Droit européen : la clémence comme moyen d’action facilitant la détection des ententes.

Par Ahmed Benattou.

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Explorer : # clémence # pratiques anticoncurrentielles # ententes illicites # coopération entreprise

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Le droit européen utilise la procédure de clémence comme moyen de lutte contre les ententes anticoncurrentielles. Un arrêt de la Cour confirme cette politique, exigeant une coopération totale et rapide de la part des entreprises demandant l'immunité totale.
Description rédigée par l'IA du Village

Le souci majeur du droit de la concurrence est de garantir un environnement concurrentiel équitable et dynamique, en jouant le rôle d’un pilier fondamental de l’ordre économique et ce, en régulant les comportements des entreprises sur les marchés, en favorisant l’efficacité économique et en protégeant les intérêts des consommateurs.

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En effet, la concurrence est considérée comme un moteur essentiel de l’innovation, de la compétitivité et de la croissance économique. Ainsi, cette discipline juridique vise à prévenir les pratiques anticoncurrentielles, telles que les ententes illicites, qui pourraient compromettre l’équilibre entre les différentes entreprises concurrentes sur le marché.

Les ententes sont considérées comme des pratiques particulièrement nuisibles à l’intérêt général, ce qui fait que ce type de convention est prohibé aussi bien par la commission (au niveau communautaire) que par l’autorité de la concurrence (au niveau national).

Cependant et malgré cette prohibition, il est difficile de prouver l’existence d’une telle pratique. Cette difficulté a poussé les institutions européennes à élaborer un moyen d’action facilitant la détection des ententes, appelé « clémence ».

Dans quelle mesure la clémence pourrait-elle être efficace contre les stratégies des cartels ?

I- La clémence en tant que nouvelle approche de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles.

Inspirée du droit américain, la notion de « politique de clémence » est apparue en droit communautaire en 1996, refondue en 2002 par une nouvelle communication de la commission. La clémence permet à une entreprise ayant participé à une entente de bénéficier d’une réduction de peine, si elle apporte sa coopération et aide l’autorité de la concurrence à établir la preuve de l’existence des pratiques incriminées.

1- La clémence en contrepartie d’une coopération dans la détection des ententes.

L’autorité de la concurrence a mis à la disposition des entreprises participant dans une entente une mesure légale leur permettant d’éviter le paiement d’une amende considérable, pouvant atteindre 10% du chiffre d’affaires mondial. Cette mesure est appelée la « clémence ». Il est fortement conseillé aux membres du cartel de dénoncer l’entente. Ceci sera bénéfique aussi bien auxdits membres qu’à l’autorité de la concurrence.

Toute entreprise ayant, par le passé, pris part ou participant encore à une entente, est concernée par la clémence. Celle-ci est applicable à toutes les formes d’entreprises, depuis les PME jusqu’aux grandes structures. Après l’établissement d’une entente, un risque plane toujours puisqu’une fois celle-ci établie, tous les participants redeviennent des rivaux sur le marché et peuvent à tout moment dévoiler le cartel, en déposant une demande de clémence auprès de l’autorité de la concurrence.

2- Les avantages de la clémence.

La clémence incite les entreprises, appartenant à un cartel secret, à dénoncer l’opération d’entente au conseil de la concurrence, une fois ladite entente devenue anticoncurrentielle. L’entreprise dénonciatrice va bénéficier d’une clémence totale et ne paiera pas d’amende. Les autres entreprises ont également la possibilité de dénoncer l’entente, mais ne bénéficieront que d’une clémence partielle. Autrement dit, l’immunité totale d’amende concerne l’entreprise qui est venue en premier dévoiler le cartel secret, une fois en connaissance de l’entente. Toutes les entreprises qui viendront par la suite dévoiler cette même entente bénéficieront uniquement d’une immunité partielle en fonction de leurs rangs.

Toutefois, les entreprises faisant recours à cette mesure ont intérêt à bien évaluer la situation avant d’agir.

La clémence met fin à la perpétuité éventuelle d’une entente, aussi parfaite soit-elle.

II- La clémence en tant que dispositif décisif de l’autorité de la concurrence.

L’efficacité des programmes de clémence réside dans le combat livré par la Commission européenne ou par l’autorité de la concurrence face aux cartels, aussi grandes soient leurs précautions stratégiques.

1- Le déroulement de la procédure de clémence.

Afin de garantir un cadre d’application clair à la clémence au bénéfice des entreprises, l’Autorité de la concurrence a adopté dès 2006 un communiqué de procédure à leur attention, précisant les modalités pratiques de mise en œuvre de cette procédure.

