L’innovation technique est entrée dans nos vies de consommateurs gourmands et fait aujourd’hui partie intégrante de nos habitudes ; les nouvelles technologies répondent à des besoins qu’elles ont créés, et ce faisant bousculent les modèles de consommation déjà établis. Le néologisme « ubérisation » est sur toutes les lèvres et l’intelligence artificielle permet aujourd’hui à des petites start-ups ridiculement insignifiantes de s’attaquer à des forteresses comme les professions intellectuelles réglementées, au premier rang desquelles est l’avocat. Comme nous nous y sommes habitués, les premiers entrepreneurs insolents sont américains et leur volonté de croquer leur part de la galette juridique, une friandise qui se chiffre à environ 300 milliards de dollars, a déjà provoqué un petit tsunami dans le « milieu ». Il est cohérent que de jeunes français bien informés, parmi lesquels Lawcracy, s’inscrivent dans le mouvement et soumettent nos habitudes - et nos avocats bien portants - à cette même épreuve.
Les logiciels développés par cette génération de jeunes diplômés ambitieux permettent de réaliser toutes les prestations purement techniques, voire mécaniques, qui étaient jusqu’à présent l’apanage des juristes ; informations juridiques, contrats courants, statuts, mises en demeure et injonctions, et d’autres encore qui n’ont pas fini d’inquiéter d’autres jeunes, diplômés en droit pour ceux-là. En effet, les projections faites par de nombreux cabinets tels que Jomati Consultants, mais aussi par des chercheurs de l’université d’Oxford et des auteurs spécialisés comme Richard Susskind, soutiennent qu’à l’horizon 2030 les juristes et avocats se seront nécessairement recentrés sur les prestations de conseil et de négociation à forte valeur ajoutée ou ne seront plus.
Fantasmes ou réalité ? tout phénomène soudain et disruptif, par essence mal compris dans les premiers temps, provoque des réactions discordantes. Il est vrai que les prestations proposées par ces jeunes sociétés sont souvent 10 fois moins chères que celles facturées par les avocats, beaucoup plus rapides également et sont réalisées directement sur internet, plus besoin donc de se déplacer au cabinet solennel et intimidant du « détenteur du savoir » qu’est le professionnel. Il apparaît que les avocats qui vivaient majoritairement de ces formalités simples vont souffrir de cette nouvelle concurrence et seules les prestations à forte valeur ajoutée, associées à des juristes expérimentés, demeureront leur monopole et la source principale de leurs revenus. Il n’est pas rare d’entendre des membres de la profession s’insurger face à ces nouvelles méthodes d’accès au droit qui relèveraient selon eux de la pratique illégale de la profession d’avocat, idée réfutée par ces entrepreneurs qui rappellent que ce sont des logiciels, des algorithmes qui remplissent des formulaires, et non du personnel qui délivrerait des conseils.
Il faut toutefois mentionner que ces sociétés qui proposent des services juridiques à coûts réduits s’adressent tout d’abord aux 9 individus sur 10 qui connaissent des problèmes de droit mais ne recourent pas aux avocats, essentiellement pour des raisons financières. Ainsi, le marché de ces entreprises et des avocats n’est pas le même. Enfin, les professionnels mettent en garde les clients contre le manque de sécurité juridique et l’absence de responsabilité de ces sociétés, argument qui aurait été pertinent s’il s’agissait de personnels conseillant les clients et non de machines effectuant des actes de pure procédure.
Il est sans doute prématuré de tirer des conclusions et hasardeux de s’essayer à prédire la situation telle qu’elle sera en 2030, la voyance et le droit étant des disciplines que tout oppose. Il ressort de l’analyse que les sociétés qui facilitent l’accès au droit et simplifient les formalités juridiques pour des coûts faibles vont contribuer à universaliser la matière, protéger les clients et les aider à faire valoir leurs droits, créer du contentieux qui lui est réservé aux avocats. Le marché n’étant pas le même pour les deux parties en présence, l’impact économique pour la profession sera peut-être moindre que ce que beaucoup semblent penser, et parler de recyclage ou de métamorphose des praticiens serait exagéré. Toutefois, si les avocats mûrs (expérimentés) ne seront pas inquiétés par cette déferlante et même pourront utiliser ces nouveaux outils pour gagner du temps, certains autres devront probablement s’adapter et repenser leur activité. Ce qui est valable pour ces avocats le sera également pour les juristes et services juridiques d’entreprise qui nécessairement devront se spécialiser pour délivrer des prestations à valeur ajoutée.
En définitive, les progrès de l’intelligence artificielle et la volonté de bousculer l’ordre établi permettent d’ores et déjà de fournir un service de qualité, simple et à prix extrêmement faibles tout en contribuant à une quasi mission de service public puisque favorisent l’accès au droit et la préservation des droits. Les avocats comme les juristes devront nécessairement tenir compte de ces évolutions et pour certains s’adapter, mais il serait incorrect de parler de concurrence directe entre ces start-ups dynamiques et ces professions établies, leur cible n’étant pas réellement la même.
Discussions en cours :
Cet article pose en termes simples la difficulté relative présentée par les services de fournitures de données juridiques par Internet, qui ne sont pas directement en concurrence avec les professions règlementées dont les avocats. C’était le thème du dernier congrès de GESICA à BORDEAUX cette fin de semaine. Les principaux fournisseurs de ce type de services extra-légal ont été invités et se sont clairement expliqués. En conclusion l’avocat sous peine de se voir remplacé par des machines intelligentes doit se recentrer sur sa propre valeur ajoutée, conseil et écoute de la clientèle et apport aux magistrats, au lieu de se voir comme un technicien apte à remplir des formulaires ce qu’il ne fera jamais aussi bien que les programmes informatiques adaptés. La qualité de l’avocat c’est celle de l’homme et non celle de la technique.
Avec le web, les avocats se trouvent aujourd’hui confrontés à des espaces déterritorialisés, détemporalisés et dématérialisés. Ils sont confrontés ainsi que les acteurs habituels de la justice, à un monde où les activités humaines se croisent avec des activités générées par des machines (RPVA).
Plus généralement, ces machines devenant intelligentes, c’est-à-dire de plus en plus autonomes, sont capables de communiquer entre elles partout dans le monde. C’est peu à peu l’ensemble des rapports entre systèmes humains et systèmes techniques dans la profession d’avocat qui doit être réexaminé. C’est le thème du dernier Livre blanc d’Abel Garbini, CEO de Rulesquare, dont la sortie est prévue pour mars 2016.
EXTRAIT
"D’abord conçues comme des outils destinés à aider à la production, les machines ont fait un grand pas dans la réduction de la distance avec l’humain. Mais avec Internet (TIC), nos machines viennent de franchir une nouvelle étape : leur capacité à agir instantanément et collectivement dans un monde virtuel, combinée à leur aptitude à être présentes partout à la fois (don d’ubiquité), décuplent leurs possibilités et génère, à l’échelle mondiale, une intelligence collective inédite.
L’échange des informations n’est plus centralisé et hiérarchique. La communication entre humains est désormais réticulaire et distributive grâce à la communication entre machines.
(...)
Dans le cours de l’histoire, la communication entre les êtres humains est passée successivement de la tradition orale à l’expression écrite sur support papier. Le passage de l’imprimerie de Gutenberg à l’ubiquité du web marque un changement de paradigme dans la production et la transmission de l’information. Ces deux processus s’effectuent aujourd’hui dans des espaces numériques multiples où pour la première dans l’histoire de l’humanité les échanges « humains à humains » se superposent désormais aux échanges « humains à machines », voire se confondent souvent avec les échanges « machines à machines ».
(...)
Il est temps pour les avocats français d’être présents efficacement sur le web dans le respect de la déontologie et des normes nationales et européennes encadrant la collecte et la transmission des données personnelles. Ils doivent participer à l’émergence d’un web juridique déontologique et de qualité afin de réussir leur « révolution numérique »".
En savoir plus sur http://www.rulesquare.com