Village de la Justice : En tant qu’enseignant, jugez-vous nécessaire d’intégrer l’IA dans la formation des étudiants en droit ?
Ludovic Pailler : « Intégrer l’IA dans nos formations est un véritable enjeu pédagogique, d’abord, d’insertion professionnelle, ensuite.
L’IA générative doit inciter et encourager les facultés de droit et les enseignants chercheurs à faire évoluer plus encore leurs modalités d’enseignement et d’évaluation des étudiants. Nous pourrions en tirer pleinement partie pour focaliser plus encore la formation sur l’esprit critique des étudiants que nous formons, qui est indispensable à la manipulation de ces outils.
L’IA générative doit encore être intégrée dans la formation de nos étudiants. Ils doivent également connaître l’IA dans ses différentes fonctionnalités ainsi que les offres disponibles sur le marché pour être en mesure de choisir le bon outil et d’en faire le meilleur usage dans leur pratique professionnelle à venir ».
Comment concrètement cette intégration peut-elle se faire ?
« De multiples réflexions sont en cours au sein de la faculté de droit et de l’Université Jean Moulin Lyon III. Un groupe de travail a été constitué à cette fin. Il s’agit de réfléchir à la nécessité d’un cours dédié à l’outil lui-même et à son positionnement (Licence ou Master). Le groupe de travail s’est encore donné pour mission d’établir quelques bonnes pratiques en matière d’usage de l’intelligence artificielle. L’idée est que chaque enseignant-chercheur, dans le respect de sa liberté pédagogique, puisse piocher dans une banque de cas d’usage de l’IA : pour animer le cours, pour concevoir des supports de cours, pour aider à concevoir des examens, pour préparer des sujets d’examen inversés (critique de la production d’une IA en réponse à un cas pratique, par exemple), etc. Cette dernière modalité est certainement la plus facile à mettre en œuvre. Elle a le mérite de mettre à l’épreuve la compétence de nos étudiants en matière d’analyse, leur esprit critique ainsi que leur aptitude à faire preuve d’ingéniosité pour construire des solutions innovantes ou des contre argumentations ».
Comment l’IA est-elle perçue par les étudiants en droit et les autres enseignants en droit ?
« Les perceptions sont aussi diverses que celles existantes en société. Elles varient de la crainte à l’opportunité, de la vision d’un outil délétère à celle d’un outil qui bouscule nos a priori et questionne, comme tant d’autres sujets, notre enseignement dans son contenu comme dans sa forme.
Quoi qu’il en soit, des échanges que nous avons pu avoir avec les étudiants, ceux-ci ont déjà pleinement intégré l’IA dans leur quotidien. Elles sont un moyen de recherche de l’information, de trouver ou de mettre en forme des idées, de résumer des documents, de préparer des fiches ou quizz de révision ou encore de vérifier la qualité de leur propre production écrite ».
Comment la maîtrise de l’IA peut-elle favoriser l’employabilité des étudiants en droit ?
« Pour favoriser l’employabilité de nos étudiants, les facultés de droit doivent leur transmettre les fondements indispensables à une utilisation efficace et agile des outils d’intelligence artificielle. Cela suppose de disposer de rudiments techniques pour en comprendre le fonctionnement global. Surtout, cela requiert, comme d’autres disciplines le font déjà, d’apprendre à nos étudiants à se servir correctement de ces outils, par exemple en donnant des clés de comparaison des outils disponibles, pour sélectionner le plus pertinent au regard de la tâche à accomplir, en transmettant les bonnes pratiques pour la rédaction de prompts efficients, etc. »
La Rédac’ prolonge l’info... avec un exemple :
À partir de septembre 2025, la Faculté de droit de Grenoble mettra en place un cours intitulé « Intelligence artificielle juridique » à destination des étudiants en droit qui sont en L2 sur le premier semestre 2025/2026 (cours optionnel).
Ce cours pratique et théorique permettra une initiation à l’IA juridique opérationnelle auprès du plus grand nombre, pour préparer à la transformation des différents métiers du droit. Y seront enseignées les dimensions juridiques de l’IA, mais surtout la théorie et la pratique de l’IA opérationnelle. Des démonstrations et mise en pratique de logiciels seront mises en place ainsi que le développement d’une réflexion sur l’utilisation et les impacts de ces derniers sur les différentes professions juridiques. Cette formation permettra de balayer les diverses dimensions de l’IA dans le domaine du droit. Cette démarche s’inscrit dans le cadre du projet Transformation des Études de Droit vers l’Intelligence Artificielle (TEDIA) [1].
Discussion en cours :
Merci à Ludovic Pailler pour ce témoignage. La Rédaction du Village peut témoigner de l’importance de ce sujet pour l’équipe enseignante, puisque notamment a été organisée en novembre 2023 à Lyon une conférence sur l’IA, avec la participation de LexisNexis et de ses experts, de l’AFJE Rhône-Alpes, du Barreau de Lyon et Madame le Bâtonnier, ainsi que de deux Directeurs juridiques qui ont pu témoigner de leurs pratiques et besoins, devant un public de professionnels du Droit et d’étudiants.
On a pu y constater que la maitrise au moins minimale de l’IA était un besoin bien identifié par tous, et les étudiants en droit ont été poussés à s’y intéresser sans tabou.