L’autorisation d’exploitation des fonds marins norvégiens, illustration du quoiqu’il en coûte environnemental.

Par Matéo Bonet, Etudiant.

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Explorer : # exploitation des fonds marins # transition énergétique # enjeux environnementaux # intérêts financiers

Ce que vous allez lire ici :

La Norvège a adopté une loi autorisant l'exploration et l'exploitation minière des fonds marins dans la région du plateau continental norvégien. Si cette décision est justifiée par la nécessité de ressources pour la transition énergétique, elle suscite des préoccupations environnementales.
Description rédigée par l'IA du Village

Près d’un an après l’adoption d’un texte législatif portant interdiction d’exploitation des fonds marins en France, la Norvège a voté ce mardi 9 janvier la création d’une zone dans les eaux du Svalbard afin de procéder à l’exploration - puis à l’exploitation et récolte des nodules polymétalliques - des fonds marins.

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Depuis déjà plus d’un an, la Norvège s’est positionnée comme souhaitant ouvrir les hauts fonds marins à l’exploitation afin d’y extraire les nombreux métaux qui y dorment encore. Parmi eux, les nodules polymétalliques, matière essentielle et rare nécessaire à la quasi totalité des appareils technologiques d’aujourd’hui. Le 9 janvier, le Parlement norvégien s’est prononcé en faveur d’une telle politique et a accepté le projet de loi du gouvernement permettant l’exploration - en vue d’exploitation future - des fonds marins.

Analyse d’une adoption législative à contre-courant des nécessités environnementales actuelles.

Une loi fondée sur des volontés environnementales masquant des intérêts financiers.

« Nous avons besoin de minerais pour réussir la transition énergétique », Terje Aasland, Ministre norvégien du Pétrole et de l’Energie.

Après une longue phase de recherches et d’études, le Parlement norvégien a adopté le 9 décembre la loi « exploitation minière sur le plateau continental norvégien - désenclavement et stratégie de gestion des ressources » [1]. Cette dernière, longue de 80 pages et comprenant les rapports liés au processus d’adoption, dispose en son point 1.2, que « le gouvernement va ouvrir des opérations minières des fonds marins dans la région du plateau continental norvégien ».

La zone concernée, réduite de moitié aux cours des multiples délibérations, s’étend sur près de 288 000 km2 et traverse notamment les eaux du Svalbard. Bien que la loi mentionne à plusieurs reprises la mise en oeuvre d’exploitations, il s’agit dans un premier temps d’une exploration suffisante des fonds afin d’approuver, ou non, les futurs projets d’exploitation.

De plus, les législateurs norvégiens ont pris soin d’ajouter à de nombreuses reprises la nécessaire condition d’une « activité réalisée de manière durable et responsable, approuvée comme telle » (points 4.3.8.1 et 5). Cet intérêt environnemental n’était pas, à l’origine, dans le projet du gouvernement. Ce dernier a toutefois du revoir à la hausse les exigences environnementales du texte pour obtenir le nombre de voix nécessaire à l’adoption du texte.

L’argument principal avancé pour l’adoption de cette loi repose sur une volonté d’accélérer la transition verte par un accès facilité à des ressources qui en sont indispensables. Certains parlementaires évoquent également une nécessaire indépendance sur ce type de matières premières rares.

Toutefois, ce projet est également motivé - d’une manière bien plus importe encore - par des enjeux financiers élevés. Le développement d’une telle industrie permettrait à la Norvège de s’intégrer pleinement et majoritairement dans un potentiel marché de plusieurs milliards de dollars, si ce n’est plus, de par son lien avec la transition verte qui s’annonce et le besoin en matières premières qui ne cessera de grandir au cours de celle-ci.

Cette adoption législative s’intègre tout de même dans un contexte extrêmement délicat, entre des multiples contestations des ONG, des visions étatiques divergentes de celle de l’Union.

Un contexte délicat : équilibre entre volonté européenne et intérêts norvégiens.

« Il est profondément problématique que le gouvernement norvégien propose d’ouvrir l’Arctique à la dévastation environnementale alors que les pays de l’AIFM sont encore en train de négocier la question de savoir si l’exploitation minière en eaux profondes doit avoir lieu », Haldis Tjeldflaat Helle de Greenpeace.

