Extrait de : Droit européen et international

La démystification de l’obtention du titre foncier au Cameroun, par Willy Tadjuje

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Explorer : # démystification # titre foncier # réforme foncière # propriété foncière

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Introduction

Même s’il est de l’essence de la propriété d’appartenir à un seul , M. Joseph COMBY souligne que la révolution n’a pas crée la propriété, qu’elle a juste inventé le propriétaire, et l’a façonné comme un petit monarque absolu au milieu de son territoire exclusif . L’appropriation de la terre voit le jour en Occident à partir de la Déclaration française des droits de l’Homme de 1789. Elle constitue aujourd’hui, aux yeux du Pr. Etienne LE ROY, un moyen d’encadrer et sécuriser les droits et pratiques des citoyens . Cela suppose donc qu’il soit important d’assurer l’accès simple et facile d’un plus grand nombre au titre foncier, d’où l’idée de la démystification de son obtention. Cette démystification a une signification qu’il convient d’analyser (A) avant de s’attarder sur l’idée que les usagers s’en font (B).

A – La signification de la démystification de l’obtention du titre foncier

Etymologiquement, le substantif « démystification » vient du verbe « démystifier » qui signifie ôter, dissiper le caractère mystique d’une chose ou d’un phénomène. Il en résulte que ce qui est mystique inspire l’idée des pratiques que devraient seuls connaître et maîtriser les initiés. Or c’était à peu près le cas avec la procédure d’immatriculation et, pourquoi pas, avec le titre foncier. Il en résulte les volets suivants de cette rubrique : l’objectif du jurislateur à travers la démystification de l’obtention du titre foncier (1), d’une part, et les conséquences juridiques de cette démystification, d’autre part (2).

1 – L’objectif du jurislateur à travers la démystification de l’obtention
du titre foncier

C’est conscient des difficultés qu’éprouvait l’usager sous l’empire de l’ancienne procédure d’immatriculation que le jurislateur de 2005 a décidé de faciliter l’obtention du titre foncier au Cameroun. En effet, à cette époque, obtenir un titre foncier relevait d’un pur mystère, compte tenu des difficultés qui entouraient la délivrance de ce document.

Des propos de M. TALBA MALLA dans le journal Domaines-Infos , il ressort que le décret du 16 décembre 2005 a réveillé chez les anciens demandeurs de titres fonciers de tristes souvenirs . Le géomètre Henri NJOMGANG remarque par exemple que certains dossiers séjournaient parfois pendant plusieurs années dans les circuits du ministère avec pour couronnement final, des rejets fantaisistes . Or s’il est aujourd’hui possible d’obtenir un titre foncier en moins de 12 mois, il s’ensuit que cette obtention a été démystifiée, qu’elle n’est plus réservée aux « seuls initiés ». La démystification suppose donc la simplification car, chaque usager peut aujourd’hui, en principe, obtenir aisément son titre foncier, sans avoir à subir des tracasseries. Touts comptes faits, le souci du jurislateur n’a pas seulement été la démystification de cette obtention. Il a également été question de démystifier le titre lui-même.

2 – La démystification du titre foncier

Au-delà de la démystification de l’obtention du titre foncier, l’on s’aperçoit que le jurislateur de 2005 a également démystifié le titre foncier. Car, en réalité, « la législation commence toujours par faire semblant de croire au droit de propriété, pour en multiplier les limites, contraintes et exceptions » . En effet, parler de la démystification du titre foncier revient ici à faire allusion à sa dénaturation, liée à la perte de son absolutisme. Ceci est justifié dans une certaine mesure et dans la pratique par le fait qu’il n’est pas possible, même en France, de trouver un terrain sur lequel un propriétaire aurait tous les droits. Un tel terrain n’aurait aucune valeur . Pour bien percevoir cette idée de démystification du titre foncier, il convient de partir de l’analyse de ses caractères. « Le titre foncier est inattaquable, intangible, définitif » .

Parce qu’il est inattaquable, il ne peut en principe plus être contesté dès qu’il a été délivré. En d’autres termes, si celui qui l’a obtenu n’était pas le véritable titulaire des droits fonciers, il va quand même demeurer propriétaire du terrain. Mais, ce caractère est atténué par les dispositions de l’article 2 (3 et 4) (nouveau) du décret de 2005, lesquelles sont rappelées constamment, en cas de besoin, par le juge administratif . Intangible, le titre foncier ne peut pas être modifié, sauf en cas de rectification , et sous la responsabilité du conservateur foncier. Quant au caractère définitif, il signifie que le titre foncier s’octroie une seule fois sur la terre concernée , qu’il n’est pas susceptible de prescription et qu’il n’admet pas de titre concurrent.

Curieusement, les caractères inattaquable et définitif sont aujourd’hui affaiblis par l’article 2(6 §1) (nouveau) du décret de 2005. Cet article dispose que « lorsque plusieurs titres fonciers sont délivrés sur un même terrain, tous sont déclarés nuls de plein droit, et les procédures sont réexaminées pour déterminer le légitime propriétaire ». Contrairement à la législation antérieure , le décret de 2005 fragilise le titre foncier et, par conséquent, le droit de propriété. Avec cette disposition, le titre foncier n’est plus véritablement définitif et inattaquable. Encore qu’avec le décret de 1976, l’article 2 restreignait déjà l’absolutisme du titre foncier. En effet, le ministre avait, et a toujours compétence pour ordonner le retrait d’un titre foncier , comme on le verra plus loin.

Dans le même ordre d’idées, la démystification du titre foncier est également de plus en plus renforcée par le développement du recours à la fiducie . En effet, le titre foncier qui matérialisait le droit réel principal par excellence, c’est-à-dire le droit de propriété, constitue avec la fiducie , le symbole d’un droit réel accessoire, à travers son utilisation comme moyen de garantie des crédits . Certes, il est vrai que l’idée d’une propriété absolue est difficilement imaginable , mais on ne peut manquer de remarquer que cette pratique porte atteinte au fameux principe de l’article 544 du Code civil selon lequel « la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

Il est donc clair que le propriétaire contemporain n’est plus exactement ce « petit monarque absolu au milieu de son territoire exclusif » , mais plutôt un propriétaire dépendant d’un faisceau de relations sociales. Aussi, relativement à la démystification de l’obtention du titre foncier analysée ci-dessus, il convient de s’interroger sur la réception et la perception de celle-ci par les usagers.

B – L’opinion des usagers au sujet de la démystification de l’obtention du titre foncier

Chez les usagers, il existe des points de consensus (1) et de divergence (2) au sujet de la question de la démystification de l’obtention du titre foncier par le décret de 2005.
1 – La convergence des points de vue : l’admission massive de l’idée d’une amélioration de la procédure d’immatriculation depuis le décret de 2005

Après la publication du décret de 2005, les usagers du service public des Domaines et Affaires foncières ont aussitôt été flattés par la déconcentration, commencée par un autre décret de 2005 , et qu’il a essayé de concrétiser sur le plan pratique. C’est ainsi que les services compétents, conformément à la nouvelle procédure , ont été très tôt visités par des usagers en quête du titre foncier. C’est vrai qu’ils ne peuvent pas ne pas déplorer certaines situations, mais lorsqu’il s’agit de faire une comparaison avec l’ancienne procédure, tous confirment unanimement que beaucoup de choses ont changé et qu’il est désormais plus facile à un usager d’obtenir le titre foncier sur son terrain coutumier.

A tout considérer, la sortie effective des titres de la réforme, c’est-à-dire des titres fonciers obtenus dans une période comprise entre six et douze mois, a sûrement été un moyen pour l’administration foncière de redonner confiance aux usagers , à un moment où ceux-ci continuaient d’estimer que l’obtention du titre foncier relève d’un pur mystère. Mais, malgré cela, nombreux sont encore ceux qui doutent des perspectives réelles de cette réforme.

2 – Les divergences de positions sur les perspectives du décret de 2005

Il ressort des conclusions des descentes que nous avons faites sur le terrain que beaucoup de Camerounais, bien que n’ignorant pas l’existence d’une réforme en matière foncière et des innovations qu’elle a introduites, font fi de celle-ci. C’est ainsi que bien qu’étant conscients de cette réalité, qu’ils n’aient pas malgré tout, l’intention d’envisager une quelconque procédure d’obtention du titre foncier sur leur tenure. Cette léthargie peut s’expliquer de deux façons. Premièrement, s’ils se comportent de la sorte, ce serait par ignorance de la valeur sécuritaire du titre foncier. A cet effet, le titre foncier ne serait pas pour eux quelque chose d’important, bref, il ne ferait pas partie de leurs habitudes. Deuxièmement, un pareil comportement pourrait s’expliquer par une perte de confiance envers les pouvoirs publics. Dans cette perspective, d’aucuns estiment que la réforme n’a pas produit des effets significatifs, comme pour dire qu’elle n’est pas allée plus loin que « dévêtir Saint Pierre pour habiller Saint Paul », bref, qu’elle n’est qu’une reconduction des mêmes tares de la législation foncière antérieure du pays.

PRINCIPALES ABREVIATIONS

A.F.S.J.P. : Annales de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
C/ : Contre
CS/CA : Cour Suprême / Chambre administrative
DDDAF : Délégation Départementale des Domaines et des Affaires Foncières
JO : Journal Officiel
LGDJ : Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence
MINDAF : Ministère des Domaines et des Affaires Foncières
PM : Premier Ministre
PUA : Presses Universitaires d’Afrique

TADJUDJE Willy
Doctorant, Université de Yaoundé II-Soa, Faculté de Droit
Tél. : 00 237 99 78 57 34
Email : willytadj chez yahoo.fr / williamstchadji chez yahoo.com

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