Legal Ops, une fonction venue d'Amérique du Nord...

Legal Ops, une fonction venue d’Amérique du Nord...

Propos recueillis par la Rédaction du Village de la Justice

6326 lectures 1re Parution: Modifié: 4.8  /5

Explorer : # legal ops # optimisation des processus # stratégie d'entreprise

La fonction Legal Ops vient d’Amérique du Nord et "débarque" depuis quelques années en Europe et en France... avec un périmètre un peu différent, nous allons le voir.
Legal Ops ? Une fonction très transverse en direction juridique ou cabinet d’avocats, qui couvre le management, l’organisation des process, la technique, la gestion de données voire le budget de la direction juridique.
Ce métier couvre aussi, pour le département juridique : la gestion de projets, la gestion des cabinets et de la dépense externe, le soutien à la stratégie, le développement professionnel des équipes, la communication interne, la gestion du savoir et du savoir-faire y compris la recherche juridique.
Pour en parler et voir "comment ça se passe" outre Atlantique, nous avons rencontré Laurie David-Henric, "Head of Legal Ops & Strategy" (donc responsable du département LegalOps) pour le groupe international Manulife.
Compte-rendu de notre conversation à bâtons rompus... et proposition d’une rencontre-débat en visio (voir en fin d’article).

-

J’ai été juriste d’affaires spécialisée corporate, Managing Director du bureau français d’une multinationale dans le monde de la finance, puis fait de la gestion de projets internationaux dans le domaine règlementaire. Enfin, j’ai créé la fonction d’optimisation des processus opérationnels au niveau du groupe. J’utilise l’ensemble de ces compétences aujourd’hui pour mon métier de Legal Ops, ce qui démontre la pluralité disciplinaire que ce métier recouvre.

Laurie David-Henric, avec qui nous avons longuement échangé en visio.

Mon équipe est composée de 10 personnes (en plus de moi) pour le moment, avec encore un certain nombre de postes vacants pour lesquels je recruterai une fois que j’aurai une meilleure visibilité sur mes besoins opérationnels.
Grâce au concept de « matrix line reporting », j’ai de plus accès à une équipe d’experts en Asie de plus de 130 personnes, grâce à laquelle j’espère pouvoir apporter un soutien plus grand à l’ensemble de nos équipes mondiales.

A ma connaissance j’ai l’une des plus grosses équipes au Canada et parmi les plus grosses d’Amérique du Nord. À noter que Toronto est très « américain » et par exemple, les Legal Ops au Québec sont moins développées semble t-il. Je ne sais pas pour la côte ouest du Canada mais sauf erreur de ma part, la section de Toronto du CLOC [1], que nous avons relancé il y a deux semaines, était le plus important pré-covid.

Comment s’est déroulée votre prise de fonction ?

En 100 jours j’ai surtout fait un tour d’horizon du département et des partenaires clés (Finance, Procurement, RH).
J’ai pris le temps et c’était nécessaire au vu de la taille du groupe, et j’ai aujourd’hui gagné la confiance de mon Directeur juridique, des "leaders" de département aussi, et trouvé une légitimité par ma connaissance d’une société qui a quand même 150 ans d’histoire !

J’ai restructuré l’équipe en permettant à des talents de changer de missions, en les faisant évoluer.

J’ai organisé mon équipe en quatre piliers, qui correspondent chacun à un point de focus identifié grâce à mon tour d’horizon. C’est pour cela que j’ai gagné le soutien immédiat de mon GC [2] : mon analyse, et le livrable qui s’en est suivi, étaient totalement alignés avec les besoins et avec sa vision stratégique :
- Gestion des avocats externes / gestion de la dette externe / gestion des dossiers en interne ;
- Transformation et optimisation digitale et des processus ;
- Gestion de projets et de la stratégie ;
- et (assez original en Legal Ops) : le "People Enablement ", qui couvre la gestion des savoirs et du savoir-faire, diversité, équité et inclusion.

Quelles sont les profils et compétences dans votre équipe ?

"Une moitié seulement des Legal Ops vient de fonctions juridiques ou paralegal."

Il y a peu de juristes, c’est un choix et une réalité : une moitié seulement des Legal Ops vient de fonctions juridiques ou paralegal. On cherche surtout des personnes qui ont des compétences ou appétences naturelles pour l’organisation et la recherche d’efficacité. Il n’y a pas de ’CV-type’ pour un Legal Ops, il faut sortir de son parcours traditionnel pour valoriser ses compétences naturelles à aider d’autres départements de l’entreprise.

Venons-en au sujet qui nous questionne tous : qu’est-ce qu’un(e) "Legal Ops" ?

Je constate que les Legal Ops commencent (enfin !) à se développer dans mon pays natal, la France, et en Europe.

Les Legal Ops se sont développés il y a environ 12/15 ans dans la Silicon Valley et depuis, c’est un must have dans toutes les entreprises Tech et, de plus en plus, dans tous les autres secteurs, dont la finance et l’assurance, desquels je suis issue. Les Legal Ops sont nées bien avant, mais c’est le moment où elles ont vraiment gagné en professionnalisme et ont commencé à devenir une véritable fonction recherchée par les entreprises les plus visionnaires.

Ma définition des Legal Ops : Les "Opérations Juridiques" sont un peu comme un chef d’orchestre. Elles sont le lien qui permet d’inscrire le département juridique verticalement et horizontalement au cœur de l’entreprise.

"Les Opérations Juridiques permettent également de gérer le Département Juridique comme un business."

Les Opérations Juridiques permettent également de gérer le Département Juridique comme un business, et d’ainsi le transformer de « département du ‘non’ qui ne fait que coûter de l’argent », en un partenaire stratégique qui contribue activement à la réalisation de objectifs de croissance de l’entreprise et à la génération de revenus supplémentaires.
En anglais, je dis souvent que les “Legal Operations are not about the practice of Law but about how the Law is practiced”.

Les Legal Ops sont bien plus que de l’automatisation et de l’optimisation de tâches administratives, même si c’est l’une des premières choses à laquelle on peut penser quand on ne connait pas le métier.

Exemple classique de nos activités, aider à ne pas passer du temps sur des revues de NDA [3] si fréquentes, que l’on peut travailler avec de l’intelligence artificielle ou des modèles.
C’est aussi une question de coût, par rapport au tarif d’un avocat ou à un salaire de juriste.
Mais aussi, et presque avant tout, comment fait-on pour positionner la DJ comme partenaire stratégique du business ?
Ici, le directeur juridique fait souvent partie du Comex (je sais que c’est encore trop rare en France), et s’il n’y est pas, il y a un problème de logique : s’il en fait partie, alors il a accès à la stratégie globale de l’entreprise et peut mieux positionner ses équipes en soutien stratégique de l’entreprise - c’est bien ça être un business partner...
Le directeur juridique a ensuite besoin ça de Legal Ops pour mettre en musique ce positionnement.

"Le tout est d’avoir un(e) directeur/rice juridique visionnaire qui souhaite (...) valoriser sa DJ et en faire un membre actif de la "suite executive". "

Cette fonction est créée par des entreprises avec une vraie vision, mais aussi une stratégie d’optimisation budgétaire : de la start-up à la société centenaire (comme la mienne), le tout est d’avoir un(e) directeur/rice juridique visionnaire qui souhaite optimiser le budget de son département, accroitre l’efficacité de ce dernier de sorte à le valoriser, en faire un membre actif de la "suite executive" et un partenaire naturel du CEO.

Concrètement, mon directeur juridique - auquel je reporte directement- a connaissance des objectifs 2023 du groupe de par sa présence au Comex et me les a partagé pour que l’on traduise et soutienne ces objectifs.

Nous avons donc organisé des réunions auprès de leaders juristes pour qu’ils réfléchissent comment soutenir et participer à réaliser les objectifs communs à tous.
Notre fonction de Legal Ops doit aider à la réalisation des objectifs, par la technologie ou l’organisation, les processus, ou encore l’arbitrage sur le recours aux conseils externes, etc.

"Nous sommes à la croisée de la stratégie et des opérationnels."

