Les bonnes pratiques d’une stratégie probatoire à l’ère du digital.

Article proposé par un Partenaire

501 lectures 1re Parution: 5  /5

Pour les avocats et les juristes d’entreprise, la preuve constitue indéniablement le pivot stratégique de toute action contentieuse. Qu’il s’agisse de défendre une position ou de mener une attaque, la réussite repose sur la capacité à constituer des dossiers de preuves solides, recevables devant les instances compétentes. Dans le cadre d’un différend opposant deux parties, l’enjeu réside dans un jeu d’équilibre subtil entre l’affirmation de la recevabilité des preuves apportées et l’identification des failles potentielles dans celles avancées par la partie adverse. C’est un exercice d’équilibriste qui se complexifie à l’heure où la preuve se dématérialise et se falsifie à toute vitesse sous l’effet des nouvelles technologies.

-

Contrats électroniques, données dans le cloud, messages instantanés... Les sources de preuve se multiplient et se diversifient, bousculant les schémas traditionnels. Face à cette nouvelle donne, les professionnels du droit doivent repenser leur approche et se doter d’une véritable stratégie probatoire pour améliorer leurs chances de gagner un contentieux.

L’objectif est de garantir la recevabilité et la force de leurs preuves numériques tout au long de leur cycle de vie, de la collecte à la restitution en passant par la conservation. Il s’agit d’un défi technique et juridique qui appelle des réponses concrètes, combinant bonnes pratiques organisationnelles et solutions technologiques éprouvées.

Prendre la mesure des enjeux

Aujourd’hui, la majorité des entreprises européennes ont fait un grand bond en avant dans leur transformation numérique, avec un taux d’adoption des technologies digitales qui a explosé ces dernières années [1]. Cette bascule dans l’ère numérique rebat les cartes de la preuve et soulève des questions inédites pour les juristes. Quelle valeur accorder aux documents électroniques en cas de litige ? Sous quelles conditions une preuve numérique sera-t-elle recevable devant une partie adverse ou un juge ?

Rappelons qu’en France, un écrit numérique aura la même force probante qu’un écrit papier dès lors que deux conditions sont réunies : l’identification de l’auteur et l’intégrité du document. Au niveau européen, le règlement eIDAS a créé un socle commun pour la reconnaissance transfrontière des preuves numériques : horodatage qualifié, signature électronique, cachet électronique... Les documents certifiés via prestataires des services de confiance bénéficient d’une présomption de fiabilité et constituent des preuves à très forte valeur probante.

Cartographier ses risques et vulnérabilités

Pour répondre à ces défis, la première étape consiste à qualifier le niveau de force probante requis au regard du type de contentieux potentiel. Les enjeux ne seront pas les mêmes selon si l’on stocke des contrats commerciaux, des dossiers RH ou des données de R&D confidentielles. Cette hiérarchisation permettra de concentrer ses efforts là où les besoins probatoires sont les plus stratégiques.

L’idée est aussi d’anticiper les nouvelles menaces qui pèsent sur l’intégrité des preuves numériques. Avec la montée en puissance de l’intelligence artificielle et des deepfakes, l’authentification des identités et documents devient un vrai casse-tête. À plus long terme, l’ordinateur quantique pourrait remettre en cause les méthodes de chiffrement actuelles, fragilisant tout l’édifice probatoire. Autant de risques émergents qu’il faut intégrer dans sa stratégie.

Miser sur les bons réflexes

Concrètement, quelles bonnes pratiques faut-il adopter pour muscler un dossier de preuves numériques ?

Le premier réflexe à avoir est d’horodater systématiquement ses documents sensibles dès leur création. L’horodatage qualifié, délivré par un prestataire agréé tel qu’Evidency, permet de garantir avec une haute force probante l’intégrité et la date et l’heure d’existence d’un fichier numérique. C’est un atout précieux en cas de litige sur l’antériorité d’un fait ou d’un document.

Ensuite, il est aussi souvent demandé de pouvoir prouver l’origine et l’intégrité des pièces produites comme preuves. Ici, deux mécanismes issus du règlement eIDAS font référence : la signature électronique qualifiée pour les personnes physiques (signé du nom d’un individu) et le cachet électronique qualifié pour les entreprises (signé du nom d’une entreprise ou d’une organisation). Par des mécanismes de certificat et de cryptographie, ces systèmes permettent d’attester l’identité de l’émetteur et l’intégrité du contenu avec une valeur juridique équivalente à la signature manuscrite.

