Village de la Justice : Quelle expérience vous a conduit à utiliser vos savoir-faire de legal ops en dehors de votre activité professionnelle ?
Christophe Dhiver : Un club de foot qui compte un peu plus de 800 licenciés et énormément de bénévoles et des salariés. Cette association arrivait à un carrefour, à une sorte de "crise de croissance", avec un choc entre le bénévolat et le besoin de "professionnalisation", même si le mot est trop fort. Disons plutôt un besoin de se structurer davantage, de faire évoluer le fonctionnement pour mieux correspondre aux attentes actuelles de tout le monde : les joueurs, leurs proches, les entraîneurs, les bénévoles, les salariés, les dirigeants, etc. En tant que legal ops et papa de l’un des joueurs, on se dit « mince, il y a des choses à faire pour les aider à un peu mieux fonctionner ! ».
Les legal ops sont une fonction que l’on voit se développer dans de plus en plus d’entreprises. Nous pourrions entrer plus dans le détail, mais je dirais surtout qu’être legal ops est un état d’esprit qui, pour moi, touche à la transversalité, à la capacité à prendre de la hauteur par rapport aux sujets et, pour le dire simplement, celle d’organiser et de faire parler les gens entre eux. C’est de cette façon qu’avec un conseiller technique régional, nous avons organisé des ateliers pour mettre en discussion, en connexion, les gens qui voulaient apporter toute leur bonne volonté dans ce club.
Quelles compétences et/ou quels outils des legal ops avez-vous utilisés ?
C. D. : Nous avons appliqué des méthodes assez classiques et des outils très basiques, ceux que les legal ops utilisent tous les jours (brainstorming, SWOT, matrices). Mais surtout sans les nommer, parce que l’on se rend compte qu’en entreprise comme en association, c’est la même chose : si tu es trop technique, tu perds les gens. Et il devient difficile de les amener à "sortir" des idées et à travailler entre eux.
L’idée est, comme en entreprise, de trouver un sujet-vecteur, un thème qui fédère tout le monde et va permettre d’aller "ratisser" plein d’autres choses. Ici, il s’agissait de travailler comme point de départ sur la communication entre le pôle sportif et la gouvernance. Nous avons organisé trois ateliers, où la parole était libre et chacun pouvait dire ce qu’il pensait, partager ses idées d’amélioration, etc.
Tout ça a vraiment très bien fonctionné, puisqu’avec 30 à 40 personnes, nous avons réussi à faire émerger à peu près 300 idées concrètes et novatrices ! À la suite de ces ateliers, nous avons hiérarchisé ces actions et rédigé une mini-feuille de route. Les premières actions se mettent actuellement en place et le retour d’expérience est vraiment excellent, les gens sont très contents et chacun sourit lorsqu’il se surprend à dire « on a toujours fait comme cela » ou « c’est compliqué ».
Est-ce que vous avez pu constater des différences importantes ou au contraire des similitudes avec un projet de legal ops en entreprise ?
C. D. : On peut en effet retrouver des similitudes avec ce qu’on voit en entreprise. Je dirais même que ce n’est pas très différent en réalité. Si on s’y est mal pris pour gérer un contentieux, les conséquences sont lourdes en termes de sanctions ; si on a mal anticipé les absences ou un surcroît d’activité, les conséquences sont lourdes sur la charge de travail et la continuité de l’activité. C’est un peu la même chose dans le club quand vous devez, par exemple, gérer les cartons rouges et les cartons jaunes des licenciés, pour éviter d’avoir des pénalités lors d’un match (et louper la montée en division supérieure à cause de cela !).
Mais si l’on peut "mettre du process" pour organiser les choses, il ne faut cependant pas trop en mettre. Il faut donc diminuer le curseur en termes d’exigence, c’est certain, pour tenir compte de ce côté bénévolat et un peu moins professionnel. Être un peu moins puriste donc pour ne pas faire fuir les gens et entretenir le côté décontracté, voire un peu « franchouillard ». Une asso sportive n’est pas une entreprise et il faut donc adapter.
Dans le prolongement de ce que je disais sur le sujet-vecteur, il faut faire attention à sa mission. Comme tu le disais, à partir d’une problématique de communication entre les gens et d’ambiance de club finalement, à partir d’un constat général lié à l’humain, on arrive au fur et à mesure sur des problématiques organisationnelles, techniques, d’outils, etc. Exactement comme dans mon métier… Rapidement, je me suis dit : « C’est vrai que c’est ce que je fais toute la journée ! ». Et certaines personnes ont vite perçu chez moi : « tu ne voudrais pas t’occuper de ci ou de ça ? ».
Un legal ops peut être très vite noyé dans l’ensemble des tâches. On ne peut pas tout faire en même temps. Un bon legal ops doit prioriser ses sujets et choisir ses batailles. Non seulement pour pouvoir bien les travailler en amont et surtout pouvoir réussir pas à pas. Il est important, surtout en début de mission, d’aller chercher une ou deux "petites" victoires, qui permettent d’atteindre du quick win bénéfique pour tout le monde et consolider ou consolider des choses avant d’aller s’attaquer aux plus gros sujets.
Un conseil pour ne pas aller "trop loin" et garder une (petite) séparation entre le pro et le perso ?
C. D. : Tous ces sujets m’intéressent évidemment, puisqu’il est question de voir ce que l’on peut faire pour que ça aille mieux, que ce soit plus fluide entre les gens. C’est extrêmement enrichissant, aussi parce que cela me permet d’incuber, de tester des choses que je vois dans mon quotidien professionnel.
Que ce soit en entreprise ou en dehors, ce sont les mêmes mécaniques qui se mettent en place, de façon presque inconsciente. Il est assez naturel de proposer d’appliquer certaines choses, parce que l’on sait que ça a bien marché d’un autre côté. Mais oui, il faut donc être vigilant ici comme en entreprise. Exactement comme un legal ops, il n’est pas là pour tout faire. Il faut donc savoir dire non et responsabiliser chacun dans son rôle. C’est la raison pour laquelle j’ai pris un peu de recul. Par exemple, je n’intègre le comité de direction du club qu’à titre consultatif, de façon à ne pas être trop dans le quotidien du club.
Plus largement, il y a une limite à mettre, je dirais pour deux raisons. Lorsque l’on a, comme moi, toujours fait du bénévolat, dans le monde du sport ou non d’ailleurs, que l’on a déjà pas mal donné – parfois trop – on sait que le fonctionnement des associations repose très souvent sur un noyau dur composé de 4 ou 5 personnes très impliquées, mais qui peuvent s’essouffler. Il faut donc laisser de la place à chaque personne qui veut apporter sa brique à l’édifice et donc, savoir se mettre en retrait sur certains sujets et ne pas tout concentrer.
L’autre raison pour laquelle il faut savoir mettre des barrières est que selon moi, l’activité associative doit rester une bouffée d’oxygène pour dégonfler les tensions de la journée, se distancier de son travail. Or si l’on se laisse prendre dans un stress similaire dans le bénévolat, on risque de perdre ce vent de fraîcheur. J’en étais déjà conscient lorsque j’étais directeur juridique, mais en tant que legal ops, je dirais que c’est pire ! Ou en tout cas, que le risque est plus grand et que l’investissement pourrait, effectivement, être plus dangereux en termes d’équilibre, de santé mentale, de déconnexion, etc. Il faut donc mettre des limites, rester un animateur qui est là pour guider les gens, leur ouvrir les yeux, et après, c’est à chacun de prendre sa part. C’est l’un de mes crédos : chacun a un petit bout de legal ops en soi !