Les présents à la conférence virtuelle, centrée sur le changement de la dénomination de la firme, se sont contentés momentanément, des déclarations de Mark Zuckerberg [1] à propos du son nouveau groupe qui se consacrerait désormais au « metavers », le monde virtuel qui permettrait à la fois de travailler, jouer et nouer de relations. Mais, « l’appétit » des experts et analystes « ne vient qu’en mangeant » et leurs interrogations et recherches, n’ont pas tardé à générer les codes de ce monde promis.
Le « metavers » [2], tel qu’il a été conçu par Neal Stephenson [3] dans son roman Le Samouraï virtuel (Snow Crash) [4], serait un univers à part entière, virtuel et alternatif basé sur la nouvelle génération de l’internet, le web 3.0 [5], où il est possible pour les utilisateurs connectés à travers un écran ou un casque de réalité virtuelle et à travers des avatars, de jouer, de se rendre aux magasins, d’essayer des vêtement ou acheter des objets en ligne, de travailler et d’assister même à une réunion professionnelle dans un bureau numérique. Un monde qu’il faudrait selon Fabio Lavalle, le patron de Pixel Passion, l’imaginer « comme une sorte de petite vie réelle » qui prendrait de nombreuses années à se développer [6], mais dont les signes y sont déjà voire réalisables à court terme.
La création de ce monde virtuel bien qu’il ne soit pas une innovation en soi [7], bouleversera notre quotidien, à travers une nouvelle dimension qui s’ajoutera à notre vie habituelle [8]. De nouveaux modes d’interaction changeront sans doute, nos procédés de travail, nos comportements de consommation, nos systèmes d’économie et mêmes nos rapports individuels, d’où la nécessité à priori, de répondre aux besoins urgents de régularisation des différents questions scientifiques, technologiques, politiques, économiques, sociologiques et juridiques y afférentes et aux conséquences potentielles qui en découleraient.
Conçus en tant que mondes virtuels alternatifs, les « metavers » connaîtront les mêmes questions juridiques posées au monde réel et qui seront transposées au nouvel environnement aux côtés des autres qui apparaitront au fur et à mesure de leur expansion dans les « metavers » avec la progression de la dématérialisation impactant tous les aspects de la société.
Au fait, les informations autour du marché des « metavers » évoluant avec le développement des NFT et des jeux en ligne, nous enseigne que les spéculations sur l’immobilier en 2021 [9] et sur les véhicules sur Decentraland [10] ou sur Sandbox [11] ont atteints près de 4 millions de dollars et qu’un méga yacht virtuel créé par les studios Republic Realm est vendu sur le site d’enchères OpenSea [12] pour 149 Ethereum (ETH), soit près de 650 000 dollars. De son côté, ROBLOX [13], compte quotidiennement, 30 millions d’utilisateurs et la liste est loin d’être exhaustive [14].
La « bataille féroce » entre les géants de l’industrie numérique [15] pour la conquête de l’économie des « metavers », fait déjà son « bruit » juridique, avec les problématiques que les juristes commencent à les invoquer en termes de risques potentiels devant des pouvoirs régulateurs qui semblent peiner sur la question de légiférer sur le sujet.
Les « metavers » présentent des enjeux majeurs pour ces empires digitales qui ne comptent pas laisser passer l’opportunité offerte sans étendre leur contrôle sur un marché promettant des profits colossaux au dépend des divers risques potentiels [16] pouvant effacer le jeu de concurrence dans les « metavers » (I) en l’absence des législations étatiques, communautaire et mondial, ayant pour effet de réguler « en urgence » la concurrence au sein d’un marché oligopole (II).
I. Les risques potentiels en matière de concurrence à l’ère des « metavers ».
Avec un chiffre d’affaires estimé à 716 millions de dollars en 2027 et un taux de croissance annuel moyen de 22,7%, le marché des « metavers » constituerait le nouvel écosystème où les activités des participants dépasseraient les simples échanges ou jeux pour l’achat des biens virtuels. Des entreprises voulant commercialiser leurs produits, tenteront de créer ou sont en train de créer leurs propres univers virtuels en partenariat avec les plateformes de jeux de simulation sociale, alors que d’autres disposant de nouveaux espaces de vente pour leurs produits, s’installent déjà dans les « metavers » [17].
