Chaque année, dans les cabinets d’avocats, il est question de la même rengaine. Fin décembre approchant, il n’est pas difficile de croiser un confrère désespéré de ne pas avoir rempli son quota d’heures de formation pour l’année écoulée. Si certains ont pris les devants en juillet dernier en participant à la session d’une semaine de droit de la famille délocalisée aux Maldives, d’autres s’agitent entre deux jeux de conclusions pour trouver les dernières formations disponibles en ligne. Une mise à jour sur le droit équin [1] ? Peu importe l’enseignement dispensé, l’inscription est de mise. L’enjeu n’est d’ailleurs pas des moindres puisque l’exercice professionnel est conditionné à une formation continue [2]. Ainsi, en pleine digestion du vendredi après-midi, le casque audio posé délicatement sur le flanc droit de l’écran d’ordinateur, les deux heures d’apprentissage serviront à combler précieusement les lacunes du tableur Barotech.
Mais au-delà de la boutade qui peut prêter à sourire, il s’agirait de réfléchir sur la véritable efficacité de la mesure (1). En réalité, l’obligation de formation continue pour l’ensemble des professions juridiques libérales ressemble fortement, toute proportion gardée, à une infantilisation de la part du législateur et du pouvoir réglementaire (2). En fin de compte, cela résulterait d’un changement de discours considérant la formation continue de l’adulte d’un droit subjectif à une véritable contrainte (3).
1. Des doutes sur l’efficacité d’une obligation quantitative.
On l’a évoqué ci-dessus, l’avocat inscrit au tableau est soumis à une obligation de formation continue. Il est peut-être venu le temps de se questionner sur l’exigence pour les avocats de se former à hauteur de vingt heures par an ou de quarante heures au cours des deux années consécutives écoulées [3]. Le pouvoir réglementaire temporise néanmoins cette contrainte en admettant la possibilité pour l’avocat de faire valoir un enseignement qu’il aurait dispensé, ainsi que la publication de travaux à caractère juridique. À ce dernier titre, votre serviteur ne manquera pas de faire valoriser cet article Village justice [4] auprès de l’autorité de contrôle compétente.
L’effectivité de cette règle repose sur un organe qui est chargé de la faire respecter. Tel est le cas du conseil de l’ordre duquel l’avocat relève, qui veille à la bonne exécution de ce devoir [5]. Au plus tard le 31 janvier de chaque année, l’avocat doit déclarer l’ensemble de son activité de formation et doit y joindre la copie de l’intégralité de ses attestations. S’agissant des avocats n’ayant que partiellement exercé la profession au cours de l’année écoulée, il revient au conseil de l’ordre d’apprécier prorata temporis le nombre d’heures de formation continue applicable.
Sur l’initiative du Conseil national des barreaux, la sanction en cas de manquement se durcit en 2025 [6]. Le conseil de l’ordre compétent a la possibilité d’omettre l’avocat du tableau. Auparavant, le régime était plus imprécis puisque le non-respect du nombre d’heures de formation effectuée était interprété comme une contravention aux lois et règlements ou une infraction aux règles professionnelles pouvant faire l’objet d’une sanction disciplinaire, conformément à l’article 183 du Décret du 27 novembre 1991 [7].
Quoi qu’il en soit, le barreau de Paris a misé sur la carotte pour tenter de conjurer le manque d’assiduité de ses membres [8]. En 2023, seuls 22% des avocats parisiens ont déclaré avoir effectué les 20 heures de formations au cours de l’année. 48% s’en sont dispensés totalement. Opposé à une sanction administrative tel que le proposait le Conseil national des barreaux, le conseil de l’ordre de Paris a voté, le 24 septembre 2024, une réduction du montant des cotisations de responsabilité civile professionnelle (RCP) de 2025 pour les avocats à jour de leur obligation fin 2024.
Faut-il également préciser que les benjamins de la profession sont soumis à un fléchage de plus en plus strict de leur formation continue ? Depuis le 1ᵉʳ janvier 2024 [9], trente heures sur quarante durant les deux premières années d’exercice doivent être consacrées à la gestion d’un cabinet, à la déontologie et au statut professionnel. Paradoxalement, même si le lien entre études et savoir professionnel n’est pas étayé, les jeunes avocats n’ont jamais été autant diplômés qu’aujourd’hui. Alors qu’il était encore possible jusqu’en 1977 de passer l’examen du CRFPA avec une simple Licence en droit [10], il était demandé par la suite une Maîtrise. Aujourd’hui, l’accès à la profession d’avocat n’est ouvert qu’a des juristes titulaires, outre le CAPA, d’un Master, depuis le 1ᵉʳ janvier 2025 [11].
Nul ne remet en cause ici l’exigence pour l’avocat de se mettre à jour sur les domaines du droit en lien avec son activité. D’autant plus que lorsque celui-ci est soumis à une obligation déontologique de compétence [12]. En revanche, contraindre quantitativement le porteur de la robe à des heures de formation soulève quelques interrogations. Cela reposerait sur l’idée que l’avocat n’a pas la maturité nécessaire pour connaître ses propres besoins. Il gère son entreprise, élabore sa communication, reçoit ses clients, entreprend les recherches juridiques nécessaires à la résolution de son cas, entretien des relations avec ses confrères et son ordre, assiste ses clients en expertise, plaide ses dossiers en juridiction, en revanche, il ne serait pas capable d’identifier ses lacunes. Quelle drôle d’idée.
2. L’infantilisation des professions juridiques libérales.
À vrai dire, l’infantilisation a été initiée par la Loi du 11 février 2004 [13]. C’est sur une proposition du rapporteur de la commission des lois du Sénat, Jean-René Lecerf [14], que la chambre haute a adopté en première lecture de l’article additionnel mettant pour la première fois à la charge des avocats une obligation de formation continue.
L’auteur de l’amendement avait justifié sa mesure en estimant que les avocats étaient exposés à une forte concurrence internationale et qu’ils devaient régulièrement actualiser, entretenir et perfectionner leurs connaissances pour s’adapter aux exigences croissantes des usagers du droit. De fait, la formation continue obligatoire se présentait, selon lui, d’une part, comme un moyen utile de donner une dimension européenne et même plus largement internationale à l’activité du professionnel et, d’autre part, comme une garantie de la compétence de l’avocat. D’ailleurs, sur ce dernier point, l’ancien parlementaire sera remercié pour le paternalisme dont il fait preuve vis-à-vis de la profession :
« [La formation continue obligatoire] se justifie d’autant plus que la mise en cause de sa responsabilité devient de plus en plus fréquente et que la jurisprudence fait peser des obligations croissantes sur ces professionnels, notamment au regard de leur devoir de conseil dont ils doivent être conscients. Ces derniers doivent donc maîtriser les outils nécessaires pour leur éviter des sinistres du fait de leurs négligences ou en raison de mauvais conseils résultants d’une compétence insuffisante. L’institution de la formation continue pourrait, par ailleurs, inciter les assurances à diminuer leurs primes » [15].
Le sénateur, qui a envisagé dix-huit heures de formation annuelles ou trente-six heures pour une période de deux ans, souhaitait également qu’un tel dispositif apparaissait comme d’autant plus nécessaire en raison de la suppression du stage obligatoire pour les jeunes avocats, proposée par la même réforme. Il espérait enfin que la formation continue obligatoire constitue un support adapté pour la promotion de la formation commune entre les magistrats et les avocats. Ce qui ne s’est jamais réalisé si ce n’est quelques colloques ponctuels.
Que l’on se rassure, « l’avocature » n’est pas la seule profession juridique libérale à être forcé à cette tâche aujourd’hui. En réalité, elles le sont toutes. Logiquement, l’obligation de formation professionnelle continue est identique pour les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation [16], c’est-à-dire de vingt heures au cours d’une année civile ou de quarante heures au cours de deux années consécutives, au regard du Décret du 28 octobre 1991 [17]. Il en va de même pour les commissaires de justice, selon l’Ordonnance du 2 juin 2016 [18] et du Décret du 15 novembre 2019 [19].
