Village de la Justice : Si vous ne deviez retenir qu’une seule disposition de la Loi « Macron » concernant les avocats, laquelle retiendriez-vous ?
Laurent Dargent : La loi dite « Macron » du 6 août 2015, examinée et validée par le Conseil constitutionnel [2], a réformé les modes d’exercice de la profession d’avocat dans plusieurs de ses dispositions [3]. Mais plus qu’une modification en particulier, il me semble opportun de mettre en exergue l’une des orientations de la loi.
Une première série de dispositions tend à simplifier et libéraliser la réglementation existante.
Pour l’essentiel, la loi étend notamment, sauf exception, le champ d’application de la postulation à l’ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de la cour d’appel dans lequel un avocat a établi sa résidence professionnelle, et supprime le tarif de la postulation en première instance. Elle ouvre, par ailleurs la forme (étendue à toutes entités dotées de la personnalité morale, à l’exception des formes juridiques qui confèrent à leurs associés la qualité de commerçant), le capital (qui peut être détenu, ainsi que les droits de vote, par toute personne, physique ou morale, exerçant une profession juridique ou judiciaire à condition que l’un des associés soit membre de la profession exercée, et du conseil d’administration ou du conseil de surveillance de la société), et l’objet social (interprofessionnalité d’exercice) des structures d’exercice de la profession.
- Laurent DARGENT
Editions Dalloz - Département civil
Spécialisé en Droit du contentieux et Droit des professions juridiques et judiciaires
Mais, au-delà de ce mouvement de libéralisation, la loi « Macron » participe d’un second mouvement que l’on peut qualifier de « consumérisation de l’activité des avocats » [4], entendu comme une emprise toujours plus grande de l’analyse consumériste de la profession.
C’est cette orientation que je choisirai de développer.
Cette orientation se manifeste aux termes des dispositions instituant un contrôle accru des honoraires [5]. La loi étend ainsi à la rémunération de la postulation le principe selon lequel l’honoraire est fixé en accord avec le client. Il n’en va autrement qu’en matière de saisie immobilière, de partage, de licitation et de sûretés judiciaires, qui font l’objet de droits et émoluments désormais régis par les articles L. 444-1 et suivants du Code de commerce.
Surtout, sauf en cas d’urgence ou de force majeure ou lorsque l’avocat intervient au titre de l’aide juridictionnelle totale ou de l’aide juridique dans les procédures non juridictionnelles, la loi généralise l’exigence d’une convention d’honoraires entre l’avocat et son client [6], qui doit, au minimum, préciser, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés, ces honoraires devant nécessairement tenir compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci.
C’est dans ce cadre, que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui avait déjà pris l’initiative de réaliser une enquête sur les honoraires en mai 2014 [7], est désormais autorisée à rechercher et constater les manquements à l’obligation pour l’avocat de conclure par écrit avec son client une convention d’honoraires.
La loi « Macron » poursuit ainsi, après la loi Hamon, une approche consumériste de l’activité de l’avocat, dont la jurisprudence se fait également l’écho. Ainsi, la Cour de justice de l’Union européenne avait-elle déjà jugé que la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’applique à des contrats standardisés de services juridiques, tels que ceux conclus par un avocat avec une personne physique qui n’agit pas à des fins qui entrent dans le cadre de son activité professionnelle [8].
De même la Cour de cassation, reprenant la nouvelle définition du consommateur, issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, juge-t-elle que la demande d’un avocat en fixation de ses honoraires dirigée contre une personne physique ayant eu recours à ses services à des fins n’entrant pas dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, est soumise à la prescription biennale de l’art. L. 137-2 du Code de la consommation [9].
Et depuis la loi Macron, le mouvement se poursuit.
L’ordonnance n° 2015-103 du 20 août 2015 relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation et le décret n° 2015-1382 du 30 octobre 2015 relatif à la médiation des litiges de la consommation consacrent le droit pour tout consommateur de recourir gratuitement à un médiateur de la consommation en vue de la résolution amiable du litige qui l’oppose à un professionnel. En l’absence de restriction explicite, tout avocat devra ainsi être en mesure d’offrir à ses clients consommateurs la possibilité de recourir gratuitement à un tel dispositif de médiation de la consommation en cas de litige de nature contractuelle, c’est-à-dire essentiellement en cas de litige en matière d’honoraires [10]. Le Conseil national des barreaux a ainsi nommé à cette fin, lors de son assemblée générale des 22 et 23 janvier 2016, un médiateur de la consommation en la personne de l’ancien bâtonnier de Rouen, Jérôme Hercé.
La relation avocat/client est plus qu’hier, et moins que demain, une relation de consommation. Les avocats doivent en avoir pleinement conscience.