Vous voyez ? Nous sommes à la croisée de la stratégie et des opérationnels.

Une évolution en Amérique du nord : en fait peu de Head of Legal Ops sont aussi Chief of Staff to the GC, mais c’est une tendance qui apparait de plus en plus dans les entreprises où le poste devient encore plus stratégique, une sorte de bras droit du GC [4].

Nos partenaires internes sont les départements IT, procurement (gestion des achats et négociation de contrats), financier (nous avons ainsi accès à tous les chiffres et gérons les aspects financiers de façon très opérationnelle dans la DJ).
Nous prenons également en compte d’autres sujets de personnels (inclusion, diversité, formation...) qui sont souvent réalisés de façon très isolée ailleurs.

J’ai donc une "big picture" : une vision d’ensemble, avec en tête les idées et besoins de chacun... et la stratégie globale que l’on vise.
Le but : une vision et une action plus globales, plus impactantes, et c’est très important dans des sociétés internationales, avec des fuseaux horaires très étalés, encore plus en temps de Covid où l’Asie est encore verrouillée (mais ça peut se produire pour d’autres raisons, comme des guerres ou catastrophes naturelles).

Les "Opérations Juridiques" apportent un retour sur investissement rapide, et souvent mesurable après 1 à 2 ans selon le travail à faire.

Quelles différences voyez-vous avec les Legal Ops qui commencent à se créer en France ?

Vous êtes davantage sur du consulting en France, n’est-ce pas ? (NDLR : Laurie David-Henric entend par là des missions à durée déterminée, gérées par des équipes-projets montées pour l’occasion, souvent externes).
Alors qu’ici c’est un vrai métier, à part entière et permanent en interne. Ce n’est pas juste un "nice to have" mais un sujet de mise en place de la stratégie.

Par ailleurs, j’ai l’impression qu’en France l’on parle souvent de technologie dans ces missions. Ce n’est pas forcément faux, mais c’est juste un moyen d’arriver à nos fins... pas la première nécessité à chaque fois.

Ici il y a très peu de sous-traitance de Legal Ops externes ; il y a des consultants externes sur des sujets précis bien-sûr, comme le choix d’une technologie. C’est donc moins "en amont" il me semble et moins stratégiquement que le Legal Ops externalisé agit.

Je crois vraiment que si le Legal Ops est en interne, l’engagement humain des équipes peut être amélioré bien au-delà de l’usage de la technologie en tant qu’outil.

Autre grande différence, j’y reviens : l’avantage et l’efficacité d’un Legal Ops est réduit si le directeur juridique auquel il reporte n’a pas accès au Comex... et donc à la stratégie.

En Amérique du Nord la fonction est plus mature mais aussi plus valorisée et perçue pour sa vraie valeur ajoutée, de telle sorte que les très bons Legal Ops sont une denrée rare car il n’y a encore aucun cursus ni diplôme, et du coup le marché fait monter les prix, surtout aux USA.

Je dirais donc, sans vouloir dévaloriser ce qui se passe pour le moment en France, que le métier est plus mature qu’en Europe... mais il nous reste encore beaucoup de choses à faire !


Pour vous permettre d’aller plus loin dans les échanges sur ce sujet par des questions, le Village de la Justice vous propose une visioconférence pour échanger avec Laurie David-Henric, Cécile Tylka (Membre de la commission LegalOps de l’AFJE) et Aude Dorange (Rédaction du Village de la Justice et Présidente du Prix de l’innovation des Directions Juridiques) .
L’inscription est gratuite et ouverte à tous !

Information RGPD : ces informations sont enregistrées par notre outil de visio-conférences Livestorm. Livestorm et Legi Team (éditeur du Village de la justice) respectent la règlementation RGPD. Vous disposez de tous recours habituels sur simple demande ici et vos informations ne seront pas communiquées ni réutilisées en dehors de vous alerter sur la date de notre conférence en ligne.

Propos recueillis par la Rédaction du Village de la Justice

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

5 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1Réseau des Legal Ops : https://cloc.org.

[2General Counsel.

[3Accord de non divulgation.

[4General Counsel.

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27871 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs