Le verdict est sans appel ; la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 19 mars 2015 (n° 14- 12.792) pose le principe selon lequel « dès lors que la prestation de compensation du handicap […] ne donnait pas lieu à recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation, de sorte qu’elle n’avait pas à être imputée sur l’indemnité réparant l’atteinte à son intégrité physique, l’arrêt n’encourt pas le grief du moyen. »
Cet arrêt était attendu suite aux différentes décisions, parfois contradictoires, qui ont pu être rendues concernant la déduction du montant de la Prestation Compensatoire du Handicap (PCH) de l’indemnisation du poste d’assistance d’une tierce personne allouée à une victime.
A l’origine, les juges avaient répondu par la négative en retenant l’absence de caractère indemnitaire attaché à l’allocation compensatrice pour tierce personne (ancêtre de la PCH).
Un arrêt de la deuxième chambre civile du 5 juillet 2006 (n°05-16.122) avait posé le principe selon lequel cette allocation, « servie en exécution d’une obligation nationale destinée à garantir un minimum de ressources aux personnes handicapées et dont le montant est fixé […] compte tenu notamment de ses ressources, constitue une prestation d’assistance dépourvu de caractère indemnitaire. »
Dans le même sens, un arrêt de la deuxième chambre civile du 28 février 2013 (n°12-23.706) a affirmé que les personnes handicapées peuvent « cumuler des indemnités réparatrices avec la prestation compensatoire du handicap qui est dépourvu du caractère indemnitaire et dont le montant est modulé en fonction des besoins et des ressources de chaque personne handicapée ».
En d’autres termes, les tribunaux retenaient que la PCH avait vocation non pas à indemniser les conséquences de l’accident mais l’existence d’un handicap. Par conséquent, aucune déduction ne pouvait être opérée sur l’indemnisation allouée à la victime.
Néanmoins, par un arrêt du 16 mai 2013 (n°12-18.093), la deuxième chambre civile a opéré un revirement dans une affaire opposant la victime et le fonds de garantie des assurances obligatoires (FGAO).
En l’espèce, la Cour de cassation énonce que « la prestation de compensation du handicap, servie en exécution d’une obligation nationale de solidarité, qui est accordée sans condition de ressources, et dont le montant est fixé en fonction des besoins individualisés de l’allocataire, constitue une prestation indemnitaire ».
Il convient donc de déduire le montant de la PCH de l’indemnisation versée à la victime par le fonds de garantie.
Cette solution était compréhensible mais contestable.
Compréhensible d’un point de vue juridique ; en effet, les fonds de garantie (ONIAM, FGAO) n’ont vocation à intervenir qu’à titre subsidiaire (en d’autres termes, en l’absence de débiteur de l’obligation de réparation).
L’article 706-9 du code de procédure pénale dispose de son côté, que l’indemnisation versée par les fonds de garantie doit tenir compte « des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs au titre du même préjudice ».
En d’autres termes, toutes les prestations reçues ou à recevoir pour la victime doivent être déduite de l’indemnisation versée par le fonds de garantie. Celui-ci intervenant subsidiairement, il n’a pas vocation à indemniser un poste de préjudice déjà pris en charge par un autre organisme (Sécurité sociale, Maison départementale des personnes handicapées).
Dans ce sens également, un arrêt du 13 février 2014 (civ. 2ème, n° 12-23.731) a considéré que la PCH vient indemniser le recours à l’assistance d’une tierce personne. La victime ne peut donc pas cumuler la prestation de compensation du handicap et l’indemnisation versée par la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction au motif qu’il s’agirait d’un enrichissement pour la victime. En effet, il apparaîtrait que le poste de préjudice serait indemnisé deux fois, par la PCH et par l’indemnisation versée par le fonds de garantie.
Néanmoins, cette jurisprudence est contestable à plusieurs égards.
Dans un premier temps, la demande de PCH par la victime n’est pas obligatoire. Or, les fonds de garantie demandent au juge un sursis à statuer en attendant la justification par la victime de sa demande de PCH auprès de la MDPH.
Il apparaît donc qu’une simple faculté devient une obligation pour la victime.