Divers produits, biens virtuels de marques [18], immobilier, biens fongibles et non fongibles ainsi que des services [19] affichent leur présence dans les « metavers » et sont accessibles pour le « grand public » en réalités virtuelle et augmentée [20] voire même étendue.
Cette vision futuriste, encore lointaine, marque l’une des caractéristiques de ce monde virtuel parallèle appelé à dévaster les différents domaines, à l’aide des investissements massifs engagés [21] par les grandes entreprises des technologies ayant intérêts à développer ce monde pour proposer leurs expériences immersives.
Cette vérité qui s’accroît au rythme des réalités virtuelles, aura son prix qui ne cesse de s’afficher en termes de pratiques anticoncurrentielles ayant pour objectif de favoriser la consolidation du marché des « metavers », devenue un intérêt et enjeu majeur pour ces entreprises titanesques.
A. L’abus de position dominante des plateformes.
On entend par abus de position dominante, l’ensemble des pratiques abusives (refus de vente, conditions de vente discriminatoires, services liés, dumping… etc.) menées par une entreprise en position dominante pour entraver le jeu de la concurrence sur le marché. Etant un monde virtuel alternatif, les « metavers » pourraient connaitre éventuellement les mêmes risques à travers les grandes entreprises numériques qui, en l’absence des limites légales et des règles de conduite imposées aux différents utilisateurs, feraient la loi sur ce marché et imposeraient à travers leurs plateformes, leurs conditions contractuelles déséquilibrées aux concurrents potentiels, qu’ils devraient nécessairement les accepter (déréférencement, des redevances lourdes, utilisation impérative d’une monnaie cryptée stockée chez une filiale au détriment d’autres...).
Nous citons dans ce cadre, à titre d’exemple, l’information rapportée par le site « The information », selon laquelle, le régulateur américain soupçonne Meta, l’entreprise de Mark Zuckerberg, de chercher à imposer ses casques fabriqués par Oculus (rachetée déjà par Facebook) avec des prix trop bas, ce qui pourrait constituer du « dumping ».
De son côté, le « Bundeskartellamt », l’autorité allemande de la régulation de la concurrence, a annoncé le 10 décembre 2020, l’ouverture d’une enquête concernant la décision de Facebook de rendre obligatoire l’utilisation d’un compte Facebook par les casques de réalité virtuelle de marque Oculus. Andreas Mundt, le président de l’autorité, a déclaré « Avec son réseau social, l’entreprise américaine occupe une position dominante en Allemagne et est déjà un acteur important sur le marché émergent, mais en pleine croissance de la VR. Nous avons l’intention de mener une enquête contre Facebook pour savoir dans quelle mesure cet accord de vente liée affectera la concurrence dans les deux domaines d’activité ».
B. La concentration du marché de publicité numérique autour des GAFA.
le degré de concentration d’un marché est un critère majeur pour déterminer une situation de position dominante [22] ou constater la violation des règles de la concurrence par une ou plusieurs entreprises.
Dans un marché représentant en 2021 plus de 64% du marché publicitaire [23], la publicité en ligne est le plus important domaine et le mieux approprié pour les géants du web qui bouleversent l’économie mondiale, Google, Appel, Facebook (Meta) et Amazon, pour bien exploiter commercialement les « metavers », considérés comme un canal de marketing agressif leurs permettant d’évincer la concurrence sur le marché de la publicité numérique [24] et où leur domination s’est considérablement renforcée [25].
« Tactiques monopolistiques et coercitives » afin de « chasser la concurrence dans la publicité en ligne » [26], enfreintes aux règles de concurrence loyale [27], ententes illicites et favoritisme, telles sont les risques potentiels qui pourraient refaire face demain sur un marché qui n’est pas encore régulé et qui connait déjà un acharnement concurrentiel sans précédent.