Enfin, l’archivage sécurisé constitué la dernière brique d’une stratégie probatoire efficace à long terme. Pour conserver la force probante de ses documents numériques dans la durée, le recours à un système d’archivage électronique (SAE) certifié est indispensable. Par exemple un SAE conforme à la norme NF Z42-013 pourra garantir l’intégrité, la lisibilité et la traçabilité des données archivées sur le long terme avec une valeur juridique incontestable. Un tel système constitue un dépôt de preuves solide et pérenne.

Préparer la production des preuves

La constitution d’un dossier probatoire solide est directement liée à la capacité de produire des preuves numériques valables le moment venu. Avoir constitué minutieusement son dépôt de preuves, en respectant toutes les bonnes pratiques d’horodatage, de cachet et d’archivage ne suffit pas toujours. Il faut aussi avoir pensé aux modalités pratiques d’accès et de restitution de ces éléments. Cet aspect, souvent négligé, est pourtant absolument critique pour la suite de la procédure.

Lorsqu’il faudra produire ces preuves devant un juge ou une autorité de contrôle, vous n’aurez pas le droit à l’erreur. Où sont stockées ces données ? Comment y accéder rapidement ? Sous quelle forme les transmettre pour que leur valeur probante ne soit pas remise en question ? Ce sont autant de questions à anticiper en amont pour ne pas se faire prendre de court.
Ainsi un réflexe à avoir est de vérifier régulièrement que les preuves archivées sont facilement accessibles et exploitables par les personnes autorisées et éventuellement de mettre en place une procédure dégradée en cas d’urgence permettant, par exemple, d’activer un accès distant sécurisé à l’archivage.

Anticiper le besoin de réversibilité des données

Enfin, un point trop souvent oublié est celui de la réversibilité des données en fin de période d’archivage. Pouvez-vous rapatrier simplement l’ensemble de vos archives dans un format standard et avec les métadonnées associées (signatures, horodatages, journaux...) ? C’est indispensable pour changer de prestataire ou réintégrer ces données dans votre système d’information. Là encore, exiger des engagements sur la portabilité vous évitera bien des tracas.

Comme on vient de voir, une politique de gestion des preuves numériques ne s’arrête pas à leur collecte et leur conservation. Elle doit intégrer en amont les problématiques très concrètes d’accès et de restitution, sans lesquelles ces dossiers à charge resteront lettre morte.

Fédérer les compétences pour bâtir une stratégie probatoire efficace

Mettre en place des circuits de la preuve numérique sécurisés et performants est une mission aussi exigeante que stratégique pour assurer la protection juridique de l’entreprise à long terme. Cela passe par une collaboration étroite entre les équipes juridiques et informatiques.

D’un côté, les juristes doivent définir le juste niveau d’exigence en termes de force probante, en s’appuyant sur une cartographie fine des risques "métiers". De l’autre, les DSI sont chargées de sélectionner et déployer les solutions techniques les plus adaptées, en veillant à leur bonne intégration dans le système d’information et les processus de l’entreprise.

Ce travail main dans la main est indispensable pour créer un véritable chemin de confiance pour les preuves dématérialisées, de leur création à leur restitution, en passant par leur conservation.

Investir dès maintenant dans une stratégie probatoire proactive et transverse, c’est se donner les moyens de protéger son patrimoine immatériel et de défendre ses intérêts en cas de contentieux liés au numérique, sur des sujets aussi variés que le consentement, la propriété intellectuelle ou l’identification de faux. Disposer d’une telle stratégie est devenu une véritable exigence pour rester compétitif à l’ère digitale.

Stéphane Père, Managing Director Evidency

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

2 votes

Notes de l'article:

[1Eurostat, Digital Economy and Society Index (DESI), 2022 : https://digital-decade-desi.digital-strategy.ec.europa.eu/datasets/desi-2022/charts

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 155 880 membres, 27182 articles, 127 152 messages sur les forums, 2 380 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Parution des statistiques annuelles 2024 sur l'emploi des Avocats et Juristes : l'emploi stagne !

• Publication du Rapport sénatorial "Impact de l’intelligence artificielle générative sur les métiers du droit"... et nécessaire évolution de la pratique du Droit.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs