- Julien Guinard.
DCH : Parlez-nous de vous, de votre histoire.
Julien Guinard : « Je suis atteint d’un handicap auditif (surdité moyenne) depuis ma naissance. Ayant toujours vécu avec ce handicap, il s’agit pour moi de la « normalité ». J’ai souvent minimisé l’impact de ce handicap, car je ne voulais pas être considéré comme différent. Je me suis moi- même voilé la face, considérant que ce handicap ne devait avoir aucune incidence, que j’étais chanceux de n’avoir qu’une perte partielle d’audition, qui pouvait être corrigée en partie par le port d’appareils auditifs.
Cependant, il y avait bien un impact, en particulier dans les relations sociales. Si le port d’appareils auditifs me permet d’entendre correctement dans un environnement calme, dès lors qu’il y a la présence d’un groupe, qu’il y a un fond sonore (musical par exemple) ou d’autres perturbations, j’ai beaucoup de difficultés à suivre les conversations. Or, même si la plupart des personnes sont au courant de mon handicap, elles ignorent cet aspect. Elles pensent en effet (et sans doute de bonne foi !) que le port de mes appareils auditifs me permet d’entendre comme une personne qui n’aurait pas de handicap auditif.
Pour autant, je considère aujourd’hui que ce handicap m’a permis de me forger, et m’a forcé à m’adapter à certaines situations, à ne pas baisser les bras pour atteindre mes objectifs. Cela m’a donné une force supplémentaire, une envie de montrer l’étendue de mes capacités pour me prouver que mon handicap ne devait pas avoir d’impact négatifs sur ma carrière professionnelle (je fais ici référence à un effet « d’autocensure » que j’aurais pu avoir dans mes choix de formation par exemple). J’estime aujourd’hui avoir accompli cet objectif, en ce que je suis totalement satisfait de l’orientation que prend ma carrière professionnelle ».
Comment ont été vos premiers contacts avec l’université, l’école d’Avocats...?
Lorsque j’ai découvert le Droit, j’ai très vite su que j’exercerai ma carrière professionnelle dans ce domaine qui m’a passionné dès les premiers mois de cours.
La plupart des enseignements n’ont pas été difficiles à suivre. En effet, les professeurs disposent en principe de micros en amphithéâtre, et lors des travaux dirigés, nous sommes en petit groupe. Il a pu cependant arriver que certains enseignants soient difficilement compréhensibles, en raison de leur débit vocal, ou simplement car le micro ne fonctionnait pas (la technologie et l’Université ne vont en effet pas toujours de pair !)
À ce propos, j’avais fait remarquer à un de mes enseignants de travaux dirigés en première année que j’éprouvais des difficultés à le suivre, car son débit vocal était trop faible. Ce dernier m’avait renvoyé vers le service handicap de l’Université. En effet, ce service permet notamment de bénéficier de la prise de note d’un étudiant volontaire et rémunéré spécialement pour prendre le cours afin d’aider un étudiant en situation de handicap qui n’aurait pas la capacité de le faire lui-même. A l’époque, je n’ai pas souhaité bénéficier de ce service, préférant demander le cours à un de mes camarades. J’ai pourtant réalisé avec le recul que cela aurait été parfaitement légitime, cela correspondait en effet exactement à ma situation. Rencontrant des difficultés à me concentrer pour écouter tout en prenant des notes lorsque le débit de voix est trop faible, bénéficier de cette aide m’aurait permis de me concentrer sur l’écoute du cours.
Avez-vous eu des difficultés, des appréhensions dans vos recherches de stages, de collaborations ?
Jusqu’à présent, je n’ai pas éprouvé de difficulté particulière liée au handicap pour la recherche d’un stage ou d’une alternance dans le cadre de mes études. Si mon intention n’a jamais été de cacher ce handicap, je ne l’ai pas non plus mis en avant. J’ai pu constater que la plupart des recruteurs l’ont pourtant remarqué, mais ne l’ont pas évoqué sans que je prenne l’initiative, sans doute par crainte d’instaurer un malaise. Me concernant, je ne l’évoquais pas forcément non plus, y compris durant les entretiens, car j’estimais que cela ne devait pas affecter la décision du recruteur.
