A tous les internautes,
Ce post n'est pas une complainte. Je ne viens pas sur ce forum pour susciter de l'empathie; ni me lamenter sur mon statut actuel, celle d'une juriste en recherche active d'emploi
; ni quémander des conseils. Je souhaite seulement partager mon ressenti actuel sur la profession de juriste. Merci de votre compréhension. Il faut se rendre à l'évidence. Lorsque personne ne peut vous coopter, que vous n'êtes ni avocat, ni diplômé d'une faculté de droit renommée, d'un DJCE/LLM ou avec un MBA en poche d'une grande école de commerce ; et ce, dans la plus grande majorité des cas, vous serez écartés du processus de recrutement. Vous ne serez pas digne de rentrer dans le panthéon juridique. "Le système", me répondrez-vous, sans doute. En bonne petite ex-étudiante, je plussoierai.
Certes, chaque métier a son lot de personnes jugées "inaptes" par le système français. Par « inapte », j’entends ainsi une personne, qui bien que satisfaisant aux critères professionnels en vigueur, a toujours un « petit quelque chose » qui ne correspond pas. C'est le cas d'une de mes amies. Elle a fait une formation pour être agent d'escale et c' est une femme brillante. De surcroit, mon amie maîtrise six langues à un niveau très avancé. Mais, les postes semblent lui échapper sous prétexte qu'elle serait trop "âgée". Ne soyons pas hypocrite et elle le sait elle-même que la seule raison valable pour un éventuel refus est qu'elle ne fait pas un "90-60-90". Oui, mon amie est une femme pulpeuse.
Dans le milieu juridique, je pense que le problème est similaire. En lisant certains postes du Village de la Justice, je me rends compte que les demandes des cyber-juristes sont toujours les mêmes : « Quel est le profil juridique idéal? » De nos jours, un profil gagnant est un Master 2 en droit des affaires/DJCE/Magistère des grandes universités parisiennes+un LLM tamponné Harvard/Columbia/Yale/Oxford+un MBA en école de commerce type HEC, ESC. Il est tout à fait normal que les recruteurs exigent ces compétences dans le cadre de recrutements pour un poste « haut de gamme » ou nécessitant des compétences spécifiques, comme la maitrise du Common Law ou de l’International Tax law, Tort Law,etc…. Je ne remets pas en cause ces faits avérés et établis.
Pour les « juristes ordinaires » sans CAPA, il en va tout autrement. Lorsque vous parcourez les forums, certains utilisateurs vous diront "J'ai envoyé plus de 1000 candidatures pour au final avoir eu deux entretiens" ou bien encore 500, 750....Le lot quotidien des juristes en herbe. Beaucoup de jeunes juristes ont dû songer à une réorientation, abandonnant tout espoir de concrétiser leur rêve juridique. Ou d’autre comme moi, on fait le choix éclairé de s’expatrier. Un ami que j'estime, brillamment diplômé d'Assas en droit comparé et trilingue, envoya près d'une centaine de candidatures, sans retour positif, pour des stages, des CDD, CDI et de l’intérim. Il a préféré partir à l’étranger tenter son aventure professionnelle.
J'ai bien compris que le système français actuel ne voudrait jamais de moi, tant que je ne rentrerais pas dans « le moule ». Dans mon cas, lequel étant assez particulier, ce sont des discussions poussées avec des avocats étrangers et des professeurs d’université qui m’ont fait comprendre que si je voulais faire carrière dans le milieu juridique international, je devrais passer mon CAPA et améliorer, de manière continue, mes capacités linguistiques.
Je comprends parfaitement que pour avoir le bonheur d’exercer ma profession dans le pays de mes rêves, pour le compte de l’avocat qui est ma « muse professionnelle », il me faudra avoir une excellente pratique des affaires et des connaissances juridiques très pointues. Toutefois, avant que je ne tente le CRFPA, il va s’écouler une année. Entre-temps, je suis une « juriste ordinaire ». Mais, selon moi, être simple juriste en droit des affaires et/ou droit privé n'a plus de réel sens en France. Sauf…si peut-être vous détenez un français « instinctif », assorti d’une excellente maitrise de la typographie.
Un des « tics » du juriste est justement de vérifier, avec un acharnement mesuré, les fautes d’orthographe, de grammaire et de tournures d’expression. Mais, cher C******, tout ce travail peut s’améliorer, avec un soupçon de bonne volonté, de la méthode et de la rigueur! Ne devrait-on pas dans ce cas-ci, rendre le passage du certificat Voltaire obligatoire ?