La question de l’exploitation des fonds marins n’est pas nouvelle puisque dès 1970, une résolution n°2749 [2] est votée, par les Nations Unies, portant adoption de la déclaration des principes régissant le fond des mers et océans. À cette suite, l’ISA (International Seabed Authority ou AIFM, autorité internationale des fonds marins) est créée dès 1984.

168 membres en font aujourd’hui partie, dont la Norvège et l’Union européenne.

Cette autorité soulève toutefois plusieurs questions tenant à la conciliation des deux missions dont elle est investie. En effet, chargée de protéger les fonds marins et d’en réguler l’exploitation, on peut s’interroger sur la réalité de cette double mission dès lors que l’on connait les effets des exploitations sur la biodiversité marine. De plus, de nombreux États ne souhaitent pas se priver d’une telle richesse naturelle et ce en dépit de l’accord juridiquement contraignant sur la haute mer et la biodiversité marine conclu - mais pas encore entré en vigueur - en juin 2023 par près de 199 États. Ce flou entre intérêts étatiques divergents et pressions multiples des lobbyistes du secteur tendent à une démocratisation progressive d’une telle activité dans certains pays.

Par une approche plus européano-centré, la situation n’est pas plus claire. Comme la Norvège, la Belgique ne souhaite pas non plus se priver des matières des fonds marins. D’autres pays, comme la France, interdisent strictement ce type d’exploitation. Enfin, beaucoup de pays ont souhaité la mise en pause d’un tel projet et poussent vers l’adoption d’un moratoire pour la protection des fonds marins.

Du côté de l’Union, les institutions posent de nombreuses inquiétudes quant à l’impact environnemental de l’activité, notamment aux travers de communications de la Commission ou d’interpellation de la Commission par le Parlement. De plus, aucune voix européenne ne s’élève au sein des organisations internationales (dont l’AIFM/ISA) par manque d’accord, et les États s’expriment individuellement selon leurs intérêts. Toutefois, la Commission a demandé la mise en pause de l’autorisation de telles opérations jusqu’à ce que les lacunes scientifiques soient comblées.

La Norvège entretient un rapport particulier avec l’Union européenne puisqu’à défaut d’être membre de celle-ci, elle fait partie de l’EEE [3]. Ainsi, elle bénéficie des avantages du marché commun et doit se soumettre aux obligations qui en découlent en matière de libertés. Elle se doit également d’exercer une forme de coopération dans certaines matières selon le TFUE, et ce notamment en matière environnementale. Elle n’est pas tenue d’appliquer la directive-cadre stratégie pour le milieu marin de l’Union [4] mais met en oeuvre des règlementations similaires [5] tout en s’engageant à suivre certaines autres dispositions européennes. C’est notamment pour cette raison que les conditions environnementales d’autorisation d’exploration et d’exploitation contenues dans la loi ont été grandement renforcées lors de l’adoption du texte. De plus, la question de l’exploitation du Svalbard peut être à l’origine d’un futur litige entre les deux entités, puisque selon le - très inconventionnel - Traité du Spitzberg de 1920 [6], les signataires peuvent exploiter conjointement les eaux et ressources y demeurant.

Cette nouvelle loi norvégienne est vue d’un mauvais oeil par les différents acteurs internationaux, alors même que des discussions sont toujours pendantes pour savoir s’il faut autoriser ou non une telle pratique. Elle est accusée de jongler entre les règles du droit international et met grandement en péril ses relations internationales. La conférence de Nice annoncée en 2025 ainsi que les votes et discussions pendants à l’AIFM risquent de bouleverser sensiblement la manière dont sera abordée le sujet dans les prochaines années.

Impact juridique et environnemental de l’autorisation de telles exploitations.

« L’intention de la Norvège d’ouvrir la zone à l’exploitation minière en eaux profondes ne fera qu’aggraver les différends sur la nécessité de protéger l’environnement marin sensible contre de telles activités destructrices ».

D’un point de vue environnemental, les fonds marins, et plus généralement les mers et océans, sont l’un des écosystèmes les plus importants de notre Terre. En effet, ils sont responsables de la captation et du stockage de près de 30% de nos émissions de carbone [7]. Ils participent ainsi au ralentissement du - très rapide - réchauffement climatique et au refroidissement de la Terre.