En revanche, les notaires sont plus malchanceux aux aléas du pifomètre. Depuis la Loi du 22 décembre 2010 [20] et son Décret d’application du 3 octobre 2011 [21], ces derniers sont soumis à trente heures de formation par an. Cette différence s’expliquerait-elle en raison du fait que les notaires sont les gardiens de l’authenticité [22] ? La lecture des débats parlementaires ne nous délivre pas la réponse. Le rapport sénatorial sur la proposition de loi relative à l’exécution des décisions de justice et aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées [23] se contente d’affirmer que la rédaction de nouvelle obligation de formation continue pour les huissiers de justice (article 13 de la proposition de loi) et pour les notaires (article 18) s’inspire largement de celle applicable à la profession d’avocat.
3. D’un droit à une obligation de formation continue.
En France, l’idée de formation continue n’est pas nouvelle : on peut aisément la rattacher au concept d’éducation permanente [24], envisagé dans les années 1960 et 1970 comme une éducation personnelle, culturelle, civique et professionnelle sur toute la durée de la vie. Portée par des porte-parole des mouvements d’éducation populaire, la Loi du 16 juillet 1971 relative à l’organisation de la formation professionnelle continue dans le cadre de l’éducation permanente [25] peut être vue comme un point d’aboutissement de tout un courant utopiste. Ainsi, toujours en vigueur et identifiée explicitement dans le visa des décrets organisant la formation des avocats, l’article 1er dispose notamment que :
« [la] formation professionnelle continue fait partie de l’éducation permanente. Elle a pour objet de permettre l’adaptation des travailleurs au changement des techniques et des conditions de travail, de favoriser leur promotion sociale par l’accès aux différents niveaux de la culture et de la qualification professionnelle et leur contribution au développement culturel, économique et social ».
Pour le dire autrement, la formation continue était envisagée comme un droit de l’individu, du citoyen, du travailleur, à s’élever professionnellement et à contribuer à la société. Et, pour ce faire, ce principe enjoignait à la collectivité de la financer [26].
C’est dans ce cadre que la grande Loi de décembre 1971, organisant notamment la nouvelle profession d’avocat [27], prévoyait que les centres régionaux de formation professionnelle (CRFPA) étaient chargés d’assurer la formation permanente des avocats, sans aucune autre indication.
La bascule d’un droit subjectif vers une obligation est donc récente et peut être identifiée à partir du début des années 2000 au regard des différentes réformes législatives susmentionnées. Période à laquelle où « l’éducation permanente » a largement laissé place à « l’économie de la connaissance » ou à une « société de la connaissance » mise en avant par des organisations internationales comme OCDE ou l’Union européenne et chez des économistes néolibéraux [28].
Cette dernière terminologie évoquée par la Commission européenne s’inscrit comme une véritable politique économique qui cherche à renforcer « la compétitivité » du continent par le développement des compétences professionnelles et leur mise à jour constante [29]. Faisant un lien entre le niveau d’étude moyen de la population et le taux de croissance, cette dernière enjoignait les États membres à investir dans « le développement du capital humain » et ainsi réduire le retard accusé sur les États-Unis dans ce domaine » [30]. La formation continue n’est plus conçue comme un outil d’émancipation, mais comme un moyen de conjurer l’obsolescence des aptitudes professionnelles des individus et ainsi satisfaire le « marché de l’emploi ». Des arguments qui se retrouvent au Sénat dans le discours initiant la Loi du 11 février 2004 visant les avocats.
Il semblerait, dès lors, que le confrère, angoissant de ne pas combler son quota d’heure de formation, soit l’une des victimes de cette politique économique. Espérons qu’il en prendra conscience à l’avenir.