Avant toute chose, il convient de rappeler que ce mécanisme d’autorisation préalable à la transformation d’un local commercial en meublé de tourisme a été instauré par la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique.
En effet, le IV bis de l’article L324-1-1 du Code du tourisme dispose que, sur le territoire des communes ayant mis en œuvre la procédure d’enregistrement pour la location de meublés de tourisme, la location d’un local à usage commercial peut être soumise à autorisation par une délibération du conseil municipal.
Cet article prévoit en outre que l’autorisation est délivrée
« au regard des objectifs de protection de l’environnement urbain et d’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services, par le maire de la commune dans laquelle est situé le local ».
En application de ces dispositions, la ville de Paris avait publié, le 18 janvier 2022, le règlement municipal fixant les conditions de délivrance des autorisations visant la location de locaux à usage commercial en meublés de tourisme.
L’article 2 de ce règlement soumettait la délivrance de l’autorisation d’exploiter un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme aux conditions suivantes :
- le local ne doit pas être situé sur un linéaire commercial et artisanal faisant l’objet d’une protection au Plan Local d’Urbanisme ;
- la transformation du local ne doit pas contribuer à rompre l’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services, au regard de la densité de meublés touristiques, de la densité et de la diversité de l’offre commerciale du secteur, et de la densité de l’offre hôtelière existante ;
- la location ne doit pas entraîner de nuisances pour l’environnement urbain.
Ce règlement avait nécessairement fait l’objet de vives critiques par les acteurs du secteur et le Tribunal administratif de Paris avait été saisi de nombreux recours contre des refus d’autorisation ainsi que contre le règlement lui-même.
En particulier, au titre de la deuxième condition, relative à l’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services, le règlement prévoyait que cet équilibre s’apprécierait au regard de la densité de meublés touristique, de la densité et de la diversité de l’offre commerciale du secteur et de la densité de l’offre hôtelière.
Toutefois, ce sont précisément les modalités d’appréciation de la deuxième condition prévue par le règlement qui ont été annulées par la Cour administrative d’appel de Paris, dans un arrêt du 6 février 2025, contraignant ainsi la ville de Paris à adopter un nouveau règlement.
I. L’annulation partielle du règlement publié le 18 janvier 2022 par le juge administratif.
Préalablement à l’annulation partielle du règlement par la CAA de Paris, le Tribunal administratif de Paris avait déjà fragilisé l’application, par la ville de Paris, de ce règlement.
En effet, le 28 novembre 2024, le Tribunal administratif de Paris, statuant en référé, avait suspendu l’exécution de la décision par laquelle la ville de Paris avait procédé au retrait d’une autorisation de transformation d’un local commercial en meublé de tourisme [1].
Le tribunal avait alors considéré que la décision litigieuse était entachée d’un défaut de motivation et que la ville ne pouvait considérer que la transformation du local en cause contribuerait à rompre l’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services tel que prévu à l’article 2 alinéa 3 du règlement, sans indiquer :
- La valeur de référence permettant d’obtenir le nombre de chambres au km2 ;
- En quoi une location meublée supplémentaire serait susceptible de rompre l’équilibre entre l’emploi, l’habitat, les commerces et les services ;
- Le nombre de locations meublées du secteur.
L’intervention de l’arrêt de la CAA de Paris, quelques mois plus tard, le 6 février 2025, n’a fait que confirmer les doutes sur la légalité des dispositions du règlement relatives à l’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services [2] (Voir l’article Règlement anti-Airbnb : l’illégalité confirmée. Par Anne-Andréa Vilerio, Avocate.).
La cour avait pourtant rappelé, dans un premier temps, que la ville de Paris était en droit d’adopter une règlementation soumettant à autorisation la location d’un local commercial en tant que meublé de tourisme, compte tenu du développement important des meublés de tourisme à Paris.
Toutefois, elle a rappelé qu’une telle réglementation entrait dans le champ d’application de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 (la « Directive Services »).
En effet, aux termes de l’article 10 de la Directive Services :
« 1. Les régimes d’autorisation doivent reposer sur des critères qui encadrent l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités compétentes afin que celui-ci ne soit pas utilisé de manière arbitraire.
2. Les critères visés au paragraphe 1 sont :
a) non discriminatoires ;
b) justifiés par une raison impérieuse d’intérêt général ;
c) proportionnels à cet objectif d’intérêt général ;
d) clairs et non ambigus ;
e) objectifs ;
f) rendus publics à l’avance ;
g) transparents et accessibles ».
Aussi, par application des dispositions précitées, la CAA de Paris a jugé que le règlement devait, à l’instar de toute réglementation soumettant à autorisation un local commercial en meublé de tourisme, reposer sur
« des critères clairs, non ambigus, objectifs, rendus publics à l’avance, transparents et accessibles, de sorte que leur compréhension ne laisse pas place au doute quant au champ d’application des conditions et des obligations ainsi arrêtées et qu’elles ne puissent pas faire l’objet d’une application arbitraire ».
Or, dans sa rédaction alors en vigueur, le règlement prévoyait, s’agissant de la condition relative à l’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services, que celle-ci serait appréciée au regard :
- De la densité de meublés touristiques, appréciée au vu notamment :
- du nombre de numéros d’enregistrement délivrés sur le fondement du III de l’article L324-1-1 du Code du tourisme par rapport au nombre de résidences principales ;
- du nombre de demandes d’autorisations d’urbanisme de changement de destination de commerce en hébergement hôtelier au cours des cinq dernières années.
- De la densité et de la diversité de l’offre commerciale du secteur appréciées au vu notamment :
- de la présence d’une zone de redynamisation commerciale ;
- de la densité commerciale par types de commerces sur le secteur.
- De la densité de l’offre hôtelière existante.
Toutefois, en l’espèce, la cour a considéré que les critères retenus au sein de cet article « qui sont destinés à apprécier la densité de meublés touristiques, celle de l’offre commerciale et celle de l’offre hôtelière mais ne sont assortis, notamment, d’aucune quantification absolue ou relative pour guider l’instruction et la délivrance des autorisations sollicités par les bailleurs, ne répondent pas à l’exigence de précision nécessaire pour écarter le risque d’une application arbitraire » [3].
La cour a donc annulé les troisième à dixième alinéas de l’article 2 du règlement relatifs à la préservation de l’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services, en tant qu’ils ne précisaient pas les principes de mise en œuvre de cet objectif et ainsi l’équilibre à préserver.
Il en est résulté que, à compter de l’intervention de cet arrêt, la ville de Paris ne pouvait plus se fonder sur la condition relative à la rupture de l’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services pour refuser la délivrance d’une autorisation.
Aussi, jusqu’à très récemment, seules deux conditions persistaient : l’emplacement du local, qui ne devait pas se trouver dans une zone protégée par le PLU et l’absence de nuisances pour l’environnement urbain.
Une aubaine pour les acteurs du secteur.
Toutefois, afin de conserver la condition relative à l’absence de rupture entre emploi, habitat, commerces et services, telle que prévue par le Code du tourisme [4], et continuer à réguler la prolifération des meublés de tourisme, la ville de Paris a été contrainte d’adopter un nouveau règlement.
II. L’adoption d’un nouveau règlement visant à limiter les meublés de tourisme.
Un peu plus de deux mois après l’annulation partielle du règlement par la CAA de Paris, le Conseil de Paris a adopté un nouveau règlement [5], publié le 18 avril 2025.
Tirant les conséquences de l’illégalité des dispositions du règlement portant sur l’appréciation de la condition relative au maintien de l’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services, la ville de Paris a donc modifié et complété ces dispositions.
Dorénavant pour apprécier si la location d’un local commercial en meublé de tourisme est de nature à contribuer à rompre l’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services, la ville de Paris devra se fonder sur :
- « la densité de meublés touristiques, appréciée au vu notamment du nombre de numéros d’enregistrement délivrés sur le fondement du III de l’article L324-1-1 du Code du tourisme par rapport au nombre de résidences principales, qui est considérée comme forte lorsque la densité est supérieure à 50 numéros pour 1 000 résidences principales ;
- la densité et de la diversité de l’offre commerciale du secteur appréciées au vu notamment :
- de la présence du local dans une zone sous Contrat de Revitalisation Artisanale et Commerciale ;
- de la densité commerciale par types de commerces sur le secteur, qui est considérée comme faible lorsque la densité de commerces alimentaires est inférieure à 30 par km² ;
- la densité de l’offre hôtelière existante, qui est considérée comme forte si la densité est supérieure à 3 000 chambres par km² ».
Ce nouveau règlement répond donc au motif d’annulation qui avait été retenu par la Cour administrative d’appel de Paris, selon lequel les critères alors prévus, destinés à apprécier la densité de meublés touristiques, de l’offre commerciale et de l’offre hôtelière, n’étaient pas quantifiés.
Dorénavant, pour apprécier ces « sous-conditions », la ville de Paris devra prendre en compte les éléments suivants :
- la densité de meublés touristiques est considérée comme forte lorsqu’elle est supérieure à 50 numéros d’enregistrement de meublés de tourisme pour 1 000 résidences principales [6] ;
- la densité commerciale par types de commerces sur le secteur est considérée comme faible lorsque que celle de commerces alimentaires est inférieure à 30 par km2 ;
- la densité de l’offre hôtelière est considérée comme forte si elle est supérieure à 3 000 chambres par km2.
Autre nouveauté, le règlement précise dorénavant que « Ces différents indicateurs sont examinés de manière individuelle, notamment à partir des seuils mentionnés, mais aussi pris ensemble, afin d’apprécier si la transformation contribue ou non à rompre l’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services ».
Cet ajout semble ainsi laisser la possibilité à la ville de Paris de refuser la transformation d’un local en meublé de tourisme même si les différents seuils fixés par le règlement ne sont pas, individuellement, atteints. Il conviendra donc d’être vigilant quant aux motifs retenus par la ville de Paris en cas de refus d’autorisation.
Enfin, les deux autres conditions prévues dans le règlement et confirmées par la Cour administrative d’appel de Paris - du moins s’agissant des moyens tels qu’ils étaient soulevés -, relatifs à la localisation du local et aux nuisances pour l’environnement pouvant être générées, sont conservées dans le règlement de 2025.
Il convient toutefois de relever que la première condition relative à la localisation du local a été complétée et subdivisée, à l’occasion de l’adoption du nouveau règlement.
En effet, alors que le règlement de 2022 se contentait de prévoir une interdiction pour le local de se situer sur un « linéaire commercial et artisanal faisant l’objet d’une protection au Plan Local d’Urbanisme », le nouveau règlement, postérieur à l’adoption du plan local d’urbanisme bioclimatique (« PLUb ») de la ville de Paris prévoit dorénavant que la location d’un local en meublé de tourisme est interdite :
- dans le secteur d’encadrement des hébergements touristiques délimité au PLUb [7], soit une grande partie du territoire parisien ;
- sur un linéaire commercial et artisanal faisant l’objet d’une protection au PLUb ou aux Plans de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV) du Marais ou du 7ᵉ arrondissement.
La règlementation relative à la location de locaux commerciaux en meublés de tourisme retrouve donc sa pleine application, avec ses trois conditions initialement prévues, complétées et étendues.