Jusqu’à peu, il était de jurisprudence constante que le bail conclu par une société en formation était sanctionné par la nullité de celui-ci, puisque la personne morale n’existait pas.
Il fallait donc être particulièrement vigilant sur le formalisme à respecter pour éviter cette sanction couperet, avec des conséquences pouvant vite s’avérer dramatiques, pour le preneur comme pour le bailleur.
Généralement les rédacteurs d’acte prenaient soin de prévoir que le contrat était conclu pour le compte de la société en formation et non par la société elle-même.
Les actes préparatoires à la création de la société étaient conclus par les fondateurs, au nom et pour le compte de la société, puis repris une fois celle-ci immatriculée.
Par trois arrêts du 29 novembre 2023, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a assoupli les conditions selon lesquelles un bail commercial ou un acte de cession de fonds de commerce peut être valablement conclu par une société en formation et repris après son immatriculation.
Cass. com. 29-11-2023 n° 22-12.865
Cass. com. 29-11-2023 n° 22-18.295
Cass. com. 29-11-2023 n° 22-21.623
Elle a motivé son revirement de la manière suivante :
« La Cour de cassation juge depuis de nombreuses années que ne sont susceptibles d’être repris par la société après son immatriculation que les engagements expressément souscrits « au nom » […]
ou « pour le compte « […] de la société en formation, et que sont nuls les actes passés « par » la société, même s’il ressort des mentions de l’acte ou des circonstances que l’intention des parties était que l’acte soit accompli en son nom ou pour son compte […]
7. Cette jurisprudence repose sur le caractère dérogatoire du système instauré par la loi, lequel permet de réputer conclus par une société des actes juridiques passés avant son immatriculation. Elle vise à assurer la sécurité juridique, dès lors que la présence d’une mention expresse selon laquelle l’acte est accompli « au nom » ou « pour le compte » d’une société en formation protège, d’un côté, le tiers cocontractant, en appelant son attention sur la possibilité, à l’avenir, d’une substitution de plein droit et rétroactive de débiteur, et, de l’autre, la personne qui accomplit l’acte « au nom » ou « pour le compte » de la société, en lui faisant prendre conscience qu’elle s’engage personnellement et restera tenue si la société ne reprend pas les engagements ainsi souscrits.
8. Cette solution a pour conséquence que l’acte non expressément souscrit « au nom » ou « pour le compte » d’une société en formation est nul et que ni la société ni la personne ayant entendu agir pour son compte n’auront à répondre de son exécution, à la différence d’un acte valable, mais non repris par la société, qui engage les personnes ayant agi « au nom » ou « pour son compte ». Elle s’avère ainsi produire des effets indésirables en étant parfois utilisée par des parties souhaitant se soustraire à leurs engagements, et a paradoxalement pour conséquence de fragiliser les entreprises lors de leur démarrage sous forme sociale au lieu de les protéger, sans toujours apporter une protection adéquate aux tiers cocontractants, qui, en cas d’annulation de l’acte, se trouvent dépourvus de tout débiteur.
9. L’exigence selon laquelle l’acte doit, expressément et à peine de nullité, mentionner qu’il est passé « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation ne résultant pas explicitement des textes régissant le sort des actes passés au cours de la période de formation, il apparaît possible et souhaitable de reconnaître désormais au juge le pouvoir d’apprécier souverainement, par un examen de l’ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l’acte qu’extrinsèques, si la commune intention des parties n’était pas que l’acte fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits ».
Autrement dit, la Cour de cassation reconnait que sa jurisprudence antérieure pouvait avoir des effets désastreux, et, afin de protéger les exploitants dans le démarrage de leur activité, donne désormais pouvoir au juge de vérifier qu’elle était la commune intention des parties.
Même s’il convient de continuer à respecter un certain formalisme lors de la conclusion de contrats avec les sociétés en formation, désormais, en cas de rédaction défectueuse, la sanction ne sera plus automatique mais appréciée par les juges du fond.
Ainsi, la conclusion d’un bail avec une société en formation implique nécessairement que ce bail soit repris par la société immatriculée ; il ne devrait plus y avoir de risque de nullité de l’acte.
C’est une bonne nouvelle pour les parties à qui l’on assure désormais la sécurité juridique de leurs contrats, parfois anciens, conclus avec une société en formation.