Au final, un diplômé en droit n’aura que deux choix:
1) passer les concours du monde juridique (CRFPA, greffes, huissiers, etc…)
2) les concours de la Fonction publique
Exercer comme un simple juriste, sans formation particulière, relève du parcours du combattant. Je vais essayer de vous expliquer ce qui motive ma vision actuelle du marché de l’emploi, en France.
1. Le problème de l’expérienceLorsque vous sortez de la faculté, avec votre précieux sésame sous les bras, vous pensez pouvoir faire le métier pour lequel vous vous êtes battu pendant cinq longues années universitaires. Et, bien non! Il vous faut déjà avoir de l'expérience. Alors, vous faîtes des stages "photocopies", "secrétariat" voir "descente de poubelles" pour 500 € (parfois moins) par mois, en espérant que cela puisse vous apprendre des choses intéressantes et démontrer aux futurs recruteurs votre détermination ainsi que votre soif de réussite.
Au final, avec deux ou trois stages, cela ne sera point assez. Mais au-delà de six, cela sera trop.
Beaucoup de futurs recruteurs reprochent un "manque d'expérience" aux aspirants juristes. Certes, comparé à un juriste avec deux à cinq années de pratique professionnelle, nous n’en avons pas. Presque tous les employeurs en réclament. Mais, personne ne veut nous en donner. C'est un cercle vicieux. Il n'y a hélas pas de solution miracle, à part changer les mentalités. Néanmoins, je doute que notre mentalité française puisse changer.
A l’instar de la France, en milieu anglo-saxon, un recruteur pourra vous donner votre chance, expérience ou pas. L’individu sera d’abord privilégié. Ne pas avoir d’expérience ne sera pas vu comme un frein à une potentielle embauche. Il restera, par la suite, au candidat sélectionné de faire ses preuves.
Sur certaines annonces, on demande une expérience à l'étranger, une année de césure en échange universitaire, un stage en cabinet d'avocat à l'étranger...Une expérience à l'international serait toujours soi-disant un "atout" sur votre CV. Et bien, encore une fois, non! Lorsque comme moi, vous aurez passé trois années à l'étranger, on vous reprochera très certainement de ne plus penser en « bon juriste français » et d’être « inapte » à travailler en milieu franco-français. Pourtant, je pensais que les recruteurs privilégiaient une ouverture d’esprit chez les jeunes juristes et une adaptabilité à toutes les situations.
Une expatriation ne démontre-t-elle pas des capacités d’adaptation et de flexibilité ? Le rôle d’un juriste n’est-il pas aussi de savoir communiquer avec tous types de personnes, de la secrétaire ordinaire jusqu’au directeur juridique d’une société internationale, en passant par un avocat ultra-diplômé, made in Harvard ? De savoir rester humble et alerte ?
2. L'intitulé du diplôme Il vous faudra avoir l'intitulé exact "droit des affaires" sur votre Trésor lorsque vous êtes en quête d'une place de juriste d'affaires. Pas d'intitulé exact vaudra un refus direct de votre candidature.
Mais, ne pas détenir un M2 spécialisé en droit des affaires ne veut pas pour autant dire pas avoir d’expérience dans des matières telles que la comptabilité, la finance ou bien la gestion, le droit fiscal, etc…. N’est-il pas important de connaitre les cultures d’entreprise, de savoir comment fonctionnent les différents agents d’une entreprise afin de pouvoir discuter avec eux ? N’est-ce pas pour ces précédentes raisons que les cabinets d’avocats et les services juridiques des grands groupes demandent une double compétence à leurs juristes? De part mon MBA, j'ai reçu une formation directe en rapport avec le monde des affaires ; je l’ai appliquée et travaillée à l’étranger. Mais, non. Je ne serai jamais "assez bien" pour les recruteurs car je n'ai pas cette mention sur mes Master 2. Comment puis-je expliquer ce raisonnement ? Un recruteur aurait-il peur que je ne détienne pas l’esprit « affairiste » ?
