En principe, les droits de succession sont payés comptant lors du dépôt de la déclaration de succession qui intervient dans les six mois du décès. Mais par dérogation à la règle, les droits de succession peuvent faire l’objet d’un paiement fractionné ou différé.
Lorsqu’un héritier recueille des biens en nue-propriété, il peut demander le paiement différé des droits de succession au décès de l’usufruitier. Ce paiement différé des droits de succession sera mis à sa charge au décès de l’usufruitier avec dispense d’intérêts, en contrepartie d’un calcul de leur montant sur la valeur imposable en pleine propriété au décès.
En effet, selon les dispositions de l’article 404 B du CGI, le bénéficiaire du paiement différé peut être dispensé du paiement des intérêts, à la condition que les droits de mutation par décès soient assis sur la valeur imposable, au jour de l’ouverture de la succession, de la propriété entière des biens qu’il a recueillis. Le paiement différé des droits de succession au décès de l’usufruitier est donc accordé sur demande et le nu-propriétaire a alors le choix entre le paiement différé des droits, assis sur la valeur imposable, au jour de l’ouverture de la succession, de la nue-propriété des biens recueillis, avec versements d’intérêts annuels, ou le paiement différé des droits, assis sur la valeur imposable de la propriété entière de ces biens, avec dispense d’intérêts. L’élargissement de l’assiette à l’entière propriété des biens constitue ainsi la contrepartie de la dispense du versement d’intérêts.
Au cas d’espèce, au décès de son époux en 2015, sa veuve a opté pour l’usufruit de la succession et les deux enfants ont reçu la nue-propriété des biens. La déclaration de succession, adressée par le notaire chargé de la succession, et enregistrée en 2017, était accompagnée d’une demande des nus-propriétaires tendant à obtenir l’autorisation de différer au jour du décès du conjoint survivant le paiement des droits de succession et le bénéfice d’une dispense du paiement des intérêts ayant couru sur les droits de succession, en contrepartie d’un calcul de leur montant sur la valeur imposable, à la date du décès, de la propriété entière des biens recueillis et non de la seule nue-propriété.
Cette demande ayant été acceptée par l’administration fiscale par lettre recommandée du 4 janvier 2017, les nus-propriétaires ont, par lettres de leur notaire du 15 février et du 3 avril 2017, demandé la rectification de la demande initiale, en indiquant opter pour le paiement différé des droits calculés sur la valeur de la nue-propriété des biens, sans être dispensés du paiement des intérêts. L’administration fiscale a rejeté cette demande au motif que l’option prise lors du dépôt de la demande de paiement différé des droits de succession était irrévocable.
Les intéressés ont donc assigné l’administration fiscale aux fins d’obtenir l’annulation de cette décision de rejet. La question se pose donc de savoir si l’option exercée en faveur d’un paiement différé sans intérêts pouvait être révoquée dans le délai général de réclamation, étant entendu que l’administration fiscale avait adopté une position dans ses commentaires publiés au BOI-ENR-DG-50-20-30 n° 150, 6-12-2017, indiquant que l’option pour ce régime est irrévocable et fait perdre définitivement aux successibles la possibilité de se placer sous le régime du paiement différé avec intérêt, même si la cession des biens intervient peu de temps après l’option.
Les intéressés soutiennent que l’administration fiscale ne peut opposer aux contribuables sa propre doctrine, laquelle n’est susceptible de s’appliquer qu’au profit des contribuables et non à leur détriment et que la doctrine prévoyant que l’option exercée par des héritiers pour le paiement différé des droits de succession sans intérêts calculé sur la valeur en pleine propriété des biens recueillis en nue-propriété dans la succession était irrévocable, n’était pas favorable aux contribuables.
Pour les contribuables, l’article 404 B à l’annexe III au Code général des impôts se contente de prévoir que les héritiers qui ont reçu des biens successoraux en nue-propriété peuvent être dispensés du paiement de ces intérêts, dès lors que les droits de succession dont le paiement est différé sont calculés sur la valeur en pleine propriété des biens qu’ils ont recueillis ; cet article ne précisant pas que l’option exercée en faveur d’un tel paiement différé sans intérêts ne serait pas révocable. Ils ajoutent que même en l’absence de texte exprès en ce sens, un contribuable peut révoquer une option à durée indéterminée, dès lors qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne fait obstacle à cette renonciation et que l’option a été instituée à son avantage.
Cependant, ces arguments n’ont convaincu, ni la Cour d’appel de Paris, ni la Chambre commerciale de la Cour de cassation, cette dernière ayant rejeté le pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’appel de Pais.
Pour la Cour de cassation, comme pour la Cour d’appel de Paris, l’option offerte au contribuable entre le paiement différé des droits, assis sur la valeur imposable, au jour de l’ouverture de la succession, de la nue-propriété des biens recueillis, avec versement d’intérêts annuels, et le paiement différé des droits, assis sur la valeur imposable de la propriété entière de ces biens, avec dispense d’intérêts, qui ne constitue pas un avantage fiscal offert au contribuable mais une option pour le paiement d’une imposition, implique un choix irrévocable du contribuable.
Cette solution confirme ainsi la position prise par l’administration fiscales dans ses commentaires (Rép. Mesmin : AN 29-7-1991 n° 39432 ; BOI-ENR-DG-50-20-30 n° 150, 6-12-2017) qui indiquaient que l’option pour ce régime est irrévocable et fait perdre définitivement aux successibles la possibilité de se placer sous le régime du paiement différé avec intérêt, même si la cession des biens intervient peu de temps après l’option.
Cette décision nous semble trop sévère. La Cour de cassation aurait dû, comme le soutenaient les contribuables, considérer qu’une telle option pouvait être révoquée lorsque cette révocation intervient dans le délai général de réclamation.
Cour de cassation - Chambre commerciale 13 mars 2024 / n° 22-16.190.