L'IA dans les facultés de Droit : la révolution est en marche.

L’IA dans les facultés de Droit : la révolution est en marche.

Interview de Géraldine Vial et Romain Rambaud réalisée par Marie Depay, Rédaction du Village de la Justice.

1593 lectures 1re Parution: Modifié: 5  /5

Explorer : # intelligence artificielle # formation juridique # transformation des professions juridiques

Si à l’arrivée de l’intelligence artificielle dans notre quotidien, les facultés de Droit françaises ont pu se questionner de savoir s’il fallait ou non faire une place à l’IA en leur sein. Désormais, on peut sentir qu’elles prennent la mesure de ce "phénomène", de son potentiel et de l’urgence qui existe à intégrer cette intelligence générative auprès des étudiants et des enseignants que ce soit dans son usage pratique, au niveau de l’enseignement ou encore dans l’enseignement des droits qui sont liés à l’IA.
Lors de la dernière édition des Rendez-vous des Transformations du Droit, le Village de la Justice s’est fait l’écho de cette urgence à une meilleure connaissance de l’IA, à la mettre à la portée de tous les acteurs du droit dont font partie les étudiants et le corps universitaire. Et, ces derniers sont bien conscients de cette (r)évolution à laquelle certains d’entre eux prennent part activement [1], parmi eux, les professeurs Géraldine Vial et Romain Rambaud de la Faculté de Droit de Grenoble porteurs du projet Transformation des Études de Droit vers l’Intelligence Artificielle (TEDIA).
Ce projet propose notamment la mise en place, à la rentrée universitaire 2025, d’un cours intitulé « Intelligence artificielle juridique » à destination des étudiants en deuxième année de Licence. Ses co-porteurs nous le présentent plus en détail et partage ainsi leur réflexion sur l’intelligence artificielle, qui selon leurs propos : "redéfinit les pratiques et les compétences requises pour les juristes de demain".

Romain Rambaud et Géraldine Vial,
Faculté de Droit de Grenoble
-

Village de la Justice : En tant qu’enseignant, pensez-vous qu’il soit “urgent” d’intégrer l’IA dans la formation des étudiants en droit ? Sommes-nous en quelque sorte face à une révolution ?

"L’intégration de l’IA dans la formation juridique n’est pas une option, c’est une urgence."

Géraldine Vial et Romain Rambaud : « L’intégration de l’IA dans la formation juridique n’est pas une option, c’est une urgence. Nous assistons à une véritable révolution, tant pour la pratique du droit, que pour son enseignement.
L’intelligence artificielle redéfinit les pratiques et les compétences requises pour les juristes de demain. Désormais, la valeur ajoutée du juriste ne réside plus uniquement dans sa capacité à analyser une situation juridique ; elle se trouve aussi dans sa faculté à mobiliser les outils d’IA pour optimiser son travail. L’IA permet aujourd’hui de réaliser de nombreuses tâches juridiques (résoudre une question de droit, analyser les clauses d’un contrat, évaluer le risque judiciaire…). Ignorer cette réalité mettrait les étudiants en décalage avec les attentes du marché du travail et les priverait d’une maîtrise essentielle pour leur futur exercice professionnel.
Par ailleurs, les exercices classiques –dissertation, cas pratiques, fiches d’arrêt– effectués à la faculté de droit peuvent désormais être réalisés par l’IA, ce qui oblige les enseignants à repenser leur manière d’enseigner le droit ».

En quoi l’enseignement de l’IA juridique est-elle un plus pour les étudiants, les enseignants et l’écosystème du droit dans son ensemble ?

« L’enseignement de l’IA juridique apporte une valeur ajoutée à tous les acteurs du droit.
Pour les étudiants, il constitue un atout professionnel essentiel : maîtriser les outils d’IA leur permet d’être plus performants et compétitifs sur le marché du travail, où ces technologies sont de plus en plus utilisées.
Pour les enseignants, il s’agit d’adapter leurs méthodes pédagogiques en intégrant ces nouveaux outils, afin de mieux préparer leurs étudiants.

"Savoir exploiter les nouvelles technologies, tout en en comprenant les enjeux éthiques et juridiques."

En intégrant l’IA juridique dès la formation en Licence, le projet TEDIA a pour ambition de permettre aux futurs juristes de savoir exploiter ces nouvelles technologies, tout en en comprenant les enjeux éthiques et juridiques. Il contribue à moderniser et à renforcer la profession juridique dans son ensemble ».

Pourquoi avoir lancé le Projet TEDIA ? Quels sont ses objectifs ? Votre démarche s’inscrit-elle dans une réflexion commune du monde universitaire français ?

« L’IA devient un partenaire incontournable du juriste, qui nécessite une formation spécifique pour en comprendre les atouts et les limites, notamment les biais et les risques d’erreurs ou hallucinations.
Le projet Transformation des Etudes de Droit vers l’Intelligence Artificielle (ci-après "TEDIA ") [2] propose de préparer les étudiants et les enseignants en droit à cette nouvelle réalité, avec une approche originale, fondée sur la pratique de l’IA juridique (ses usages, ses impacts et les évolutions qu’elle engendre) et la manipulation des différents outils d’IA générative juridiques existants.

Cette démarche s’inscrit dans une réflexion plus large menée par quelques universités françaises. Toutefois, TEDIA se distingue sur deux aspects : une approche intégrée dès la licence (L2), destinée à former le plus grand nombre d’étudiants possible et une approche pratique en ce concentrant sur l’IA juridique opérationnelle, plutôt que sur le droit de l’IA ou des données.

Par ailleurs, nous menons des projets de recherche pionniers en matière d’IA juridique, avec une approche principalement opérationnelle [3].

"Ce projet de formation s’inscrit dans une synergie entre la recherche de pointe et l’enseignement."

Ce projet de formation s’inscrit donc dans une synergie entre la recherche de pointe et l’enseignement, faisant de l’Université Grenoble Alpes une université désormais référente en matière ».

Comment cette initiative est-elle perçue par la communauté éducative, par les étudiants ?

« L’initiative TEDIA est perçue comme une réponse nécessaire aux évolutions rapides du monde juridique. Du côté de la communauté éducative, elle suscite à la fois un intérêt et une prise de conscience : les enseignants reconnaissent la nécessité d’adapter leurs méthodes face à l’essor des outils d’IA, mais certains expriment des inquiétudes quant à leur impact sur l’évaluation et la transmission des savoirs.
Pour les étudiants, l’IA représente à la fois une opportunité et un défi. Beaucoup utilisent déjà des outils d’IAG sans toujours en maîtriser les limites. La formation proposée par TEDIA leur permettra d’acquérir une utilisation plus éclairée, plus efficace et plus critique de ces technologies.
Dans le cadre de ce projet, une semaine dédiée à l’IA juridique opérationnelle sera organisée du 17 au 19 septembre 2025 à la faculté de droit de Grenoble [4] ».

Selon vous, existe-t-il encore des freins au développement de l’IA et de son enseignement au sein du monde universitaire ?

« Oui, plusieurs freins limitent encore le développement de l’IA et son enseignement à l’université. Le premier est le manque de formation des enseignants, qui ne maîtrisent pas toujours ces outils et peinent à les intégrer dans leurs cours.
Un autre obstacle concerne l’accès aux technologies : de nombreuses legaltechs proposent des abonnements coûteux, rendant leur utilisation difficile pour les étudiants et les universités.
Enfin, des résistances pédagogiques et éthiques subsistent. Certains craignent que l’IA remplace le raisonnement juridique traditionnel.
Le projet TEDIA vise justement à dépasser ces freins, en ouvrant l’accès aux outils et en formant les enseignants à leur utilisation, tout en développant une approche critique de l’IA appliquée au droit ».

Géraldine Vial :
Maître de conférences en droit privé, elle participe depuis 2019, avec Etienne Vergès, à différents projets de recherches interdisciplinaires sur l’utilisation de l’IA et la transformation des professions juridiques [5].
Romain Rambaud :
Professeur, Droit public, il développe depuis 2022 un projet de recherche portant sur la justice algorithmique des élections politiques (le projet JADE) qui comporte de nombreuses dimensions informatiques, statistiques, d’IA (bases de données, machine learning, traitement automatique des langues, algorithmie, logiciel de justice algorithmique, etc. [6].

Interview de Géraldine Vial et Romain Rambaud réalisée par Marie Depay, Rédaction du Village de la Justice.

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

7 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1Nous pouvons citer par exemple Alicia Mâzouz, Maîtresse de Conférences à la Faculté catholique de Lille et Ludovic Pailler, Professeur à l’Université Lyon III.

[2Le projet TEDIA est Lauréat d’un appel à projets Idex (initiatives d’excellence) et cofinancé par l’institut d’IA de Grenoble (MIAI Cluster).

[3Voir à la fin de l’interview.

[4L’IA Week inclura des conférences concernant les conséquences de l’arrivée de l’IA dans le monde du droit et sera le lieu d’ateliers de formation pratique, animés par les différentes legaltechs, permettant une prise en main directe des outils d’IA par les étudiants, les enseignants, ainsi que les différents professionnels du droit (avocats, magistrats, notaires, huissiers de Justice, juristes en entreprise, administrations et collectivités territoriales...). L’IA Week sera validée au titre de la formation professionnelle.

[5Certains résultats viennent de faire l’objet d’un numéro hors-série de la Semaine juridique et d’un article sur « l’intelligence juridique artificielle ».

[6voir l’ensemble des éléments sur le blog du droit électoral.

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27875 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs