I. Le contexte de l’affaire.
En l’espèce, une salariée d’une société de location financière, a sollicité son inscription au tableau de l’ordre des avocats au barreau de Saint-Etienne. À ce titre, elle s’est prévalue de la dispense de formation et de diplôme prévue par le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat, pour les juristes justifiant de huit années d’expériences.
Le conseil de l’ordre des avocats du barreau de Saint-Etienne ayant rejeté sa demande d’inscription, elle a formé un recours.
La cour d’appel a fait droit à la demande de la salariée. Le conseil de l’ordre des avocats s’est alors pourvu en cassation. Il reproche aux juges d’appel de l’avoir enjoint à procéder à l’inscription de la salariée. Il invoque à l’appui de son pourvoi le fait qu’au regard de l’article 98, 3°, du décret du 27 novembre 1993, la qualité de juriste implique le fait pour le juriste de traiter, au sein d’un service spécialisé, les problèmes juridiques que posent concrètement l’activité de son employeur, et non de former ou d’informer sur l’état du droit en vigueur. Or, la candidate exerce le poste de « responsable conformité » et de « délégué à la protection des données », de sorte qu’elle est chargée de l’information, de la veille, de la mise à jour et du respect des règles prudentielles, auprès des différents services de la société. Elle n’exercerait donc pas les missions d’un juriste d’entreprise.
En outre, la candidate exercerait ses missions en étant rattachée à la direction générale de son entreprise et non au service juridique de l’entreprise.
Face à ses arguments, la Cour de cassation a alors été amenée à se prononcer sur l’interprétation de l’article 98, 3°, du décret du 27 novembre 1993.
II. La solution de la Cour de cassation.
Après avoir rappelé les exigences posées par les textes régissant l’accès à la profession d’avocat (§§ 4 et 5), la haute juridiction a jugé que :
« L’activité consistant, pour le juriste, à assurer la mise en œuvre des exigences de conformité, notamment en ce qui concerne la lutte contre le blanchiment et la corruption, et du règlement général de protection des données, peut relever du traitement des problèmes juridiques posés par l’activité de l’entreprise et constituer un service juridique spécialisé au sens de ce texte ».
Cette solution est à mettre en perspective avec celle rendue le même jour par la Cour de cassation, dans une autre affaire.
En l’espèce, une candidate à l’inscription au Barreau de Paris se prévalait de la dispense prévue à l’article 98, 3° et 5°, du décret du 27 novembre 1991, au titre de son expérience en tant que juriste d’entreprise au sein d’une organisation syndicale.
Le conseil de l’ordre a fait droit à sa demande. Après un recours devant le procureur général, la cour d’appel a cependant rejeté la demande d’inscription. Elle a considéré que l’activité exercée par la candidate ne répondait pas aux critères d’exclusivité exigés pour la dispense, dès lors qu’elle comprenait une part importante de gestion sociale de l’entreprise.
La Cour de cassation censure les juges du fond. Après avoir rappelé les conditions posées par le décret, elle précise que :
« L’activité consistant, pour le juriste affecté exclusivement à un service juridique de l’entreprise, à apporter ses compétences en droit social au service en charge de la gestion du personnel, relève du traitement des problèmes juridiques posés par l’activité de celle-ci ».
Comme le souligne très justement Cécile Caseau-Roche : « Ces deux arrêts marquent un assouplissement dans l’appréciation stricte des conditions pour bénéficier des passerelles d’accès dérogatoire à la profession d’avocat. Les ordres se montrent souvent réticents à accorder cette dérogation aux professionnels candidats, de sorte que l’interprétation de l’article 98 du décret alimente régulièrement un contentieux abondant ».
En effet, dans le passé, la haute juridiction a eu à se prononcer sur les dispenses susceptibles d’être accordées à des juristes pour l’accès à la profession d’avocat. La haute juridiction avait ainsi apporté des précisions quant à la notion de « juriste d’entreprise ». Ainsi, la dispense n’est accordée qu’aux personnes exerçant les fonctions de juristes au sein d’une entreprise.
La Cour de cassation a déjà refusé la dispense à un juriste du Medef au motif que la structure au sein de laquelle le candidat exerce n’est ni un syndicat, ni une « organisation syndicale », mais bien une association soumise à la loi du 1ᵉʳ juillet 1901. Par ailleurs, le candidat qui aurait été simplement confronté à des questions juridiques au travers de son activité professionnelle ne peut prétendre à la dispense. La Cour a refusé la candidature d’une salariée dont les missions correspondaient à celles d’un juriste de droit social affectée à la direction des ressources humaines de ses employeurs successifs, mais jamais à la direction des affaires juridiques, alors même qu’elle avait été salariée de groupes très importants disposant de services juridiques structurés.
La solution consacrée par la haute juridiction dans ces deux arrêts du 19 mars 2025, notamment celui concernant la juriste déléguée à la protection des données, mérite d’être approuvée étant donné que bien que ne relevant pas du service juridique de l’entreprise auprès de laquelle elle exerce, la candidate a mis en pratique des connaissances juridiques. D’ailleurs, la règlementation en matière de protection de données s’est complexifiée sous l’impulsion du droit européen. Elle implique donc une certaine maîtrise de l’arsenal législatif.
Néanmoins, cette solution est en rupture avec un autre arrêt rendu le 19 mars 2025.
En l’espèce, un candidat à l’inscription au Barreau de Dunkerque invoquait la dispense prévue à l’article 98, 3°, 4° et 5° du décret du 27 novembre 1991, au titre de son activité de juriste attaché à l’activité de l’Uni et sa fédération européenne, European Democrat Students (EDS) et des missions de collaborateur de cabinet de maire. Son inscription a été rejetée par le conseil de l’ordre tout comme par la cour d’appel. Le candidat a alors formé un pourvoi.
La Cour de cassation a rejeté son pourvoi au motif que :
« L’Uni ne constituait pas une organisation syndicale au sens de l’article 98, 5° du décret du 27 novembre 1991 ( …) et que, par conséquent, le candidat ne pouvait pas bénéficier de la dispense de formation prévue par ce texte dérogatoire et d’interprétation stricte ».