consacré par plusieurs textes fondamentaux :

  • Article 12 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) de 1989 : l’enfant capable de discernement a le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant.
  • Convention Européenne sur l’Exercice des Droits des Enfants (1996) : met en avant le droit de l’enfant à être informé, consulté et à exprimer son opinion.
  • Règlements Bruxelles II bis et ter : insistent sur la nécessité de donner à l’enfant la possibilité réelle et effective d’exprimer son opinion dans les procédures qui le concernent.
  • Convention de La Haye de 1996 : permet aux juges de refuser la reconnaissance d’une décision si l’enfant n’a pas eu la possibilité d’être entendu.

La notion de discernement et son application en Europe.

La reconnaissance de ce droit s’accompagne toutefois d’une notion clé : le discernement de l’enfant. Or, cette notion est appliquée différemment selon les états :

  • France : l’enfant capable de discernement peut être entendu par le juge [1], mais sans seuil d’âge précis, ce qui laisse une grande marge d’appréciation aux magistrats.
  • Espagne et Italie : l’audition est de droit à partir de 12 ans.
  • Allemagne : les enfants sont auditionnés dès 3 ans.
  • Royaume-Uni et Australie : l’enfant a un représentant distinct de ses parents.

Une étude menée en France a révélé que dans de nombreuses juridictions, le critère du discernement est évalué uniquement en fonction de l’âge, bien que la Cour de cassation ait jugé que cela ne pouvait être le seul critère. Il en résulte une grande disparité de traitement des enfants selon les tribunaux.

2. Les différents mécanismes d’audition de l’enfant en France.

Plusieurs dispositifs existent pour recueillir la parole des enfants, que ce soit dans le cadre judiciaire ou dans des démarches extrajudiciaires :

L’audition en Justice.

  • Devant le Juge aux Affaires Familiales (JAF) : l’enfant peut être entendu en cas de divorce ou de séparation des parents sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale.
  • Devant le juge des enfants : dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative ou d’une procédure pénale impliquant un mineur.
  • Avec un avocat d’enfant : l’avocat joue un rôle clé dans la protection des droits de l’enfant en l’assistant dans son audition et en défendant ses intérêts.

Les auditeurs d’enfants : une approche conventionnelle.

En dehors du cadre judiciaire, des auditeurs d’enfants formés peuvent recueillir la parole de l’enfant dans le cadre de médiations ou de procédures amiables, notamment dans les affaires familiales où l’expression des sentiments de l’enfant peut être déterminante.

Les groupes de parole pour enfants de parents séparés.

Plusieurs structures développent des groupes de parole permettant aux enfants de parents séparés d’exprimer leurs émotions et d’être accompagnés dans cette transition difficile :

  • Familya [2],
  • UDAF (Unions Départementales des Associations Familiales) PEP’S - Groupes de parole d’enfants de parents séparés,
  • Le centre de la médiation et de la famille : mes parents se séparent et moi dans tout ça.

Ces espaces d’échanges permettent aux enfants d’exprimer leur ressenti sans pression et de bénéficier d’un accompagnement adapté.

La "valise des mots" : une initiative inspirante.

À Lille, la "valise des mots" est un dispositif novateur mis en place par une médiatrice, Madame Audrey Ringot, Codirectrice de l’association Avec des mots médiation visant à libérer la parole des enfants à accueillir son regard, son expérience de la séparation de ses parents à travers des jeux et des activités ludiques encadrées par des professionnels de l’enfance et du droit [3].

3. Comparaison avec le droit étranger : La France en retard ?

En Europe et à l’international, plusieurs systèmes permettent une meilleure prise en compte de la parole de l’enfant :

  • En Allemagne et en Suisse : l’audition de l’enfant est quasi-systématique en cas de séparation parentale.
  • Au Royaume-Uni : un système d’assistance et d’évaluation indépendante de la parole de l’enfant est mis en place.
  • En Espagne et en Italie : des psychologues et experts en protection de l’enfance encadrent systématiquement les auditions.
  • Au Québec : la parole de l’enfant est recueillie dans le cadre d’une approche centrée sur l’enfant, avec des juges spécialisés et des intervenants psychosociaux dédiés.
  • En Belgique : l’expertise collaborative permet à l’enfant d’exprimer ses besoins en présence de professionnels pluridisciplinaires.

4. Un droit théorique mais une effectivité incertaine.

Un droit sous le contrôle des parents et des juges.

Si le droit de l’enfant à être entendu est reconnu, son application est largement conditionnée par la volonté des adultes. En pratique :

  • Les parents influencent souvent l’expression de l’enfant, voire empêchent son audition.
  • Les juges restent réticents à donner du poids à la parole des mineurs, estimant qu’ils sont manipulables.
  • L’information des enfants sur leur droit à être entendus est insuffisante.

Une étude réalisée en France sur l’application de l’article 388-1 du Code civil a révélé que dans plus de 30% des cas, les enfants n’étaient pas informés de leur droit à être entendus.

L’affaire Amandine : quand le système échoue.

L’actualité récente a mis en lumière les failles du système de protection de l’enfance.

Le meurtre d’Amandine par sa propre mère a révélé un échec collectif. Comment une enfant vivant un quotidien d’atrocités, dont l’entourage scolaire et les voisins avaient recueilli les confidences, a-t-elle pu rester auprès de son bourreau ?

Ce drame illustre tragiquement le fait que si l’enfant est entendu, il n’est pas toujours écouté.

La question se pose alors : le droit à être entendu dans les affaires qui le concernent est-il réellement effectif ou reste-t-il un principe vidé de sa substance ?

5. Conclusion : vers une réelle écoute de l’enfant ?

Les statistiques démontrent une grande disparité dans l’application du droit à l’audition de l’enfant. L’absence de mécanismes garantissant que l’enfant soit informé de son droit constitue un obstacle à son effectivité.

Repenser nos pratiques, s’inspirer des modèles étrangers et multiplier les initiatives comme les groupes de parole ou "La valise des mots" pourraient être des solutions pour enfin écouter les enfants, et pas seulement les entendre.

Sylsie Albertelli, Avocate
Barreau de Lyon
Selarl Albertelli et Associés
https://www.albertelli-associes.fr/
Fondatrice d’Avocat Pulse, la communauté des Avocats augmentés
Groupe Pulse - Workpulse et Neuropulse

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[1Article 388-1 du Code civil.

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