Fin 2021, la première chambre civile de la Cour de cassation rendait un arrêt sur le préjudice permanent exceptionnel (PPE) [1]. Six mois plus tard, c’est au tour de sa deuxième chambre civile de se saisir du sujet [2]. L’arrêt n’est pas novateur en tant que tel mais son étude permet de cerner l’utilisation qui est faite du PPE.
Les faits de l’espèce sont somme toute assez simples. Un athlète professionnel est victime d’un accident de la circulation à l’étranger. Il saisit alors une commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) pour obtenir la réparation de ses préjudices, à savoir son PPE de renonciation à un « métier passion » et sa perte de chance d’être sélectionné et de participer aux Jeux olympiques. Pour rappel, la CIVI est une commission présente dans le ressort de chaque tribunal judicaire [3]. Présidée par le juge délégué aux victimes (JUDEVI) [4], et de certaines infractions contre les biens [5]. S’agissant plus précisément des infractions contre les personnes, sont concernées celles expressément citées ainsi que celles ayant entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois [6].
La procédure devant la CIVI se divise en deux phases. La première est transactionnelle. La demande de la victime est formée devant la commission puis transmise au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) [7]. C’est en effet lui qui est chargé d’indemniser la victime. Si le fonds accepte les demandes de la victime et que cette dernière accepte réciproquement la proposition d’indemnisation qui lui est faite, alors la CIVI homologue l’accord [8]. À défaut, c’est la seconde phase, la phase juridictionnelle, qui débute. Dans ce cas, la CIVI devient une commission judiciaire et statue selon les règles du droit civil [9]. Ce faisant, tant la victime que le fonds peuvent interjeter appel de la décision de la commission dans le délai d’un mois à compter de la notification de la décision [10].
C’est cette procédure qui en l’occurrence a été suivie. La victime a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles en date du 19 mars 2020 [11], lequel a confirmé la décision de première instance du 25 octobre 2018. Il est reproché à la juridiction d’avoir refusé d’indemniser la victime de sa renonciation à exercer un « métier passion » au titre du PPE d’une part et de reconnaître sa perte de chance de participer aux Jeux olympiques d’autre part.
Sur le premier point, la Cour d’appel a estimé que l’ensemble des conséquences de cet abandon est indemnisé notamment au titre des pertes de gains professionnels, de l’incidence professionnelle et du déficit fonctionnel permanent.
Sur le second point, la Cour d’appel a rejeté l’indemnisation au titre du préjudice exceptionnel de la perte de chance de participer aux Jeux olympiques en ce que la victime ne démontrait pas qu’elle avait une chance sérieuse d’y participer.
La Haute juridiction devait donc s’interroger sur le point de savoir si la renonciation à un « métier passion » ainsi que la perte de chance de participer aux Jeux olympiques pouvaient être indemnisées au titre du PPE.
Pour répondre à la question, la Cour de cassation distingue selon les éléments. S’agissant de la renonciation à un « métier passion », elle répond par la négative en ce qu’elle a déjà été réparée au titre d’autres préjudices. En revanche, s’agissant de la perte de chance de participer aux Jeux olympiques, elle répond par l’affirmative. La perte de chance ne nécessitant pas un caractère sérieux pour être réparable mais devant seulement exister, la victime peut en être indemnisée.
Les motifs révèlent des utilisations distinctes du PPE., dualité qui servira de trame à notre réflexion. Alors que les motifs concernant la renonciation au « métier passion » laissent à penser à une utilisation conceptuelle du PPE toute relative (I), les seconds motifs permettent d’appréhender avec richesse l’utilisation dudit préjudice sous un angle fonctionnel (II).
I. Une absence d’utilisation conceptuelle du préjudice permanent exceptionnel.
Avant d’envisager l’étude d’une notion, il faut au préalable la définir pour en distinguer les contours. Si nous reprenons la nomenclature Dintilhac, le PPE désigne « les préjudices atypiques qui sont directement liés aux handicaps permanents, dont reste atteint la victime après sa consolidation et dont elle peut légitimement souhaiter obtenir une réparation » [12]. Pour comprendre la particularité de ce préjudice, et les difficultés que sa mise en œuvre soulève, ses éléments doivent être précisés. Ces derniers permettront de révéler l’utilisation conceptuelle du PPE.
