[Nouvelle parution] Sambre, l’autre rive.

Le 10 juin 2022 débutait le procès de Dino Scala, père, grand-père apprécié des siens, impliqué dans la vie associative... Et pourtant, ce dernier, désigné par les médias comme "le violeur de La Sambre" a commis de nombreux viols, tentatives de viol et agressions sexuelles sur des femmes, des mineures entre son domicile et son travail le long de la rivière Sambre durant une période allant de 1988 à 2018 [1]. Une longue séquence sérielle qui prend fin en 2018, avec l’arrestation de Dino Scala, ce dernier ayant été confondu par sa voiture lors de sa précédente agression sexuelle commise sur une mineure de 15 ans.

L’affaire Dino Scala a été très médiatisée. Un livre d’abord [2], puis une série télévisée inspirée de ce livre ont mis en avant cette tragédie, humaine, mais également sociétale et judiciaire. Ces fictions s’inspirant de l’affaire Dino Scala ont permis de poser les questions suivantes : comment pendant trente ans, un homme peut ainsi agresser des femmes sans être inquiété ? Comment des jeunes filles, des jeunes femmes osant porter plainte, n’ont pas toujours été entendues, voire dont les paroles ont pu être minimisées ? Comment ont évolué depuis les méthodes d’enquête et le traitement de ces infractions pénales particulières ?

Mais, le procès en lui-même et certaines réalités du dossier n’ont pas été abordés à ce moment-là et, c’est notamment ce à quoi s’attache Margaux Mathieu dans ce livre ; comme elle le dit elle-même, son désir est de « chercher la lumière dans l’obscurité de cette affaire » complexe. Et s’est tout l’intérêt de ce livre, se placer du côté de l’accusé, et plus précisément de sa défense, mettant, pour ainsi dire, le lecteur de l’autre côté de la rive, ce qui donne tout son sens au titre de l’ouvrage.
Au travers du procès de son client, Margaux Mathieu, explique comment elle a été contactée pour défendre Dino Scala, les raisons pour lesquelles elle s’est chargée de sa défense avec sa consœur Jane Peissel. Elle s’attache à expliquer les droits de la défense, le rôle de la défense.
Sont également abordées les carences du système judiciaire, les risques d’erreurs judiciaires. On y parle aussi de la difficulté pour les juges de ne juger que les faits d’un homme sans faire un jugement pour l’exemplarité et que ce jugement soit, à défaut d’être accepté, compris par la société, par les victimes.

Cette affaire montre aussi, que l’ignominie n’est pas toujours l’affaire de monstres, de personnes défavorisées, de marginaux..., mais bien souvent de personnes bien intégrées dans la société, des "Monsieur et Madame Tout le monde" difficiles à détecter. Mais, quelle que soit la personnalité de l’accusé, il faut être prêt à l’entendre, à le défendre et comme l’a dit une des victimes : « à mettre de l’humain dans l’inhumain ».

L’entretien de la Rédac’ avec Margaux Mathieu.

Quelles ont été les raisons qui vous ont incitée à écrire ce livre ?

« Cette affaire criminelle a fait l’objet d’une médiatisation importante, notamment après le procès, du fait de la diffusion de la série télévisée Sambre qui s’en inspire. Le livre commence au premier jour du procès… il raconte ce qui n’a pas été abordé, notamment par la série qui se termine sur l’arrestation du coupable.
Certaines réalités du dossier ont été passées totalement sous silence. Il nous paraissait fondamental de les remettre au cœur des débats : la question de la personnalité des auteurs de violences sexuelles et des causes de ces comportements violents, celle de l’omerta de l’inceste dans la petite enfance de l’accusé. Mais aussi, la question de l’ampleur des violences sexuelles et du nombre d’agresseurs, un sujet encore tabou ».

S’il ne fallait en retenir qu’un seul, quel est selon vous le point fort de votre livre ?

« Il rappelle que le procès d’un homme coupable de violences sexuelles est l’occasion de s’interroger sur notre société et notre système judiciaire et carcéral : comment doit-on traiter ces coupables ? Comment peut-on améliorer la prise en compte de la parole des victimes ? Comment permettre la restauration d’un dialogue, d’un lien social ? C’est un livre qui a vocation à expliquer ce qu’est la défense pénale, à défendre la défense ».

Quel message souhaitez-vous transmettre au travers de votre livre ?

« “Continuez à mettre de l’humain dans l’inhumain, le clivage n’est pas si grand” m’a écrit une victime de Dino Scala après avoir lu notre livre. C’est tout ce que nous souhaitions faire avec ce livre, chercher la lumière dans l’obscurité de cette affaire, et cette femme l’a compris. Être encourager par des victimes de violences sexuelles à mener une défense pénale de manière humaine et digne est la preuve que la restauration du lien social est possible. Il le faut ».

Quel enseignement avez-vous tiré de ce procès ?

« C’est une affaire complexe qui dure depuis 2018 et qui fait l’objet d’une nouvelle instruction. Pour un avocat, c’est un dossier très riche, dense, intéressant. Le procès a été très éprouvant, long et médiatisé, mais il a aussi eu des vertus, notamment grâce aux victimes qui ont trouvé le courage de s’adresser directement à l’accusé. Il y a eu des moments suspendus, que je raconte dans notre livre. La Cour a également reconnu l’existence d’erreurs judiciaires qui ont mené à des acquittements, c’était important que cet homme ne soit pas condamné pour des crimes commis par d’autres hommes, qui sont eux, toujours en liberté ».

Est-il plus difficile de défendre la défense à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux ?

« Après la publication de “Sambre, l’autre rive”, je me suis rendu compte qu’Henri Leclerc, que j’admirais énormément, avait écrit un chapitre intitulé “la défense de la défense” dans un de ses livres il y a des années (« La parole et l’action »). Défendre la défense, c’est une évidence pour les pénalistes qui se transmet de génération en génération. Avec ou sans internet et réseaux sociaux, le serment de l’avocat reste le même : exercer cette belle profession avec dignité, humanité, conscience... C’est sans doute encore plus vrai lorsqu’il s’agit de défense pénale ».

Informations techniques :
Titre : Sambre, l’autre rive,
Auteurs : Margaux Mathieu avec Plana Radenovic,
Editeur : Michalon collection Polars réels,
ISBN : 978-2-347-00350-0
Prix : 18 euros,
Nombre de pages : 168,
Parution : septembre 2024.