La Commission européenne adopte l’amendement 138 dit "amendement anti-riposte graduée" (1) voté dans le cadre du "paquet télécom" après avoir fait mine de reculer (2). Cet amendement rappelle simplement qu’une sanction à caractère pénal doit être décidée par un juge et pas par une administration. Jose Manuel Barosso qui n’a pas hésité à se plaindre à peu près en ces termes de l’égoisme étatique de certains états membres qui "critiquent l’Union européenne la semaine et demandent à leurs citoyens de voter en sa faveur le week-end" qui s’est senti piqué par les attaques en direction de Peter Mandelson soutient Viviane Reding (3) et désavoue Nicolas Sarkozy qui semble prêt, seul contre tous, à contourner une éventuelle opinion contraire du conseil européen.
La commission par cette confirmation suit un mouvement anti "flicage" d’internet qui se développe dans certains Etats membres de l’Union Européenne et qui trouve aussi sa souce dans le droit communautaire même.
Ainsi un tribunal de Madrid (4) considère que des sites faisant la liste de liens permettant d’accéder à des contenus à télécharger ne constitue pas une atteinte aux droits de la propriété intellectuelle. L’impact de cette décision ne sera naturellement pas limité à l’Espagne. Cette décision aura un effet sur les droits nationaux de la propriété industrielle aussi bien si l’objet dont on parle constitue une marchandise que s’il est qualifiable de service.
En effet, le droit de l’Union Européeenne connaît le principe de libre circulation des marchandises et prévoit qu’un objet licite dans un pays de l’Union européenne ne saurait être bloqué à la frontière d’un autre pays de l’Union Européenne, la seule exception à ce principe serait une raison impérieuse d’intérêt général ; une jurisprudence constante de la CJCE veut qu’une raison purement financière ou économique ne constitue jamais un motif d’intérêt général. La protection du droit d’auteur ou des droits des multinationales du disque est un motif purement économique et financier ce dont les acteurs économiques en cause ne se sont jamais cachés.
Le droit de l’Union européenne prévoit également le principe de libre prestation de services en Europe on ne peut à première vue revendiquer ce principe étant donné que le service est au sens du droit communautaire une prestation contre rémunération et le téléchargement est par essence gratuit pour le téléchargeur. Cependant les prestations de téléchargement peuvent être financées par la publicité. La publicité peut elle être considérée comme une rémunération du service ? La CJCE a déjà répondu par l’affirmative elle considère en effet que la prestation n’a pas à être directement payé par les bénéficiaires pour être considérée comme un service au sens du droit communautaire :
"Les deux services en cause sont également fournis contre rémunération au sens de l’article 60 du traité. D’une part, les exploitations de réseaux de câbles se rémunèrent du service qu’ils rendent aux émetteurs par les redevances qu’ils perçoivent sur leurs abonnés. Il importe peu que ces émetteurs ne paient généralement pas eux-mêmes les exploitants de réseaux de câbles pour cette transmission. En effet, l’article 60 du traité n’exige pas que le service soit payé par ceux qui en bénéficient. D’autre part, les émetteurs sont payés par les publicitaires pour le service qu’ils leur rendent en programmant leurs messages.(5) "
Les tribunaux français de leur côté considèrent que le magnétoscope numérique (4) enfreint le droit d’auteur et ne peut être protégé par l’exception de copie privée car il est financé par la publicité donc s’il n’était pas financé par la publicité ce service serait légal selon ce tribunal. Il faut en déduire que tout service de ce type non financé par la publicité est légal au sens du droit français grâce à l’exception de copie privée, et que tout site de référencement de liens de téléchargement du moment qu’il est installé dans un pays de l’Union européenne où ce type de service est légal et qu’il est financé par la publicité ou le consommateur, est également légal au sens du droit français puisqu’il est légal au sens du droit communautaire.
Il n’y aura sans doute plus beaucoup de situations où l’administration française pourra infliger des amendes...
Le plus piquant de l’affaire étant que la disposition française contestée par l’amendement 138 visait - entre autres - à transposer une directive européenne dans le droit interne français, le mieux est une fois encore, l’ennemi du bien.
(2) http://www.zataz.com/news/17985/amendement-138-paquet-telecom.html
(3) http://www.ecrans.fr/Riposte-graduee-Barroso-dit-non-a,5348.html?xtor=RSS-450
(4) http://www.zataz.com/news/17954/justice--loi--avocat.html
(5) Arrêt du 26.4.1988 - Affaire 352/85, Bond van Adverteerders, n° 16
Christine Montabert-Strube, Assistante administrative et juridique