Tout d’abord, le préjudice doit être atypique. Selon l’Académie française, est atypique ce « qui ne répond pas au type ordinaire, qui est en dehors des types communs » [13]. C’est également ce sens qu’a retenu la doctrine. Comme le fait si bien remarquer Monsieur Quézel-Ambrunaz, l’adjectif « atypique » ne doit pas être compris comme quelque chose d’exceptionnel mais plutôt comme ce qui sort de l’ordinaire [14]. Monsieur Lienhard préfère d’ailleurs parler de préjudice spécifique [15]. En somme, le terme désigne ce qui ne peut pas être rattaché au cours habituel des choses. La première difficulté tient donc à la distinction du PPE des autres préjudices [16] (V. également pour une présentation des arrêts admettant ou refusant une indemnisation au titre du PPE Les confusions du préjudice permanent exceptionnel. Par Flavien Ferrand, Etudiant. ). Plus précisément, le PPE doit pouvoir se distinguer des déficits fonctionnels permanent et temporaire, des souffrances endurées, du préjudice d’agrément ou encore des préjudices professionnels. Cependant, comment est-il possible de distinguer le PPE du déficit fonctionnel permanent, considéré en tant que troubles dans les conditions d’existence, lorsque l’on connaît la globalisation créée par ce dernier [17].
S’agissant plus précisément de la renonciation à un « métier passion », la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a par exemple jugé qu’elle avait déjà été indemnisée au titre de l’incidence professionnelle [18]. Il n’y a donc rien d’étonnant à retrouver ce raisonnement dans l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles, et confirmé par la Cour de cassation.
Ensuite, la victime doit faire état d’un handicap permanent dont elle reste atteinte après sa consolidation.
« Constitue un handicap […] toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant » [19].
La deuxième difficulté désigne justement le handicap en tant que tel. En effet, s’il n’est pas difficile de le caractériser, celui-ci pouvant être psychologique [20], il est néanmoins plus ardu de distinguer le handicap du déficit fonctionnel permanent [21]. De la même manière, selon des auteures, le handicap pourrait se confondre avec le préjudice lui-même, notamment en cas de stress post-traumatique ou de souffrance exceptionnelle [22].
Enfin, les éléments précédemment évoqués doivent entretenir un lien entre eux. C’est à ce stade que la troisième difficulté apparaît. Elle n’est autre que l’illogisme de ce préjudice.
Pour le comprendre, il nous faut reprendre les difficultés précédemment évoquées mais sous un autre angle. Ainsi, il faut apprécier la spécificité du préjudice, laquelle doit être en lien avec le handicap permanent que subit la victime. Selon le groupe de travail, ce caractère peut être constitué soit en raison de la nature des victimes soit en raison de la particularité ou du caractère collectif d’un événement au cours duquel a été causé le dommage [23]. Apparaît alors un paradoxe. Le préjudice atypique devant « être directement lié » au handicap au regard de la nomenclature Dintilhac [24], il est difficilement compréhensible de retenir le contexte dans lequel est survenu le dommage pour satisfaire ce critère [25].
Pour admettre ce raisonnement, il faudrait admettre que l’événement soit assimilé à un handicap, ce qui n’est pas envisageable, ou bien que la particularité de l’événement ait causé un handicap qui ne pourrait pas être considéré comme préjudice à lui seul mais dont découlerait ce dernier. Surtout, il faut renverser l’ordre du lien. En l’occurrence, la spécificité ne serait pas créée en raison du handicap mais lui serait antérieure, ce qui permettrait d’envisager le contexte d’un événement comme source de celui-ci. Il est vrai que la nomenclature n’évoque à aucun moment un ordre chronologique puisqu’elle ne désigne qu’un simple lien entre le handicap et le préjudice atypique. Peu importe donc que la spécificité se retrouve en amont ou en aval du handicap. Toutefois, c’est le préjudice qui est atypique, ce qui conduit à assimiler l’événement à ce dernier. L’on conviendra que l’idée est difficilement acceptable au regard de la définition du préjudice.
Effectivement, il correspond aux conséquences du dommage causé à la victime, en tant qu’atteinte, et dont elle peut en demander l’indemnisation [26]. Cette définition nous amène à souligner la confusion des notions que crée la nomenclature, perturbant le lien qu’elles entretiennent. Selon nous, ce préjudice ne pourrait être indemnisé que si le dommage corporel cause un handicap permanent à la victime, lequel est source d’un préjudice atypique.
