Depuis 1844, la Cour de cassation admet le principe d’une responsabilité pour troubles anormaux du voisinage et considère que « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal du voisinage » [1].
Ce trouble anormal est constitué dès qu’il dépasse « la mesure des obligations ordinaires du voisinage » [2].
Le voisin peut tout d’abord être le propriétaire du bien, mais il peut aussi s’agir de son simple occupant. Il peut donc s’agir d’un locataire [3] ou même d’un occupant sans droit, ni titre.
Le trouble anormal du voisinage est étranger à la notion de faute dans la mesure où il s’agit d’une responsabilité de plein droit. Cela signifie que la victime n’a pas besoin de prouver l’existence d’une faute : il lui suffit de prouver le trouble et son caractère anormal. Le Juge doit ainsi seulement rechercher le caractère excessif du trouble invoqué par rapport aux inconvénients normaux du voisinage [4].
En d’autres termes, sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’existence d’une faute, la personne victime des nuisances anormales causées par son voisin peut en obtenir réparation si elle en démontre la réalité et l’origine : « 8. L’action fondée sur un trouble anormal du voisinage est une action en responsabilité civile extra-contractuelle qui, indépendamment de toute faute, permet à la victime de demander réparation au propriétaire de l’immeuble à l’origine du trouble, responsable de plein droit » [5].
La Loi du 15 avril 2024 a finalement codifié la notion de troubles du voisinage à l’article 1253 du Code civil :
« Le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte.
Sous réserve de l’article L311-1-1 du Code rural et de la pêche maritime, cette responsabilité n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités, quelle qu’en soit la nature, existant antérieurement à l’acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien ou, à défaut d’acte, à la date d’entrée en possession du bien par la personne lésée. Ces activités doivent être conformes aux lois et aux règlements et s’être poursuivies dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal ».
Il s’agit souvent du fondement juridique le plus adapté afin de faire sanctionner des nuisances sonores.
S’il s’agit de simples tapages nocturnes (musique, fêtes, etc.), il sera le plus souvent suffisant de recueillir des attestations, des constats d’huissier, des pétitions de voisins pour caractériser l’existence des troubles anormaux du voisinage.
En revanche, pour être constitutifs de troubles anormaux du voisinage, les bruits diffus engendrés par un quelconque appareil devront notamment dépasser des tolérances légales édictées par le Code de la santé publique.
À cet effet, il convient de distinguer les bruits « aériens » et les bruits « solidiens » :
- Les « bruits aériens » sont des sons qui se propagent par l’air. Ils sont générés par des sources telles que la voix humaine, la musique, les appareils électroniques, etc. Ces sons se déplacent facilement à travers l’air et peuvent être atténués par des matériaux absorbants comme la laine de verre ou le tissu.
- Les « bruits solidiens », en revanche, se propagent à travers les matériaux solides. Ils sont générés par des vibrations qui se déplacent à travers les structures physiques telles que les murs, les planchers. Ces bruits peuvent être transmis d’une surface à une autre et peuvent être perçus à distance de la source originale des vibrations.
L’article R1334-31 du Code de la santé publique dispose ainsi que :
« Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé ».
L’article R1336-7 du Code de la santé publique précise que :
« L’émergence globale dans un lieu donné est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau du bruit résiduel constitué par l’ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l’occupation normale des locaux et au fonctionnement habituel des équipements, en l’absence du bruit particulier en cause.
Les valeurs limites de l’émergence sont de 5 décibels pondérés A en période diurne (de 7 heures à 22 heures) et de 3 décibels pondérés A en période nocturne (de 22 heures à 7 heures), valeurs auxquelles s’ajoute un terme correctif en décibels pondérés A, fonction de la durée cumulée d’apparition du bruit particulier :
1° Six pour une durée inférieure ou égale à 1 minute, la durée de mesure du niveau de bruit ambiant étant étendue à 10 secondes lorsque la durée cumulée d’apparition du bruit particulier est inférieure à 10 secondes ;
2° Cinq pour une durée supérieure à 1 minute et inférieure ou égale à 5 minutes ;
3° Quatre pour une durée supérieure à 5 minutes et inférieure ou égale à 20 minutes ;
4° Trois pour une durée supérieure à 20 minutes et inférieure ou égale à 2 heures ;
5° Deux pour une durée supérieure à 2 heures et inférieure ou égale à 4 heures ;
6° Un pour une durée supérieure à 4 heures et inférieure ou égale à 8 heures ;
7° Zéro pour une durée supérieure à 8 heures ».
