Village de la Justice : Qu’est-ce qui vous a motivée au départ pour créer ce réseau ?
Sylsie Albertelli : C’est le fruit de 15 ans de pratique de la profession d’avocat, et le constat d’un besoin d’exercer autrement de ma part. Je souhaitais aider les confrères pour mieux travailler, et développer diverses formes de pratiques, notamment les règlements alternatifs.
Avocat Pulse est un réseau d’avocats en train de se mettre en place en 2023, rassemblant des avocats ayant intégré -ou voulant intégrer- dans leur pratique des outils provenant d’autres disciplines, permettant de modifier de façon radicale leur activité, leur approche métier, leurs méthodes. Et sans simplifier à l’extrême.
Exemple : on parle beaucoup de médiation aujourd’hui comme si cela devait être l’outil miracle de résolution des conflits. Or chaque process, procédure alternative, a ses atouts, ses intérêts et l’Avocat doit augmenter sa boite à outils de résolution de conflit car le droit et le juge ne sont qu’une façon de résoudre un conflit. La médiation aussi ! A chaque conflit son process !
Village de la Justice : Quels sont les enjeux fondamentaux que vous avez identifiés comme "faiblesses" dans la profession d’avocat aujourd’hui ?
Sylsie Albertelli : J’adore mon métier, je n’ai pas envie d’en changer, mais il ne faut pas se voiler la face, il y a des difficultés, nombre de confrères le ressentent.
Ma proposition avec Avocat Pulse est d’accompagner les Avocats dans le changement pour être Avocat avec d’autres outils que j’ai identifié comme essentiels à notre profession, outils visant à promouvoir « l’amiable » et nos compétences de négociateurs : les outils de communication, de coaching, de leadership, ou encore la pensée visuelle.
La profession souffre d’un problème identitaire tout comme l’organe judiciaire souffre de définition claire de sa mission.
Etre Avocat ce n’est plus simplement jouer avec la règle de droit pour défendre son client. La notion de défense même a changé !
Rendre justice ce n’est pas simplement dire le droit et trancher le conflit. C’est bien plus. La mission du juge est vaste et a pour première mission de concilier.
En tant qu’Avocat nous devons nous réinventer, être hybride, être des entrepreneurs, pour offrir un service judiciaire de qualité au côté de l’organe judiciaire que nous devons soutenir.
Je crois que si notre métier ne change pas, on va peu à peu disparaitre, que ce soit du fait de l’intelligence artificielle ou du développement d’Internet sur certains aspects de la connaissance... Que doit devenir l’avocat et que peut-il apporter demain ?
On peut répondre à tout ça en s’interrogeant sur le sens de notre métier, au-delà des pratiques d’aujourd’hui. Ce serait une impasse de ne rien changer, et ça ne répond plus aux besoins des gens, qui veulent aller plus vite, que le conseil soit moins cher, plus facile ; c’est humain et normal, et ça s’accroît avec le numérique.
Si tant de gens ne saisissent pas la Justice, c’est que ça leur parait trop compliqué, ou que cela ne répond pas au besoin de confiance.
Par contre on ment d’une certaine façon au justiciable en le "poussant" à la médiation ; ce n’est pas une justice alternative plus simple, au contraire il faut du temps et de l’engagement des clients et des professionnels.
Alors ma proposition répond je crois à un certain nombre de difficultés :
Pour les confrères, "savoir qui je suis" : un avocat hybride, augmenté, avec une identité autour de trois concepts : une nouvelle posture + une nouvelle approche métier + de nouveaux outils.
Et comment y arriver ? Il faut savoir proposer des outils et méthodes, permettant un vrai changement où les confrères peuvent vivre de leur métier.
Je préfère que ce soit nous (les avocats) qui mettions en place nos règles du jeu, plutôt qu’on nous les impose. Les avocats ont une place à consolider auprès des clients, mais aussi auprès des magistrats en devenant leur soutien.
Village de la Justice : Qui est ce "nouvel avocat" ?
Sylsie Albertelli : Il acquiert peu à peu une nouvelle identité, avec plusieurs composantes :
Une nouvelle posture : il intègre dans sa pratique la médiation, mais plus largement les outils de la communication au service du métier (communication non violente, écoute active, etc.), au service du client et de l’avocat lui-même.
Cela nécessite une large formation à mon sens non existante aujourd’hui dans la profession d’avocat. Ces formations existent mais surtout dans le cadre de la médiation, or on doit sortir de "seulement cela".
Une nouvelle approche métier : il intègre les outils de la pensée visuelle pour responsabiliser les clients et avocats en rendant les systèmes complexes plus accessibles (avec des outils tels que le Legal Design, la pensée visuelle, les cartes mentales, etc.). Cet avocat pense que le client peut être co-auteur de la résolution de son conflit ; l’avocat est un accompagnant et plus seulement un sachant.
Les clients apprécient beaucoup cela, ils aiment appréhender visuellement l’information, et peuvent "travailler" à leur dossier en dehors des rendez-vous avec leur avocat en ayant un support.
De nouvelles méthodes : les modes amiables, la procédure participative et collaborative... [2] Tout cela vise à faire en sorte que le contrat par exemple soit au service du projet et non l’inverse, qu’il soit là pour impliquer tout le monde et être ainsi mieux accepté, y compris en cas de difficulté.
Village de la Justice : "A quels avocats cela s’adresse, et pourquoi un réseau" ?
Sylsie Albertelli : En fait Avocat Pulse s’adresse à tous les besoins, tous les avocats, chacun va trouver une réponse à des besoins spécifiques, mais le réseau concerne particulièrement les jeunes confrères (car pour eux il y a un fossé entre la formation et le métier aujourd’hui, avec une justice telle qu’elle est et les difficultés que nous connaissons tous au quotidien), ou encore les avocats qui se sont déjà formés mais ont du mal à transformer leur pratique pour aller vers l’amiable. Il concerne aussi de plus gros cabinets qui voudraient mettre en place des activités amiables en droit des affaires, une des directions incontournables de la profession, je crois.
Mon objectif est de développer un réseau d’avocats autour d’un label pour offrir aux justiciables une autre façon de régler leurs différends avec des avocats congruents, avec une approche pluridisciplinaire dans certains domaines du droit, comme le droit de la famille.
Nous structurons donc un réseau pour être au service des avocats, en rassemblant, en montrant que l’on est nombreux sur cette voie là, et donc pour rassurer, partager.
Les avocats ne parviennent pas ou peu à intégrer de nouvelles pratiques dans leur exercice. Le réseau viendra alors à leur soutien en terme de communication, en analyse de la pratique, en coaching... de façon multidisciplinaire.
Mon objectif est que nous soyons environ 80 à la fin 2023.
La différence avec les organismes de formation existants -qui font de bonnes choses- c’est que comme c’est transformatif, il faut proposer des choses au service du confrère, faire beaucoup de supervision et de coaching, pour faire évoluer en profondeur.
Le premier frein à l’évolution de la pratique c’est soi-même, son rapport à l’argent, qui je suis...
"Moi j’aimerais bien faire ainsi, mais c’est l’autre avocat qui ne veut pas", c’est ce que l’on entend souvent. Apprendre à travailler avec l’autre et collaborer est donc la base de la démarche ; le sujet de la collaboration est central, la collaboration avec les clients... et avec les autres professionnels.