Soulignons que c’est le préjudice qui doit être atypique en considération de la victime et non pas selon le handicap ou le dommage corporel. Si l’exemple donné par la nomenclature quant à la nature de la victime est probant car il respecte cette logique, le contexte ou la particularité de l’événement au cours duquel a été causé le dommage ne l’est pas du tout ; la victime japonaise ne pouvant plus s’incliner, il s’agit là du handicap, est perçue comme impolie par la culture locale, ce qui constitue le préjudice atypique car d’une résonance particulière. En revanche, le contexte ou la particularité de l’événement au cours duquel a été causé le dommage pour retenir ce caractère ne répondent pas à cette logique. Il y a bien une spécificité certes, mais elle est « mal placée ».
C’est comme si l’événement oblitérait le lien logique entre le préjudice et le handicap.
Finalement, la logique est toute autre et ne devrait pas permettre une indemnisation au titre du PPE en toute rigueur. À la lumière de cette réflexion, nous estimons qu’un préjudice lié aux catastrophes, comme un pan de la doctrine a pu le proposer [27], y répondrait mieux.
Même si les hauts magistrats n’ont pas rappelé leur définition du PPE dans cet arrêt, la Cour de cassation ainsi que les juridictions du fond se basent ordinairement sur celle donnée par la nomenclature Dintilhac :
« les préjudices permanents exceptionnels sont des préjudices extrapatrimoniaux, atypiques, directement liés au handicap permanent qui prend une résonance particulière pour certaines victimes en raison soit de leur personne, soit des circonstances et de la nature du fait dommageable, notamment de son caractère collectif pouvant exister lors de catastrophes naturelles ou industrielles ou les attentats » [28].
Or, si les juges du fond ont accepté à plusieurs reprise une indemnisation au titre du PPE tant pour les accidents collectifs et les actes terroristes que la nature des victimes, la Haute juridiction s’y est quant à elle toujours refusée à notre connaissance [29]. Seul un arrêt rendu par la première chambre civile marque un infléchissement en laissant le choix aux juges du fond d’indemniser la victime au titre du PPE ou au titre d’un autre préjudice [30].
Par le présent arrêt, la Cour de cassation réitère sa position ; elle réduit l’utilisation conceptuelle du PPE à néant. Dès lors, comment la victime peut-elle en être indemnisée ?
Pour un auteur, il faut d’une part démontrer que le préjudice de la victime réponde bien à la définition du PPE et d’autre part que celui-ci ne soit pas réparé au titre d’un autre poste de préjudices [31]. La remarque ne souffre pas de critiques ; elle est des plus logiques, mais il est possible de raisonner différemment. Pour notre part, il faut distinguer deux situations.
Devant les juridictions du fond, la victime doit démontrer la particularité de son préjudice afin qu’il ne puisse pas être relié à un autre poste ; elle ne peut pas utiliser les mêmes éléments pour demander une indemnisation au titre de plusieurs préjudices. Implicitement, cela revient à devoir prouver le caractère extraordinaire du PPE. Toutefois, il nous semble que c’est à la victime d’apprécier ce qui prend une résonance particulière ou non et qui doit, en ce sens, décider à quel poste de préjudice elle souhaite être indemnisée. Les juges du fond décideront alors si les éléments en question reflètent la particularité nécessaire pour permettre une indemnisation au titre du PPE ou s’ils doivent la permettre au titre des autres postes de préjudices.
Devant la Haute juridiction, la victime n’aura rien à prouver, si ce n’est que les conséquences permettant une indemnisation au titre du PPE ne le permettent pas au titre d’autres préjudices, ce qu’ont normalement apprécié les juridictions du fond. Auquel cas, la décision de ces dernières sera cassée pour violation du principe de réparation intégrale. Dans tous les arrêts que nous avons cités, l’indemnisation au titre du PPE a été refusée parce que les éléments concernés avaient déjà été réparés au titre d’un autre préjudice [32]. L’arrêt commenté ne fait que poursuivre cette logique.
Hormis cet aspect, les juges du Quai de l’Horloge ne peuvent pas intervenir au-delà. Il est vrai que la Cour de cassation a déjà énoncé la particularité du préjudice comme critère permettant l’indemnisation [33]. Néanmoins, elle laisse à l’appréciation souveraine des juges du fond le soin d’indemniser la victime au titre du PPE ou à un autre titre les éléments qui lui sont présentés [34], toujours à la condition qu’ils ne soient pas réparés deux fois. C’est ce qu’a fait la première chambre civile en laissant le choix aux juges du fond d’indemniser la victime au titre du PPE ou au titre du déficit fonctionnel permanent car les éléments présentés n’avaient pas été réparés à un autre titre [35].