Un juriste doit maitriser l’usage du français, certes. Etre juriste se résume-t-il à cela ? Lorsque l’étudiant vient à l’école de droit, c’est parce qu’il veut apprendre le droit, le désire, le rêve et le souhaite. Le juriste français est conditionné pour penser comme tel. L’Institution qu’est l’Université vous offre le savoir juridique et reconnaitra vos compétences en un domaine donné, en vous délivrant un Master, une Licence...Toutefois, elle vous impose sa « vision des choses » et un juriste franco-français n’aura assimilé que cette vision nationaliste du droit. Il pensera le droit comme « on doit penser le droit ». C’est à la fois une bonne et une mauvaise chose. Avoir travaillé et parlé avec des juristes du monde entier m’a fait comprendre que tout juriste doit faire un travail de recherche sur lui-même.
L’altérité d’un droit, ni d’une culture, ni d’une pensée quelconque ne doit être écartée. Bien entendu, en tant que juriste, la rigueur, le sérieux et le sens de l’organisation sont des qualités primordiales.
Mais, n’est-ce pas également « cela penser le droit », cette matière « soluble », en mouvance constante ?
Savoir s’adapter à son évolution ?
Aller au-delà de ce que notre Code Civil, ce « monument d’orgueil national » nous enseigne ?
3. Le juriste et les langues Le Conseil du Barreau souhaiterait faire passer un test de TOEIC à ses apprenti-avocats aspirant à travailler en milieu international, afin de démontrer leurs habilités à travailler en langue anglaise. Bonne initiative si ce n'est que le TOEIC n'est pas le véritable reflet des réelles capacités, plus précisément du niveau oral des candidats. Il suffit de travailler la grammaire et le vocabulaire pour obtenir un score de 900 sur 990.
Je pense qu’il serait plus profitable de mettre à l’ordre du jour le passage de l’ILEC (International Legal English Certificate) -Voir ainsi :
http://www.legalenglishtest.org/. Ne sanctionne-t-il pas le niveau de connaissances en anglais juridique alors que le TOEIC est un examen plus généraliste ? Les Britanniques, les Américains et les Australiens connaissent la valeur réelle de ces deux tests, tout autant que les Asiatiques.
Dans la grande majorité des cas, un juriste franco-français sera une véritable catastrophe en conversation anglophone. Je ne parle évidemment pas des juristes avec un LLM en poche, ni une expérience en faculté anglo-saxonne. Je me dis alors : « Chouette ! Un créneau à prendre ». Si le recruteur exige un anglais parfait, pourquoi ne peut-il pas faire un entretien tout en anglais pour jauger le candidat? J’ai postulé à une offre et l’annonce précisait que les candidats présélectionnés seraient contactés pour avoir un entretien téléphonique avec une personne native d'un pays anglophone. Excellente initiative.
De toute manière, lorsque vous êtes expatrié, votre niveau linguistique est constamment « checké ». Un TOEIC ou tout autre bout de papier ne sert qu’à franchir la première étape, celle des présélections. Pour me démarquer, j'ai appris trois langues assez dissemblables.
Est-ce assez bien, en France ? Non, bien entendu. On m'a dit que j'aurais mieux fait d'apprendre l'allemand et le chinois.
4. Tout cela pour? "Pourquoi s'acharner à envoyer des CV, sans avoir la moindre chance d'être prise? A apprendre toutes ces langues, faire une auto-veille juridique, réviser régulièrement ses cours, lire des ouvrages juridiques américains, espagnols ou européens? Pourquoi ne suis-je pas assez bien pour les employeurs?" On se pose toutes et tous ces questions.
Lorsque j’entends un conseiller de Pôle Emploi dire "Vous devriez songer à faire une réorientation. Comptabilité, par exemple". Comment le prendre? Que vous n'êtes pas assez intelligent? Pas assez bien? Pas assez "recherché"?
Si, aucun recruteur ne veut nous donner notre chance, comment prouvez notre valeur? Prenons un exemple concret : les grandes revues juridiques comme par exemple la Revue Internationale de Droit comparé ou La Semaine Juridique. Tous les auteurs sont des professionnels du droit, des professeurs d’université, des avocats ou des docteurs es droit. Y verrez-vous les articles d’étudiants en Master 2 ? Non. Seule compte l’expérience. Une fois de plus, je saisis parfaitement que l’expérience est une qualité indéniable.
Toutefois, un bon juriste-écrivain peut être aussi un étudiant en droit ou un juriste ordinaire. Parmi nous se cache peut-être un futur Jean Carbonnier, René Chapus ou Otto Pserfmann.
Nous portons, en nous, « la passion du droit ». Juriste en poste, en recherche d'emploi, avocat, juge ou simple étudiant.