Le Village de la Justice : Le métier de formaliste a été fortement touché par l’entrée en vigueur d’un bloc important de la loi PACTE [1]. Pouvez-vous nous expliquer l’incidence de cette réforme sur les formalités ?
Dusan Jacimovic : « Bien sûr ! Une réforme importante en effet, avec deux volets de la loi PACTE.
Un premier volet est relatif aux annonces légales, qui sont désormais partiellement forfaitisées.
Un second volet est dédié aux formalités, avec la naissance d’un guichet "unique" pour le dépôt des dossiers.
Ce guichet a vu le jour le 1ᵉʳ janvier 2023, dans des conditions pas simples, dans la mesure où le portail n’avait pas suffisamment pris en compte la complexité de l’écosystème.
Cela a eu pour conséquence de créer très rapidement un goulot d’étranglement, avec pour conséquence des délais difficilement acceptables par les professionnels et les entreprises.
Aussi, une procédure de secours a été mise en place par le Gouvernement dès le mois de février avec le retour sur Infogreffe, afin de donner le temps de finaliser les développements, en prenant en compte toutes les spécificités juridiques ».
Très concrètement, un entrepreneur peut désormais faire seul ses formalités sur le guichet des entreprises.
L’accompagnement par les formalistes reste-t-il plus ou moins indispensable ?
« Le mot clé est celui que vous évoquez : l’accompagnement. Le métier de formaliste a deux aspects. Le premier est d’ordre technique car il est lié à l’expertise et à la complexité administrative et juridique du système français : clairement, faire des formalités légales nécessite une maîtrise de tous les arcanes du système.
Le second aspect relève d’un rapport temps/ressources humaines : la réalisation des formalités est une activité chronophage. C’est la raison pour laquelle les entreprises ou les professionnels du Chiffre et du Droit, qui ont besoin d’économiser du temps et de gagner en productivité, font appel à des prestataires. Et ceci d’autant que le système va continuer à évoluer.
Or, quelle que soit l’ambition de simplification, nous sommes toujours confrontés à la complexité du système, avec des implications sociales, fiscales et juridiques nombreuses que personne ne peut véritablement anticiper.
Pour en revenir à votre question « Est-ce que l’on peut faire soi-même ses formalités ? » La réponse est « Oui, naturellement ». De très nombreuses entreprises réalisent elles-mêmes leurs formalités. Ce n’est pas quelque chose de nouveau : la majorité des formalités réalisées en France le sont en direct et non par l’intermédiaire d’un mandataire.
Le choix de la sous-traitance est lié aux éléments que j’évoquais tout à l’heure : l’expertise d’une part, et le temps d’autre part ».
Le guichet des entreprises a-t-il ou va-t-il avoir un effet sur le marché de l’emploi des formalistes ?
« C’est une très bonne question, derrière laquelle il y a en effet l’idée que les emplois induits par cette activité sont exercés au sein de structures telles que les cabinets d’avocats ou chez des formalistes.
Aujourd’hui, avec le guichet unique, on change de système. Cela nécessite encore plus d’attention parce que le changement, c’est le fait de pouvoir déposer sur une seule et unique plateforme l’ensemble des démarches, pour l’ensemble des entreprises quel que soit leur domaine d’activité.
La nouveauté, c’est la montée en puissance du Registre National des Entreprises (RNE), qui centralise l’ensemble de la data. Selon moi, l’évolution pour les formalistes se situe à ce niveau-là.
Au-delà, la profession est en plein développement. Elle est résolument tournée vers une évolution vers une large palette de services dans le domaine du paralégal. Notre métier évolue doucement vers la conformité juridique, avec un flot d’obligations de plus en plus important.
Aujourd’hui la profession est dans une dynamique de croissance. En termes d’emplois, il y une vraie tension comme dans bien des secteurs. Nous avons beaucoup de mal à recruter, et notamment des experts.
Or, lorsque l’on propose un service à forte valeur ajoutée, la qualité est centrale. Je ne crois pas, sincèrement, que le guichet unique va supprimer des emplois.
En revanche, il va renforcer le savoir-faire et l’expertise en conformité des formalistes. C’est cette expertise, couplée à la technologie, qui contribue à la sécurité juridique des démarches ».
Parlons sécurité des données justement. Quelles sont les garanties apportées par les mandataires ?
« Sur la sécurité des données et la confidentialité, il y a deux sujets importants pour l’avenir du métier. Il y a d’abord le sujet de la certification : dans le cadre des systèmes mis en place, on a besoin de processus extrêmement sécurisés, normalisés et, je dirais même, à terme, labellisés.
Avant le numérique, les données transitaient chez nous et nous n’en conservions que très peu. Aujourd’hui, nos outils consignent l’intégralité des données et des échanges que nous pouvons avoir, tant avec nos clients en input qu’avec les organismes valideurs en output.
La problématique est donc non seulement celle de la sécurité des accès, de l’hébergement des données et de leur conservation, mais aussi celle de la certification de toutes les informations. Clairement, de mon point de vue, cela milite pour la mise en place à terme de protocoles blockchain qui pourraient être la garantie absolue du caractère originel et original de la data ».
Le métier de formaliste pourrait-il ou devrait-il selon vous devenir une profession réglementée ? Avec une déontologie des formalistes notamment ?
« Tous les acteurs disposent d’une assurance en responsabilité civile professionnelle. Mais au-delà de la responsabilité vis-à-vis des clients, nous sommes un rouage dans un écosystème qui doit garantir une fiabilité parfaite des données échangées à tous les niveaux.
Plus largement, je pense qu’il serait judicieux de réfléchir à une réglementation de la profession. Le rôle du formaliste est important dans le cadre d’opérations juridiques parfois sensibles, dans la manipulation et la détention des informations. Notre rôle consiste à récupérer de la data, que l’on va enrichir puis transporter vers les bases de données prévues à cet effet. En conséquence, ce serait une évolution naturelle que celle de réguler le métier ».