De plus, l’écosystème marin n’est que trop peu connu. En effet, aujourd’hui, près de 90% de la biodiversité marine n’est pas encore découverte. Ce manque de connaissance est un réel frein à l’exploitation durable des écosystèmes puisque rien ne permet d’anticiper les multiples réactions qui pourraient survenir sur ces écosystèmes. En ce sens, la volonté de d’abord explorer et étudier le milieu avant d’autoriser des exploitations minières, peut apparaitre comme une décision ingénieuse, responsable et respectueuse de l’environnement. Toutefois, quelques expériences secondaires autorisées par l’AIFM ont montré, sur des petites zones, qu’une exploitation minière pouvait endommager gravement les écosystèmes environnants [8].

Les méthodes utilisées pour l’extraction s’avèrent en effet très invasives, bruyantes et dérangeantes puisque elles consistent en l’utilisation de machines semblables à des moissonneuses (mais dans des dimensions trois à cinq fois supérieures) ratissant les sols marins, soulevant ainsi des masses de particules conséquentes. De plus, de nombreux scientifiques norvégiens dont Lise Ovreas, avancent que les études menées ne sont pas assez sérieuses et manquent de données pour permettre de voter favorablement une telle loi.

Le dérèglement de tout cet écosystème, pourrait être à l’origine d’un emballement climatique sans précédent qui accélérerait ainsi toutes les prévisions - déjà peu rassurantes - du GIEC.

D’un point de vue juridique, une telle autorisation n’est pas rassurante non plus. Le stand-by international en la matière en raisons des discussions menées au sein d’organisations pourrait être rapidement menacé par la multiplication d’autorisations législatives de ce genre. En effet, la Norvège a ouvert la voie en prenant une telle décision sans attendre celles des instances internationales et des pays comme la Russie, la Chine [9] ou encore l’Inde pourraient sauter sur l’occasion. Ces derniers voient ce marché comme une source exploitable non négligeable et ne se posent que très peu de questions tenant à la compatibilité d’une telle activité avec une protection efficace de l’environnement. Frode Pleym, à la tête de la branche norvégienne de Greenpeace, va même jusqu’à déclarer que cette décision est « une honte parce que la Norvège risque de créer un précédent », qui permettra « à d’autres pays de faire de même ».

Les futures décisions de l’AIFM, la conférence de Nice de 2025 et les rapports qui seront produits des suites de l’adoption de cette nouvelle loi norvégienne seront ainsi au coeur de l’évolution du droit de l’environnement - et de la protection des écosystèmes marins - des prochaines années.

Matéo Bonet, Etudiant
M1 Droit Européen - Droit Global du Changement Climatique (DGCC).

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Notes de l'article:

[1Loi exploitation minière sur le plateau continental norvégien - désenclavement et stratégie de gestion des ressources, adoptée le 9 janvier 2023. Version non traduite https://www.regjeringen.no/contentassets/e0d0706a51274b598e4ef832545e59d3/nn-no/pdfs/stm202220230025000dddpdfs.pdf

[2Résolution n° 2749 de 1970 portant adoption de la déclaration des principes régissant le fond des mers et océans https://www.un.org/depts/los/convention_agreements/texts/acte_final_fr.pdf

[3Article 217 TFUE : L’Union peut conclure avec un ou plusieurs pays tiers ou organisations internationales des accords créant une association caractérisée par des droits et obligations réciproques, des actions en commun et des procédures particulières https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:12016E217

[4Directive adressée à tous les États membres de l’Union portant sur les mesures à prendre dans le cadre de la protection du milieu marin https://eur-lex.europa.eu/FR/legal-content/summary/strategy-for-the-marine-environment.html

[5Convention sur la diversité biologique adoptée à Rio en 1992 https://www.cbd.int/doc/legal/cbd-fr.pdf

[6Traité de Spitzberg établissant la souveraineté de la Norvège sur la zone https://mjp.univ-perp.fr/constit/sj1920.htm

[7L’océan, puits de carbone, par Ocean-Climate.org https://ocean-climate.org/sensibilisation/locean-puits-de-carbone/

[9Comment la Chine s’apprête à dominer les grands fonds marins et leurs richesses en métaux rares, par Alexandre Aget https://up-magazine.info/planete/ressources-naturelles/120946-comment-la-chine-sapprete-a-dominer-les-grands-fonds-marins-et-leurs-richesses-en-metaux-rares/

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