De la même manière, la chambre criminelle a pu juger que même si les éléments présentés devaient être rattachés au préjudice d’agrément, la Cour d’appel pouvait allouer une indemnisation au titre du PPE en ce qu’ils n’avaient pas déjà été indemnisés à un autre titre [36]. La spécificité requise par le PPE est donc un élément de fait réservé au seul contrôle des juridictions du fond. Par suite, l’utilisation conceptuelle du PPE, c’est-à-dire la spécificité qui le caractérise, est réduite au contrôle de celles-ci.
L’on pourrait nous rétorquer que la Cour de cassation, en vérifiant que les conséquences du dommage corporel ne sont pas déjà indemnisées à un autre titre, apprécie la particularité du PPE. Pour autant, il s’agit moins de contrôler la particularité de ce dernier que de vérifier qu’il n’y ait pas une double indemnisation, et donc un enrichissement de la victime selon nous. En d’autres termes, la Haute juridiction contrôle le respect du principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. Il faut ainsi distinguer le PPE en tant que préjudice, lequel doit répondre au principe de réparation intégrale soumis au contrôle de la Cour de cassation, et le PPE en lui-même, c’est-à-dire un préjudice atypique dont ledit caractère est apprécié souverainement par les juges du fond.
De facto, cela revient à vider le PPE de sa matière devant les hauts magistrats, sauf à admettre que sa richesse ne se situe pas dans sa définition, son utilisation conceptuelle, mais dans la manière dont il est appréhendé. L’intérêt du PPE devant la juridiction de cassation n’est autre que son utilisation fonctionnelle.
II. Un accueil de l’utilisation fonctionnelle du préjudice permanent exceptionnel.
Nous devons désormais porter notre attention sur la réponse affirmative de la Cour de cassation. Plus précisément, il est question de l’indemnisation de la perte de chance pour la victime de participer aux Jeux olympiques. En effet, l’on pourrait croire que les hauts magistrats ont accepté d’indemniser la victime de cette perte de chance, acceptant ainsi une indemnisation au titre du PPE. S’il est vrai que la Haute juridiction ne précise pas la réparer à ce titre dans ses motifs, le PPE est bien lié à la perte de chance dans le dispositif de la décision.
Tout du moins, le lecteur ne doit pas s’y méprendre. L’indemnisation au titre du PPE n’est que la conséquence d’une erreur de la Cour d’appel dans l’appréciation de la perte de chance. Pour rappel, cette dernière a refusé l’indemnisation à la victime car elle ne rapportait pas une chance sérieuse de participer aux Jeux olympiques. La cassation était inévitable. La Haute juridiction juge en effet que, pour être indemnisée, la perte de chance doit seulement être constituée et ne nécessite aucun critère d’importance [37]. Peu importe qu’elle soit minime tant qu’elle est certaine [38].
Il est donc faux de croire que les hauts magistrats ont accepté d’indemniser la victime pour sa perte de chance. Celle-ci n’a été possible uniquement parce que l’arrêt rendu par la Cour d’appel a été cassé. Le plaideur ayant demandé une indemnisation au titre du PPE, la Haute juridiction ne pouvait que constater le droit de la victime à être indemnisée en ce sens.
D’ailleurs, l’on peut remarquer que l’indemnisation au titre du PPE n’apparaît que dans le dispositif de l’arrêt ; la Cour de cassation ne mentionne à aucun moment le PPE dans les motifs concernant la perte de chance. Ainsi, l’absence du PPE peut traduire la réticence des hauts magistrats vis-à-vis de ce dernier et le certain relativisme à adopter quant à l’indemnisation à ce titre.
Le raisonnement adopté n’est pas nouveau. Dans un arrêt rendu en 2020 par la Cour d’appel de Paris, les juges ont refusé d’indemniser une victime au titre du PPE de sa perte de chance de participer aux Jeux olympiques [39]. En effet, elle ne rapportait pas la preuve de la perte d’une éventualité favorable, même minime. Il n’était donc pas encore question de la particularité du préjudice pour retenir un PPE mais de l’existence d’un préjudice en tant que tel. Sur ce point, la Cour d’appel de Paris n’a fait qu’appliquer le droit. Tout du moins, quelle aurait été la situation si les juges du fond, à l’instar de ceux de la Cour d’appel de Versailles, avaient cantonné l’indemnisation de la perte de chance à la perte d’une éventualité favorable sérieuse ? Nous nous serions retrouvé dans la présente situation. La Haute juridiction aurait cassé l’arrêt de la Cour d’appel, admettant de fait l’indemnisation au titre du PPE, quand bien même ce dernier n’aurait pas été constitué.
