Préjudice nécessaire : dépassement de la durée hebdomadaire maximale de travail du travailleur de nuit = droit à réparation.

Le dépassement de la durée hebdomadaire maximale de travail du travailleur de nuit calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives ouvre, à lui seul, droit à la réparation. Viole l’article 1315, devenu 1353, du Code civil, la cour d’appel qui déboute le salarié de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour non-respect de cette durée maximale de travail, sans constater que l’employeur justifiait l’avoir respectée. C’est ce qu’affirme la Cour de cassation dans un arrêt du 27 septembre 2023 (n° 21-24.782) publié au bulletin.

1) Faits et procédure.

M. [Z] a été engagé par la société Transports J.H. Mesguen en qualité de conducteur suivant un contrat de travail à durée déterminée du 22 juin au 22 septembre 2015.

La relation de travail s’est poursuivie en contrat de travail à durée indéterminée.

Le salarié a été licencié le 28 décembre 2017 et dispensé d’exécuter son préavis.

Le 25 septembre 2018, il a saisi la juridiction prud’homale de demandes relatives à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail.

2) Moyen.

Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande en paiement d’une indemnité pour non-respect des durées maximales quotidiennes, hebdomadaires et mensuelles de travail, alors « que le seul constat de dépassement de la durée maximale du travail ouvre droit à réparation ; qu’en le déboutant de sa demande en paiement d’une indemnité pour non-respect des durées maximales, quotidiennes, hebdomadaires et mensuelles de travail au motif qu’il ne justifiait pas ’’d’un préjudice distinct de celui réparé au titre du repos compensateur’’, cependant que le non-respect des durées maximales de travail ouvre à lui seul droit à réparation au profit du salarié, la cour d’appel a violé les articles L3121-18, L3121-20 et L3121-27 du Code du travail ».

3) Réponse de la Cour de cassation : arrêt du du 27 septembre 2023.

Vu l’article L3122-35 du Code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, les articles L3122-7 et L3122-18 du même code, dans leur rédaction issue de ladite loi, l’article 2.2 de l’accord du 14 novembre 2001 relatif au travail de nuit, attaché à la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950 et l’article 1315, devenu 1353, du Code civil :

Selon les trois premiers de ces textes, la durée hebdomadaire de travail des travailleurs de nuit, calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives, ne peut dépasser quarante heures mais cette limite peut être portée à quarante-quatre heures par accord collectif lorsque les caractéristiques propres à l’activité d’un secteur le justifient.

Selon le quatrième de ces textes, s’agissant des personnels roulants, autres que les personnels roulants grands routiers ou longue distance, des entreprises de transport routier de marchandises, des activités auxiliaires du transport et des entreprises de transport de déménagement dont l’activité s’exerce sur tout ou partie de la période nocturne, telle que définie à l’article 1er de l’accord du 14 novembre 2001, la durée du travail effectif hebdomadaire calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives ne peut excéder 46 heures en application des règles prévues au paragraphe 3, alinéa 1, de l’article 5 du décret n° 83-40 du 26 janvier 1983 modifié.

Ces dispositions participent de l’objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d’un repos suffisant et le respect effectif des limitations de durées maximales de travail concrétisé par la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail et par la directive 2002/15/CE du Parlement et du Conseil du 11 mars 2002 relative à l’aménagement du temps de travail des personnes exécutant des activités mobiles de transport routier.

Selon le dernier de ces textes, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. Il en résulte que la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l’Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l’employeur.

Pour rejeter la demande du salarié en paiement de dommages-intérêts pour non-respect des durées maximales de travail, l’arrêt, après avoir relevé que ce dernier soutenait avoir régulièrement dépassé la durée maximale hebdomadaire de 46 heures, retient, d’une part, qu’il ressort de la synthèse conducteur que l’amplitude horaire avancée par l’intéressé dans ses écritures ne correspond pas au travail effectif et que ce dernier disposait de temps de repos et de mise à disposition, d’autre part, qu’il ne justifie pas d’un préjudice distinct de celui réparé au titre du repos compensateur.

En statuant ainsi, alors que le dépassement de la durée maximale de travail ouvre, à lui seul, droit à la réparation, la cour d’appel, qui n’a pas constaté que l’employeur justifiait avoir respecté la durée hebdomadaire maximale de travail du travailleur de nuit calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives, a violé les textes susvisés.

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en ce qu’il déboute M. [Z] de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour non-respect des durées maximales de travail.

Dans cet arrêt la Cour d’appel de Paris casse également l’arrêt de la cour d’appel concernant le calcul du préavis.

A cet égard, la Cour d’appel de Paris avait pris en compte le seul salaire de base mensuel brut du salarié, sans prendre en compte le salaire que le salarié aurait perçu s’il avait exécuté le préavis comprenant notamment les heures supplémentaires et primes d’ancienneté et de région parisienne incluses.

4) Analyse de l’arrêt de la Cour de cassation du 27 septembre 2023.

4.1) Théorie du préjudice nécessaire.

La théorie du préjudice « nécessaire » implique que le salarié victime n’a besoin de démontrer la faute de l’employeur pour être indemnisé.

Avec cette théorie, un préjudice est indemnisable pour un salarié du fait de la seule violation par l’employeur d’une obligation légale.

4.2) Abandon par l’arrêt du 13 avril 2016.

En 2016, la Cour de cassation a abandonné la notion de préjudice nécessaire et exigé la preuve d’un préjudice [1]. Il s’agissait en l’espèce de la remise tardive de documents de rupture (bulletins de paie, certificat de travail).

Par la suite, la Cour de cassation a aussi considéré qu’il n’y avait pas de préjudice automatique en l’absence de visite médicale d’embauche [2] ou en l’absence de document unique d’évaluation des risques [3].

4.3) Infléchissement de jurisprudence.

La Cour de cassation a ensuite infléchi sa jurisprudence.

A cet égard, au visa de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 relatif à certains aspects de l’aménagement du temps de travail, la Cour de cassation affirme dans un arrêt du 26 janvier 2022 (no 20-21.636) que le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail au cours d’une semaine « ouvre droit à réparation ».

Ceci a été confirmé par un arrêt de la Cour de cassation du 14 décembre 2022 [4].

Concernant la durée quotidienne de travail, au visa de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 qui vise à garantir la sécurité et la santé des travailleurs, la Cour de cassation affirme que le seul constat du dépassement de la durée quotidienne maximale de travail ouvre droit à la réparation [5].

Dans l’arrêt du 27 septembre 2023, la Cour de cassation étend la théorie du préjudice nécessaire au cas de dépassement de la durée hebdomadaire maximale de travail du travailleur de nuit calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives.

Cette décision doit être approuvée.

Source.

C. cass. 27 sept. 2023, n° 21-24.782.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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[1Cass. soc., 13 avr. 2016, n° 14-28.293.

[2C. cass. 25 mai 2016, n° 14-20.578.

[3C. cass. 17 sept. 2018, n°17-22.224.

[4Cass. soc. 14 déc. 2022, no 21-21.411.

[5C. cass. 11 mai 2023, c. cass. 11 mai 2023, n°21-22.281 et n°21-22.912.

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