Pour autant, il arrive toujours un moment où je devais parler ouvertement de ce handicap à mon employeur. Par exemple, lorsqu’il y a des réunions de groupe, il m’est difficile de suivre, en particulier lorsque plusieurs personnes parlent quasiment simultanément. J’ai aussi pu être gêné par l’utilisation d’un téléphone fixe pour les communications professionnelles, car ces téléphones ne sont pas du tout adaptés à mon handicap.
Lorsque j’ai évoqué ces difficultés, l’employeur a immédiatement réagi pour mettre en place les solutions nécessaires. Cependant, j’ai réalisé qu’il est indispensable d’évoquer le handicap et ses impacts le plus tôt possible lors du processus de recrutement, pour qu’il n’y ait aucune mauvaise surprise lors de la prise de poste, tant pour l’employeur que pour l’employé.
Que représente pour vous Droit comme un H ! , et pourquoi avoir rejoint cette belle aventure ?
Droit comme un H ! est la première association française à promouvoir les talents en situation de handicap dans le domaine juridique : cette initiative me touche particulièrement en raison de mon parcours, que j’ai évoqué dans la première partie de cette interview.
J’ai donc rejoint cette aventure afin de contribuer à la révélation des talents en situation de handicap. Je considère en effet que le handicap ne doit pas être un frein dans la recherche d’un emploi, mais une force.
Cela signifie en premier lieu que les personnes en situation de handicap ne doivent pas s’autocensurer, et postuler à toutes les offres qui les intéressent. Au-delà de cette censure concernant les postes à pourvoir, cela signifie qu’il faut encourager les personnes concernées à dévoiler leur handicap lors du processus de recrutement (notamment lorsque ce handicap est invisible).
L’association Droit comme un H ! partage justement cette vision, ce qui m’a conforté dans choix d’intégrer son programme et de le soutenir.
Que vous a apporté ou qu’est-ce que vous attendez de l’association ?
« L’association est en partenariat avec de nombreux employeurs (cabinets d’avocats et entreprises), qui sont sensibilisés à la situation du handicap. Ces employeurs embauchent des talents en situation de handicap et, avec l’aide de l’association, mettent en place toutes les adaptations nécessaires à la situation de handicap concernée. Je considère cette aide comme précieuse car, trop peu d’employeurs sont sensibilisés à la situation du handicap. L’association permet donc de faire le lien entre l’étudiant et la structure, afin que le processus de recrutement et de prise de poste ait lieu de la façon la plus naturelle possible.
En outre, l’association est en partenariat avec de nombreuses associations et formations universitaires. Cela permet de sensibiliser à la situation de handicap directement auprès des personnes concernées, et de détecter d’éventuels talents. C’est une excellente initiative, puisque les personnes concernées peuvent ignorer qu’une telle aide peut leur être apportée.
Au-delà de l’obtention d’une aide logistique dans la recherche d’un emploi, d’un stage ou d’une formation, ces étudiants - moi le premier - ont besoin de connaître l’existence de parcours similaires, pour réaliser qu’ils ne sont pas seuls dans cette situation et que des solutions adaptées existent ».
Que voulez-vous apporter à l’association ?
« Par ce témoignage, je souhaite encourager les personnes en situation de handicap à prendre contact avec l’association.
J’ai également la volonté de prouver, dès lors que j’aurai reçu une offre d’emploi ou de stage de la part de l’association, que ma situation ne doit pas être un frein pour l’employeur. Il s’agit donc de conforter le message porté par l’association : l’embauche d’un talent en situation de handicap doit être vue comme un atout ».
Vos mots à ceux qui hésitent à rejoindre Droit comme un H !
« Si vous hésitez à nous rejoindre, n’hésitez pas à me contacter : je pourrai répondre à vos interrogations et vous donner plus de précisions sur mon expérience d’intégration de l’association et du programme. Me concernant, la réactivité des acteurs de l’association et leur accompagnement m’a convaincu de la pertinence du choix de rejoindre le programme ».