Dans un second temps, le délai d’indemnisation est rallongé en raison du délai d’instruction des dossiers par les MDPH.
Cet élan jurisprudentiel confirmant l’imputation de la PCH sur l’indemnisation allouée à la victime et concernant des fonds de garantie a ouvert une brèche où n’ont pas hésité à s’engouffrer les assurances.
En effet, on assistait à une augmentation des demandes de sursis à statuer émanant des tiers responsables et de leurs assurances en attente de la justification par la victime de ses démarches auprès des MDPH.
Ces demandes étaient contestables d’un point de vue juridique.
Le 2 février 2015, la Cour d’appel de Paris a d’ailleurs énoncé « que si la prestation de compensation du handicap constitue une prestation de nature indemnitaire, elle ne figure toutefois pas parmi celles limitativement énumérées par l’article 29 de la loi du 5 juillet 1985 qui seules ouvrent droit à un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation et doivent être imputées sur l’indemnité réparant l’atteinte à l’intégrité physique de la victime, de sorte qu’il n’y a pas lieu de surseoir à statuer sur certains postes de préjudices comme le demande la compagnie GENERALI IARD ni de dire que Monsieur Yannick LE N. devra justifier qu’il n’a présenté aucune demande de prestation de compensation du handicap et n’a perçu aucune somme à ce titre ; ».
L’arrêt de la première chambre civile du 19 mars 2015 vient donc refermer les cas ouvrant droit à la déduction de la PCH de l’indemnisation versée à la victime en l’absence d’intervention d’un fonds de garantie.
Ainsi, la Cour énonce qu’en l’absence de recours subrogatoire contre la personne responsable, il n’y pas lieu de déduire la PCH de l’indemnisation du poste d’assistance d’une tierce personne.
Cette solution ne peut qu’être saluée.
Dans un premier temps, il est important de noter que l’arrêt du 19 mars 2015 concerne un médecin déclaré responsable et non un fonds de garantie. Il est donc tenu de réparer l’intégralité des préjudices subis par la victime comprenant les besoins en tierce personne selon les règles du droit commun de la responsabilité. Son obligation de réparation n’est effectivement pas subsidiaire.
Dans un second temps, la solution inverse entraînerait un enrichissement du tiers responsable et dans le même temps, ferait peser sur la collectivité des frais devant être pris en charge par le responsable. En effet, dans l’hypothèse où la PCH serait déduite, le responsable n’indemniserait qu’en partie les préjudices subis par la victime selon le calcul :
indemnisation – prestation (PCH) = somme à verser.
Or, il n’est pas acceptable de faire supporter par la collectivité les fautes d’un responsable identifié.
Dans le cas de prestations versée par la sécurité sociale (indemnités journalière pendant l’arrêt de travail, remboursement des frais médicaux), la caisse dispose d’un recours subrogatoire contre le tiers responsable. En d’autres termes, l’assurance du responsable doit indemniser la victime et également rembourser les sommes avancées par la Caisse d’assurance maladie sur le fondement de l’article 29 de la loi du 5 juillet 1985.
En matière de PCH, celle-ci est versée par le Conseil général. Or, l’article 29 de la loi de 1985 ne lui ouvre pas de recours subrogatoire contre le tiers responsable. En effet, il ne fait pas parti des organismes pouvant venir récupérer les sommes versées à la victime.
Par conséquent, si la jurisprudence concernant les fonds de garantie était étendue aux responsables sans mettre en place un recours subrogatoire, la collectivité supporterait le coût des préjudices subis par la victime en lieu et place du tiers responsable.
L’arrêt du 19 mars 2015 était donc très attendu par les professionnels officiant aux cotés des victimes qui pourront cumuler la prestation de compensation du handicap et l’indemnisation versée par le responsable.
Notons tout de même que cet arrêt a été rendu par la première chambre civile et non la deuxième à l’origine des arrêts précédents en la matière. En attendant une éventuelle intervention de l’Assemblée plénière, il convient de saluer cet arrêt qui maintient le principe selon lequel le responsable est tenu de réparer l’intégralité des préjudices subis par la victime.