Dès lors, le PPE possède une fonction résiduelle devant la Cour de cassation. Il permet de corriger une lacune juridique qu’auraient commis les juges du fond, sans que le PPE ne soit constitué pour autant. Ce préjudice prend ainsi une résonance toute particulière devant la Haute juridiction. Cette dernière s’étant presque toujours refusé à admettre son indemnisation, elle l’accepte de fait comme conséquence de la cassation.
Pour les victimes, cette utilisation résiduelle a de l’intérêt. En cas d’erreur d’application du droit par les juges du fond, cette dernière sera indemnisée d’un PPE sans que la Cour d’appel de renvoi ne puisse y remédier en raison de la ventilation des préjudices déjà effectuée. Il faut cependant atténuer notre propos.
Effectivement, si l’indemnisation du PPE est conditionnée à un point de droit, comme les critères permettant de retenir la perte de chance, il n’est pas certain que la victime puisse en être indemnisée. Si la juridiction de renvoi estime que la perte de chance, même minime, n’est pas constituée pour reprendre notre exemple, il n’y aura pas d’indemnisation au titre du PPE.
En revanche, si elle estime que la perte de chance est constituée, la question se pose de savoir à quel titre la victime pourra être indemnisée. L’indemnisation au titre des préjudices autres que le PPE est exclue car elle remettrait en cause la créance acquise par la victime dans son patrimoine. Reste alors le PPE ou alors la possibilité pour les juges du fond d’estimer que les éléments visés ont déjà été réparés à un autre titre. Cette dernière solution risque cependant la cassation.
En estimant que les éléments présentés ont déjà été réparés à un autre titre, alors même que les juges de renvoi sont dans l’impossibilité d’intervenir sur les autres postes de préjudices, ces derniers risqueraient de violer à nouveau mais pour une autre raison le principe de réparation intégrale ; les autres préjudices ayant été confirmés par le jeu de l’effet dévolutif, les juges du fond ne peuvent pas déclarer que les éléments présentés au titre du PPE ont déjà été réparés à un autre titre puisque cela n’a pas été le cas. Ce faisant, l’indemnisation au titre du PPE apparaît comme un déterminisme à la suite de la décision rendue par la Cour de cassation. Si la Cour d’appel de renvoi est amenée à indemniser la victime, elle ne peut le faire qu’autre titre du PPE.
Le mécanisme présente donc un intérêt indéniable pour la victime, laquelle sera mieux indemnisée. Toutefois, les conséquences sur le PPE sont plus problématiques. Primo, elles brouillent l’intérêt conceptuel de ce préjudice. L’indemnisation du PPE est une indemnisation de fait car les juges n’ont pas d’autres moyens de répondre aux demandes de la victime.
Quel sens donner à un préjudice dont l’acception même n’est pas utilisée.
Secundo, elles créent des PPE, sans pour autant qu’ils en respectent la définition. Une myriade de PPE pourraient dès lors voir le jour, induisant le plaideur en erreur, croyant à tort que les éléments présentés aux juges ont permis une indemnisation à ce titre.
Pour pallier ces incohérences, une des solutions serait de supprimer ce poste de préjudices « un peu fourre-tout » tout en conservant son âme [40]. S’agissant d’abord de la particularité liée à la nature des victimes, il n’y a qu’à nommer les choses : soit de nouveaux postes de préjudices doivent être dessinés, soit les autres postes de préjudices existants doivent être utilisés. S’agissant ensuite de la particularité liée aux circonstances ou à la nature de l’événement, un préjudice lié aux catastrophes pourrait être créé [41].
S’agissant enfin de la souplesse de la nomenclature, le PPE permettant d’indemniser les conséquences non indemnisables par un autre biais [42], il n’y a qu’à rappeler que la liste des préjudices n’est pas limitative et qu’il est loisible au juge de créer de nouveaux postes de préjudices. C’est ce qu’indiquait déjà le groupe de travail [43], idée reprise par le projet de réforme de la responsabilité civile ainsi que la proposition de loi sénatoriale [44]. Il est peut-être temps de suivre ce chemin tout tracé afin de clarifier l’utilisation d’un PPE qui ne dit plus son nom.