C. Détention de données et contrôle du marché.
Le « metavers » constitue le nouvel espace de collecte de données par excellence, où l’ensemble des transactions se font à partir de traitement et d’échange de données, l’accès et le contrôle des informations personnelles sont des enjeux majeurs pour les géants du nouveau web qui manœuvrent pour stocker [28] et manipuler des méga quantités de données collectées sans fatigue ni oubli, dont leurs accès seront vendus à des utilisateurs ciblés.
En tant que produit commercialisable, les données personnelles collectées et exploitées [29] assureront aux géants numériques une source infaillible de gain matériel [30], mais aussi un moyen de contrôle du ou des marchés virtuels sur les « metavers ». Les poursuites antitrust engagées par la « Federal Trade Commission » [31] contre Facebook pour sa stratégie « acheter ou enterrer » [32] soupçonnée une manœuvre anticoncurrentielle, est un exemple type d’un risque potentiel pour la libre concurrence. Au fait, la « royauté » des grandes entreprises numériques sur l’exploitation des données personnelles, leurs permet, à la manière de Meta (ex-Facebook) d’éliminer des concurrents potentiels par leurs acquisitions, à défaut, elles feraient recours à une sorte d’écrasement de la concurrence en leurs refusant l’accès aux données nécessaires pour concurrencer.
Ce contrôle du marché se pose également, en termes d’accès accordés « inéquitablement » pour les divers commerces [33] et ce, à travers la création des galeries commerciales en réalité virtuelle, faite sur la base de protocoles informatiques contrôlés voire détenus par les entreprises oligopoles, ou encore à travers les algorithmes utilisés par les titans numériques leur permettant de se concerter pour fixer les meilleurs prix et maximiser leurs profits.
In fine « ceux qui possèdent les données, les accumulent pour contrôler le marché ».
II. La nécessité de réguler la concurrence dans les « metavers ».
La régulation de la concurrence dans les « metavers », est aujourd’hui un besoin économique [34] et juridique hyper-urgent, aussi bien pour les États que pour les Communautés internationales. Le professeur des sciences économiques, Michel Rainelli affirme dans ce sens « Aucune justification économique ne peut conduire à accepter que des firmes s’organisent pour supprimer la concurrence entre elles ».
Préoccupée de son côté par le « trop de pouvoir des GAFAM », la commissaire européenne chargée de la concurrence, Margrethe Vestager, a déclaré dans une interview accordée à Politico que l’Union Européenne devrait mettre en place un cadre législatif pour les nouvelles technologies. Une déclaration qui vient au fait, confirmer l’appel à la refonte des lois américaines sur la concurrence [35] lancé le 06 octobre 2020, à Washington, par Jerrold Nadler le président du comité judiciaire de la Chambre des représentants américain, et David N. Cicilline, le président du sous-comité antitrust du comité judiciaire, dans l’intention de maitriser le « pouvoir monopolistique » des titans de la technologie [36].
Dans leur communiqué de presse au House Committee on the Judiciary, les « deux présidents » disaient : « Notre enquête ne laisse aucun doute sur le fait qu’il existe un besoin clair et impérieux pour le Congrès et les agences antitrust de prendre des mesures qui rétablissent la concurrence, améliorent l’innovation et protègent notre démocratie ».
Au fait, la régulation de la concurrence dans les « metavers » devient une question primordiale et un besoin urgent à résoudre, qu’il soit à travers l’application des lois existantes ou par la création potentielle de nouvelles lois, s’il s’avère que les lois existantes sont insuffisantes pour traiter les problématiques rencontrées ou répondre aux questions juridiques posées.
A. Un droit de concurrence insuffisant ou inadapté.
Face à une situation de rivalité manifeste du pouvoir régalien des États et une souveraineté numérique mise en question, la communauté internationale pour ne pas citer uniquement, les États de l’Union Européenne, peine à stopper l’engouement des « nouveaux maîtres du monde » qui anéantissent aujourd’hui toute la concurrence sur le marché des « metavers » en exploitant les insuffisances de certains textes légaux en vigueur ou l’inadaptation de certains autres, leurs permettant selon Joëlle Toledano « de se soustraire aux contrôles des États avec trop d’aisance » [37].
Cet insuffisance juridique, permet jusque là au GAFAM de contourner les régulations, et que pour répondre aux défis posés, il faut « mettre en place une régulation qui corresponde à la situation » et à « leurs spécificités », selon l’économiste française.
Au mois de juillet 2018, lorsque Google a imposé ses moteurs de recherche sur les systèmes de téléphonie mobile Android, la Commission Européenne de la concurrence lui a infligé une amende de 4,34 milliards d’euros, mais selon des procédures de sanction beaucoup trop lentes applicables à un secteur dont l’agilité et la rapidité d’adaptation sont remarquables.
Plus favorable pour les entreprises monopolistiques, la réglementation américaine en matière d’anti-trust ne sanctionne ces entreprises que si la situation de monopole porte préjudice à l’innovation et prive le public de meilleurs services. Mais malgré les divers enquêtes et procès, ces géants du net réussissaient à démontrer qu’ils étaient, au contraire, des moteurs d’innovations faisant bénéficier énormément le public de leurs applications gratuites.
Au fait, avec des stratégies de développement monopolistique, les géants du nouveau web prennent l’assaut de dominer les « metavers ». Reconnaissance faciale, publicité en ligne, collecte et accès aux données, acquisitions d’entreprises concurrentes [38] et concertations, telles sont les défis posés aux autorités de la concurrence en termes de contrôle des attitudes et de structures sur le nouveau marché mais encore en termes de droit et régulation dont le besoin évolue avec le développement des « metavers ».
Toutefois, ces défis ne justifient en aucun cas la mise en place, du moins à court terme, d’un nouveau droit de la concurrence propre aux « metavers ». Les textes actuels, dument repensés, peuvent être suffisants pour résoudre les problèmes rencontrés sur le nouveau marché virtuel.
B. Efforts mondiaux convergents pour rétablir la concurrence dans les « metavers ».
L’Union Européenne, les Etats-Unis et plus largement la communauté internationale convergent pour tâcher de réguler les pratiques anticoncurrentielles et les positions monopolistiques des GAFAM et généralement des géants numériques
C’est dans ce cadre, que sont proposés, côté européen, les deux projets de règlements complémentaires ; Digital Services Act (DSA) [39] et Digital Markets Act (DMA) [40], ayant essentiellement pour but de compléter les règlements européens et nationaux régissant la concurrence [41].
La législation sur les marchés numériques (DMA) doit pouvoir imposer un certain nombre d’obligations ex ante [42] ayant pour but de renforcer les amendes infligées aux entreprises titanesques qualifiées par le texte, de « contrôleurs d’accès », pour infractions au droit de la concurrence, en les obligeant à modifier « radicalement » leurs comportements dus aux pratiques anticoncurrentielles ou déloyales.
Mais si les Européens veulent s’imposer comme une puissance régulatrice active, à la fois pour établir une égalité entre les acteurs économiques et proposer des alternatives technologiques éthiques, la position américaine est encore hésitante voire délicate, du fait de l’absence d’une régulation américaine du numérique ayant déjà favorisée sur le plan politique, la multiplication de fausses informations en ligne.
L’administration américaine parait craindre encore la puissance des ses géants numériques nationaux, mais cela n’a pas empêché qu’une volonté de réforme trouve son chemin vers le Congrès, qui a accueilli en 2021, cinq projets de législation anti-monopoles soutenus par le président de la sous-commission judiciaire sur le droit anti-trust, ayant été introduits à la chambre des représentants à des fins de discussions et d’éventuelle promulgation.
Les projets de règlements européens (DMA et DSA) paraissent montrer déjà leur efficacité et sont en train de devenir des loi, ce qui a encouragé des pays de l’au-delà européen, notamment la Grande-Bretagne à suivre l’initiative, surtout que les échos venant du côté des entreprises technologiques portent une intention de leurs parts de s’y soumettre.
D’autre part, des responsables européens disent avoir eu des contacts avec d’autres pays pour apporter leur expertise sur la manière dont les règles desdits projets peuvent être adaptées localement.
Est-ce dire que c’est la fin de l’hégémonie des titans du web et le rétablissement de la libre concurrence dans les « metavers » ?