Les valeurs admissibles de l’émergence sont donc de 5 dB(A) en période diurne (de 7 heures à 22 heures) et de 3 dB(A) en période nocturne (de 22 heures à 7 heures). Ces valeurs admissibles sont corrigées par un terme correctif (en dB(A)) en fonction de la durée cumulée d’apparition du bruit (T) pendant la période concernée :
Durée cumulée (T) | Terme correctif dB(A) | ||
T ≤ 1 min | +6 | ||
1 min < T ≤ 5 min | +5 | ||
5 min < T ≤ 20 min | +4 | ||
20 min < T ≤ 2 h | +3 | ||
2 h < T ≤ 4 h | +2 | ||
4 h | +1 | ||
T > 8 h | 0 |
L’article R1336-8 du Code de la santé publique ajoute enfin que :
« L’émergence spectrale est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant dans une bande d’octave normalisée, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau de bruit résiduel dans la même bande d’octave, constitué par l’ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l’occupation normale des locaux mentionnés au deuxième alinéa de l’article R1336-6, en l’absence du bruit particulier en cause.
Les valeurs limites de l’émergence spectrale sont de 7 décibels dans les bandes d’octave normalisées centrées sur 125 Hz et 250 Hz et de 5 décibels dans les bandes d’octave normalisées centrées sur 500 Hz, 1 000 Hz, 2 000 Hz et 4 000 Hz ».
Il en ressort que la Loi impose également le respect de niveaux sonores par bande de fréquences. Il est plus précisément question d’émergence, laquelle est définie par la différence entre :
- le niveau de bruit ambiant dans une bande d’octaves normalisée (comportant le bruit particulier en cause) et
- niveau de bruit résiduel dans la même bande d’octaves, lequel est constitué par l’ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, dans un lieu donné, correspondant à l’occupation normale des locaux et au fonctionnement normal des équipements.
La nuisance sonore est donc caractérisée par rapport au bruit habituel de l’environnement litigieux.
En d’autres termes, l’émergence spectrale correspond au : (bruit résiduel +bruit particulier) - bruit résiduel. Il est dès lors nécessaire d’avoir une idée du bruit résiduel sans la nuisance sonore pour déterminer un « point zéro ».
Ces mesures sont d’une particulière complexité et nécessitent donc l’intervention d’un expert acousticien. Le plus souvent, il apparaît donc opportun de réunir le maximum d’éléments de preuve concernant l’existence des nuisances sonores dus aux appareillages (attestations, constat d’huissier, rapport des services de la ville, etc.) afin de solliciter l’organisation d’une expertise judiciaire sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile) devant la Juridiction des référés du tribunal judiciaire.
De cette façon, un expert judiciaire pourra réaliser des mesures acoustiques dans la durée et en toute indépendance.
L’expert judiciaire ne sera toutefois pas en mesure d’établir un lien de causalité entre les éventuelles pathologies de la victime des nuisances (troubles du sommeil, anxiété, stress, maux de tête, etc.) et ses relevés acoustiques. Cet éventuel volet de la procédure (particulièrement complexe) ne pourra dépendre (dans un second temps) que d’une éventuelle expertise médicale.
En outre, avant de pouvoir saisir le tribunal, il est au préalable nécessaire de tenter une conciliation, une médiation ou une procédure participative. À défaut, l’assignation pourra être déclarée irrecevable en application de l’article 750-1 du Code de procédure civile :
« En application de l’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la demande en justice est précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, lorsqu’elle tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros ou lorsqu’elle est relative à l’une des actions mentionnées aux articles R211-3-4 et R211-3-8 du Code de l’organisation judiciaire ou à un trouble anormal de voisinage.
Les parties sont dispensées de l’obligation mentionnée au premier alinéa dans les cas suivants :
1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ;
2° Lorsque l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ;
3° Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l’urgence manifeste, soit aux circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu’une décision soit rendue non contradictoirement, soit à l’indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l’organisation de la première réunion de conciliation dans un délai supérieur à trois mois à compter de la saisine d’un conciliateur ; le demandeur justifie par tout moyen de la saisine et de ses suites ;
4° Si le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation ;
5° Si le créancier a vainement engagé une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances, conformément à l’article L125-1 du Code des procédures civiles d’exécution qui prévoit (à peine d’irrecevabilité de la demande en justice) une tentative obligatoire de résolution amiable du conflit ».
Cette tentative de résolution amiable du litige apparaît inutile pour de nombreux praticiens puisque seule une expertise judiciaire est à même de déterminer si les tolérances légales (qui sont d’une particulière complexité) sont dépassées ou non.
La victime des troubles anormaux du voisinage doit donc souvent s’armer d’une solide patience avant que ces difficultés puissent être sérieusement examinées.