Une fois informé de la pratique prohibée, la personne détenant le pouvoir de contrôle de l’entreprise doit déposer une demande de clémence auprès de l’autorité de la concurrence. De ce fait, l’entreprise va alors participer, dans un esprit de coopération, à identifier les auteurs de l’entente. Cette participation va être illustrée par l’apport de nouveaux éléments d’information dont l’autorité ne disposait pas antérieurement.

L’entreprise souhaitant dénoncer une entente peut, dans un premier temps, consulter, informellement ou anonymement, le « conseiller clémence » sur toutes les questions relatives à la procédure de clémence et sur les démarches à suivre. Le conseiller clémence est également chargé d’informer l’entreprise sur les avantages dont elle va bénéficier suite à cette dénonciation. Dans le cas contraire, l’entreprise choisit entre deux voies pour agir.

Elle peut :

  • Soit adresser un courrier en recommandé avec accusé de réception au rapporteur général de l’Autorité de la concurrence ;
  • Soit être reçue par le rapporteur général ou son adjoint, dans les locaux de l’Autorité de la concurrence.

Il est toutefois préférable que l’entreprise agisse rapidement au risque d’être doublée par ses concurrents (membres d’une entente), et ainsi ne plus bénéficier d’une clémence de 1ᵉʳ rang.

L’échange des informations entre l’entreprise et l’autorité de la concurrence ou la commission est confidentiel. Aucune des parties n’est tenue de révéler une telle coopération au risque de subir des sanctions considérables.

2- Jurisprudence : « arrêt Deltafina ».

Dans le cadre du programme de clémence prévu par la communication de la Commission de 2002 qui permet à la Commission européenne d’offrir une immunité totale ou une réduction des amendes qui auraient autrement été infligées à un participant à une entente, en échange de la divulgation librement consentie d’informations concernant ladite entente et de sa coopération à l’enquête menée par les autorités, Deltafina avait été la première entreprise à révéler sa participation, entre 1995 et 2002, à une entente horizontale sur le marché italien du tabac brut. De ce fait, la commission lui avait octroyé, au début de la procédure administrative, l’immunité conditionnelle.

La commission a réalisé par la suite que Deltafina avait violé l’obligation de coopération qui lui incombait dans la mesure où, lors d’une réunion, elle avait divulgué à ses concurrents, de sa propre initiative et sans en informer la commission, qu’elle avait introduit une demande d’immunité auprès de ses services, avant que ladite autorité n’ait eu l’occasion de procéder à des vérifications concernant l’entente en cause. Dans ces conditions, la commission, à la fin de la procédure administrative, a conclu que l’immunité d’amendes ne pouvait être accordée à Deltafina, et lui a infligé, solidairement avec sa société mère Universal Corp., une amende de 30 millions d’euros.

Dans son recours devant le tribunal, Deltafina avait contesté en substance la légalité de la décision attaquée, dans la mesure où la commission ne lui a pas octroyé l’immunité d’amendes. Le tribunal approuve en tous points la politique de la commission. En effet, d’après ce tribunal, l’octroi de l’immunité totale d’amendes constitue une exception au principe de la responsabilité personnelle de l’entreprise pour la violation des règles de concurrence qui se justifie par la finalité de favoriser la découverte, l’instruction et la répression ainsi que la dissuasion des pratiques qui font partie des plus graves restrictions de la concurrence.

Ainsi, il est logique qu’il soit exigé de l’entreprise sollicitant l’immunité totale d’amendes, qu’elle apporte à l’enquête de la commission une coopération qui doit, selon les termes de la communication de 2002, être « totale, permanente et rapide », laquelle implique une collaboration véritable, complète et caractérisée par un réel esprit de coopération.

En pratique, le tribunal retient qu’une entreprise qui souhaite bénéficier de l’immunité totale des amendes sur la base de sa coopération à l’enquête ne peut omettre d’informer la commission de faits pertinents dont elle a connaissance et qui sont capables d’affecter, ne serait-ce que potentiellement, le déroulement de la procédure administrative et l’efficacité de l’instruction de la commission. Cette obligation d’information est d’autant plus importante lorsqu’une telle circonstance concerne les relations entre cette entreprise et les autres membres de l’entente et, à plus forte raison, si l’éventuelle survenance de ladite circonstance a fait l’objet au préalable d’une discussion explicite entre la commission et cette entreprise dans le cadre de la procédure administrative.

En l’espèce, le tribunal constate que le comportement de Deltafina ne témoignait pas d’un esprit de coopération véritable et dès lors, juge que la commission n’a pas commis d’erreur de droit en n’octroyant pas à Deltafina l’immunité définitive. Le tribunal a donc confirmé la décision de la commission infligeant une amende de 30 millions d’euros à Deltafina qui, au départ, aurait pu bénéficier d’une immunité totale.

Ahmed Benattou
Docteur en Sciences juridiques et politiques
Cadre administratif au Ministère Marocain de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l’innovation
ahmedbenattou166 chez gmail.com

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