Le cadre réglementaire de l’investissement étranger en Tunisie a connu plusieurs évolutions successives, visant à encadrer l’accès au marché local. Parmi ces évolutions, le décret n°94-492 du 28 février 1994, modifié par le décret n°97-503 du 14 mars 1997, a fixé, en application de l’article 3 de l’ancien Code d’incitations aux investissements, une liste de 49 activités économiques sont accessibles aux étrangers mais après l’approbation de la commission supérieure de l’investissement.
Après les modifications de la loi d’investissement de 2016, des déclarations gouvernementales, cette réglementation aurait levé l’exigence d’approbation de l’ancienne Commission Supérieure d’Investissement pour les investisseurs étrangers souhaitant établir une société en Tunisie avec une participation majoritaire.
Toutefois, l’entrée en vigueur de la loi n°47 du 29 mai 2019 a introduit une nouvelle approche législative, réactivant certaines dispositions antérieures et redéfinissant les conditions de participation des investisseurs étrangers.
Dans ce contexte, l’article 10 de la loi de 2019 a réactivé les dispositions du décret-loi n°14 de 1961, imposant des conditions supplémentaires pour les investisseurs étrangers. Ce décret prévoit désormais l’obtention d’une carte de commerçant étranger ou la participation de l’État tunisien, voire d’un investisseur tunisien détenant plus de 50% du capital, afin de pouvoir exercer une activité sur le marché local que ce soit : dans le cadre d’une société de nationalité tunisienne [1], ou dans le cadre d’une société de nationalité étrangère [2].
A) Une réactivation inattendue aux conséquences incertaines.
Cette réactivation du décret-loi n°14 de 1961 est intervenue de manière inattendue et contraire aux attentes, alors que le consensus tendait vers son abandon ou son abrogation, notamment en raison de la nature de certaines activités économiques tunisiennes qui exigent, selon leurs cahiers des charges ou autorisations d’exercice, la nationalité tunisienne.
L’article 10 de la loi de 2019 a non seulement réintroduit ce décret dans le paysage juridique, mais a également ajouté une nouvelle exception aux cas prévus par l’article 4, en créant l’article 4 bis, qui permet aux groupes de sociétés d’établir une succursale en Tunisie, avec une exonération de l’obligation d’obtenir une autorisation de la Commission Supérieure d’Investissement, de la Haute Autorité, ou encore de la Commission des Autorisations et Agréments. Cependant, l’articulation entre ces différentes autorités reste floue, rendant l’application pratique de cette disposition incertaine.
B) La suppression des restrictions d’investissement étranger : réelle libéralisation ou réforme inachevée ?
Une question majeure demeure : l’abrogation du Code d’incitations aux investissements a-t-elle réellement libéré l’investisseur étranger de l’obligation d’obtenir une autorisation préalable pour la création d’une société étrangère en Tunisie, en ce qui concerne les 49 activités économiques régies par le décret n°94-492 du 28 février 1994, modifié par le décret n°97-503 du 14 mars 1997 ?
Ou bien cette réforme n’a-t-elle été qu’une simple opération juridique de substitution, remplaçant la Commission Supérieure d’Investissement par le Conseil, la Haute Autorité, et la Commission des Autorisations et Agréments ?
Cette problématique concerne particulièrement les investisseurs étrangers qui ne possèdent pas un groupe de sociétés, et dont la situation nécessite une intervention législative claire et décisive. Il ne suffit pas d’affirmer que la loi de 2016 sur l’investissement, et les textes ultérieurs, abrogeant les dispositions contraires, surtout lorsque le décret-loi n°14 de 1961 a été réintroduit dans l’arsenal législatif.
Or, cette réintégration soulève des craintes légitimes parmi les investisseurs étrangers, qui peuvent voir en cette disposition une faille juridique potentiellement menaçante pour leurs investissements en cas de changement politique ou d’évolution des orientations économiques. Un simple changement de discours gouvernemental pourrait alors rendre leur activité subitement illégale, en l’absence d’un cadre législatif suffisamment protecteur et stable.
Un message législatif clair est indispensable.
La Tunisie doit impérativement transmettre un message législatif clair et cohérent aux investisseurs, qu’ils soient tunisiens ou étrangers. Cette clarification doit être ancrée dans le cadre législatif afin que les analyses juridiques des praticiens du droit aient une réelle valeur pour les investisseurs. Elle doit également garantir aux investisseurs étrangers une meilleure visibilité et permettre à l’investisseur tunisien d’appréhender la concurrence qu’il devra affronter face à des acteurs économiques susceptibles d’être plus compétitifs que lui.