Petites communes, grands changements : les municipales 2026 face à un scrutin repensé.

Par Romain Geoffret, Avocat.

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Explorer : # réforme électorale # parité # mandat municipal

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Cet article revient sur deux informations concernant les élections municipales. Le gouvernement envisage de prolonger d'un an le mandat des maires élus en 2026 pour éviter de chevaucher les élections municipales de 2032 avec la présidentielle. En parallèle, une réforme du mode de scrutin, adoptée pour les petites communes, vise à promouvoir la parité, mais soulève des défis pratiques.
Description rédigée par l'IA du Village

Les élections municipales de 2026 s’annoncent sous le signe de profondes transformations pour le scrutin local français. D’une part, une hypothèse sérieuse se dessine : celle d’une possible prolongation d’un an du mandat des futurs élus afin d’éviter un chevauchement avec les échéances présidentielle et législatives de 2032. D’autre part, et de façon beaucoup plus certaine, le Parlement a définitivement adopté, le 7 avril 2025, une réforme substantielle du mode de scrutin dans les communes de moins de 1 000 habitants. Cette dernière, n’attendant plus que sa promulgation, étendra le scrutin de liste paritaire à plus de 71% des communes françaises. Ces modifications suscitent d’importantes questions constitutionnelles et juridiques quant à la représentativité démocratique, l’égalité devant le suffrage et l’organisation des pouvoirs locaux.

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Une possible prolongation du mandat municipal : hypothèse vraisemblable et cadre juridique.

Selon les informations rapportées par Le Monde [1] le 17 avril 2025, le gouvernement envisagerait de prolonger d’une année le mandat des maires qui seront élus en 2026. Cette mesure, qui n’est encore qu’une hypothèse de travail, viserait à éviter que les municipales de 2032 coïncident avec l’élection présidentielle prévue la même année. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a confirmé que "cette question de la percussion entre les élections en 2032 se pose", suggérant qu’il pourrait être opportun d’organiser les municipales "à l’automne 2032" ou en "mars 2033".

Cette préoccupation s’inscrirait dans une volonté d’éviter que "les campagnes ne se chevauchent pas, pour que les débats ne se parasitent pas au point de les rendre confus pour l’électeur", selon les termes mêmes de l’article du Monde. Il s’agirait également d’une mesure destinée à faciliter l’organisation matérielle des scrutins, évitant les "élections en cascade" particulièrement difficiles à gérer pour les services de l’État comme pour les communes.

Si cette hypothèse venait à se concrétiser, elle s’inscrirait dans un cadre juridique bien établi. La prolongation d’un mandat électif en cours est strictement encadrée par la jurisprudence constitutionnelle. Elle ne peut se faire, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel à de multiples reprises, que "par un acte juridique clair de même nature que celui qu’il s’agit de modifier" et uniquement "à titre exceptionnel [...] dans un but d’intérêt général et sous réserve du respect des règles et principes de valeur constitutionnelle" (voir notamment décision n° 2024-864 DC du 11 avril 2024, paragr. 7).

Dans son contrôle, le Conseil constitutionnel vérifie systématiquement que :

  • La prolongation intervient "à titre exceptionnel et transitoire"
  • Elle poursuit "un but d’intérêt général"
  • Elle respecte "les règles et principes de valeur constitutionnelle" qui "impliquent notamment que les électeurs soient appelés à exercer, selon une périodicité raisonnable, leur droit de suffrage"
  • "Les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à cet objectif" (décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020, paragr. 18).

La jurisprudence a expressément reconnu comme motif légitime d’intérêt général "la nécessité d’éviter des difficultés de mise en œuvre de l’organisation de l’élection présidentielle" (Conseil Constitutionnel, 6 juillet 1994, n° 94-341 DC). Une éventuelle prolongation s’inscrirait donc parfaitement dans ce cadre jurisprudentiel.
Quant à la durée d’une telle prolongation, le Conseil constitutionnel a validé des prorogations allant jusqu’à deux années (décision n° 2013-671 DC du 6 juin 2013, cons. 7). La prolongation d’un an qui pourrait être envisagée pour les mandats issus des élections municipales de 2026 resterait donc largement dans les limites admises par la jurisprudence constitutionnelle.

La réforme adoptée du mode de scrutin dans les communes de moins de 1 000 habitants.

Le Parlement a définitivement adopté, le 7 avril 2025, une réforme majeure [2] qui étend le scrutin de liste paritaire aux communes de moins de 1 000 habitants. Cette modification, qui n’attend plus que sa promulgation, est d’une ampleur considérable puisqu’elle concernera plus de 70% des communes françaises. C’est donc une véritable révolution du paysage électoral municipal qui se profile, touchant la grande majorité des collectivités territoriales de base, même si celles-ci représentent une part plus modeste de la population française.

Ces milliers de communes abandonneront ainsi le système de scrutin majoritaire plurinominal à deux tours avec panachage et raturage, au profit d’un scrutin de liste identique à celui des communes plus importantes.

Cette harmonisation du mode de scrutin constitue l’une des réformes les plus importantes du droit électoral local depuis l’abaissement du seuil d’application du scrutin de liste de 3 500 à 1 000 habitants par la loi du 17 mai 2013.

La loi adoptée prévoit plusieurs adaptations pour tenir compte des spécificités des petites communes :

  • Des listes réduites selon la taille de la commune : cinq candidats par liste dans les communes de moins de 100 habitants, neuf dans celles de moins de 500 habitants et treize dans celles de moins d’un millier
  • La possibilité de déposer des listes incomplètes comptant jusqu’à deux candidats de moins que l’effectif prévu à l’article L2121-2 du Code général des collectivités territoriales
  • Un mécanisme spécifique d’élections complémentaires au scrutin de liste réservé aux communes de moins de 1 000 habitants pour prévenir la multiplication d’élections partielles intégrales
  • Le maintien de l’ordre du tableau pour la désignation des conseillers communautaires, contrairement au système de fléchage en vigueur dans les communes plus importantes.

Cette réforme impliquera l’application aux petites communes de la règle de répartition des sièges prévue à l’article L262 du Code électoral, avec une prime majoritaire attribuée à la liste arrivée en tête (la moitié des sièges à pourvoir) et une répartition proportionnelle des sièges restants entre toutes les listes ayant obtenu au moins 5% des suffrages exprimés.

Cette harmonisation des modes de scrutin vient curieusement résoudre une incohérence que nous avions relevée et portée jusqu’au Conseil constitutionnel en 2020, via une Question Prioritaire de Constitutionnalité.
Cette QPC (n°2020-850 QPC) contestait l’article L262 du Code électoral en ce qu’il créait une disparité troublante dans les conditions d’élection dès le premier tour. En effet, dans les communes de moins de 1 000 habitants, un candidat devait obtenir non seulement la majorité absolue des suffrages exprimés mais aussi un nombre de suffrages égal au quart des électeurs inscrits pour être élu au premier tour [3], alors que dans les communes plus importantes, aucune condition de représentativité minimale par rapport aux inscrits n’était exigée.

Cette disparité nous semblait constituer une rupture d’égalité devant la loi et devant le suffrage, ainsi qu’une possible méconnaissance d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Notre QPC n’avait cependant pas été examinée sur le fond, le Conseil constitutionnel ayant estimé dans sa décision du 17 juin 2020 qu’il n’y avait pas de changement des circonstances justifiant un réexamen des dispositions déjà jugées conformes à la Constitution en 1982.

Ironiquement, la réforme désormais adoptée, en étendant le scrutin de liste aux communes de moins de 1 000 habitants et en abrogeant l’article L253 du Code électoral, vient harmoniser les conditions d’élection dans toutes les communes, gommant cette incohérence.

Ainsi qu’il l’a été évoqué précédemment, la proposition de loi a été votée en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat, et le Conseil constitutionnel, saisi le 15 avril 2025, statuera prochainement sur sa constitutionnalité avant promulgation.

Notons que cette réforme a suscité de vives divisions au Parlement. Au Sénat, elle a été adoptée par 192 voix contre 111, avec des oppositions notables parmi les parlementaires républicains, centristes et communistes. À l’Assemblée, les débats ont été tout aussi tendus, avec un vote de 206 pour et 181 contre. La date d’application a même fait l’objet d’une bataille procédurale, ayant d’abord été repoussée à 2032, avant que le gouvernement ne demande une nouvelle délibération pour revenir au texte initial prévoyant une application dès 2026.

Ces débats reflètent les préoccupations concrètes des élus locaux. Si l’Association des maires ruraux de France (AMRF) soutenait cette réforme au nom de l’égalité femmes-hommes - les conseils municipaux des petites communes ne comptant aujourd’hui que 37,6% de femmes contre 48,5% dans les communes supérieures à 1 000 habitants selon le Haut Conseil à l’égalité - d’autres élus ont exprimé des inquiétudes pratiques.

Beaucoup de maires soulignent la difficulté de constituer des listes paritaires dans les petites communes. Éric Krezel, maire de Ceffonds (Haute-Marne) et vice-président de l’AMRF, souligne d’ailleurs cette "difficulté réelle" en évoquant sa propre expérience lors du scrutin de 2020 où il n’est pas parvenu à monter une liste paritaire. D’autres, comme Sandrine Gauthier-Pacoud, présidente de l’association des maires du Jura, craignent l’émergence de candidatures féminines "par esprit républicain" mais "sans en avoir tout à fait l’envie".

Au-delà de la parité, c’est le passage au scrutin de liste qui suscite des réserves. La fin du panachage est vue par certains comme une restriction du choix des électeurs, en particulier dans les communes les moins peuplées où le panachage a toujours été pratiqué, alors que d’autres y voient une opportunité de renforcer la cohérence des projets municipaux.

Analyse et perspectives : entre avancées démocratiques et défis pratiques.

L’hypothèse d’une prolongation du mandat municipal s’inscrirait dans une pratique déjà établie et répondrait à une logique d’organisation rationnelle des scrutins sans soulever de difficultés juridiques majeures. Le Conseil constitutionnel a déjà validé de telles mesures à de multiples reprises, considérant qu’elles ne portent pas atteinte au droit de suffrage dès lors qu’elles restent exceptionnelles et limitées dans le temps.

La réforme du mode de scrutin, quant à elle, représente une avancée concrète pour la parité dans la vie politique locale. Elle s’inscrit dans la continuité de l’article 1er de la Constitution qui dispose que "la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives". L’harmonisation des modes de scrutin contribue également à une plus grande cohérence du système électoral français, en supprimant des disparités difficilement justifiables.

Cependant, il faut noter que l’extension du scrutin de liste paritaire aux communes de moins de 1 000 habitants intervient dans un contexte de crise des vocations pour les mandats locaux. La vie d’élu local est déjà complexe, avec des responsabilités croissantes, des moyens souvent limités et un sentiment de défiance grandissant au sein de la population. En ajoutant des contraintes pour les 25 000 communes les plus petites, soit près de 72% du maillage communal français, le législateur risque d’accentuer les difficultés à générer des vocations citoyennes.

Cette préoccupation est d’autant plus fondée que ces petites communes constituent souvent le cœur de la ruralité française et disposent de ressources humaines limitées. Comme le soulignent plusieurs élus, la constitution de listes paritaires peut s’avérer particulièrement ardue dans des villages où le vivier de candidats est déjà restreint. Cette difficulté est d’autant plus prégnante que les contraintes de la vie municipale (horaires des réunions, disponibilité) peuvent entrer en conflit avec d’autres responsabilités, notamment familiales, qui pèsent encore (trop) souvent davantage sur les femmes.

Par ailleurs, la fin du panachage modifie profondément la culture politique locale. Si ce système pouvait effectivement conduire à des votes négatifs contre certaines personnalités (le fameux "tir aux pigeons"), il permettait aussi une forme de personnalisation du vote, particulièrement adaptée à l’échelle des petites communes où les relations interpersonnelles jouent un rôle important. Le passage au scrutin de liste impose une logique plus politique qui pourrait se heurter aux réalités de terrain.

Face à ces défis, plusieurs pistes d’adaptation sont envisageables.

Certaines sont d’ailleurs déjà intégrées dans la loi adoptée, comme la possibilité de présenter des listes incomplètes, tenant compte des réalités démographiques des petites communes.

Un accompagnement spécifique des petites communes pourrait également être envisagé, tant pour faciliter l’émergence de vocations féminines que pour aider à la constitution de listes conformes aux nouvelles exigences légales. Des formations, des réseaux d’entraide entre communes, voire des dispositifs de mentorat pourraient contribuer à surmonter les obstacles initiaux.

La mise en œuvre de cette réforme d’une ampleur inégalée nécessitera une attention particulière des services de l’État, notamment des préfectures qui devront accompagner les élus locaux dans cette transition majeure. Des actions de pédagogie et de formation sur le nouveau mode de scrutin, ses implications et les adaptations prévues par le législateur seront essentielles pour garantir le succès de cette évolution.

Que retenir ?

Les élections municipales de 2026 s’annoncent comme un moment charnière pour la démocratie locale française.

D’un côté, une possible prolongation du mandat des élus, simple hypothèse à ce stade mais vraisemblable au regard des précédents juridiques, pourrait reporter l’échéance suivante au-delà de 2032 pour éviter la collision avec la présidentielle.

De l’autre, la réforme du mode de scrutin dans les communes de moins de 1 000 habitants, désormais adoptée et en attente de promulgation, constitue une révolution certaine pour plus de deux tiers des communes françaises.

Cette dernière réforme, par son ampleur, représente l’une des modifications les plus importantes du droit électoral local des dernières décennies. Elle harmonise les conditions d’élection sur l’ensemble du territoire et favorise la parité femmes-hommes. Elle résout aussi, par une voie inattendue, l’incohérence que nous avions soulevée en 2020 devant le Conseil constitutionnel à travers une QPC.

Si la réforme du mode de scrutin poursuit des objectifs légitimes de parité et de cohérence juridique, sa mise en œuvre soulèvera des défis considérables, particulièrement dans les petites communes déjà confrontées à une crise des vocations. L’équilibre entre l’exigence de parité, l’efficacité de la représentation locale et la vitalité démocratique des territoires ruraux constituera un enjeu majeur des prochaines années.

Les adaptations prévues par le législateur et les initiatives locales qui se développeront devront permettre de relever ce défi, afin que cette réforme, juridiquement cohérente, devienne également démocratiquement féconde.

Romain Geoffret
Avocat au Barreau de Montpellier
rgeoffret.avocat chez gmail.com

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Notes de l'article:

[3Article L253 du Code électoral.

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