I - Le droit commun pour une personne non protégée.
Chacun a droit au libre choix de son médecin et de son établissement de santé (art. L. 1110-8 CSP). C’est là un principe fondamental du droit de la santé. Le principe du consentement aux soins avant tout acte médical est un autre principe fondamental (art. L. 1111-4 CSP) :
« Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement. (…) Le médecin a l’obligation de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. (…) Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. »
C’est donc bien le patient qui décide, dans le cas général, s’il accepte ou non l’acte médical proposé par le médecin. Mais cela ne veut pas dire que c’est le patient qui choisit l’acte médical…
Le patient peut refuser les soins, même s’il met ainsi sa vie en danger. Dûment informé par le médecin sur les risques encourus, il peut maintenir sa position. Le médecin est alors tenu de respecter sa décision et de l’accompagner. La fin de vie est régie par des dispositions spécifiques se surajoutant à cela. Les soins psychiatriques sans consentement font également l’objet de dispositions particulières.
De plus, dans le secteur sanitaire, chacun peut désigner une personne de confiance pour être accompagné dans ses démarches médicales, pour être assisté au cours des entretiens médicaux et pour être aidé dans les décisions concernant sa santé (art. L. 1111-6 CSP). Désigner une personne de confiance n’est pas une obligation, un patient peut faire le choix de ne pas en désigner.
Il existe depuis 2016 des dispositions très voisines en matière de désignation d’une personne de confiance dans le secteur médico-social (art. L. 311-5-1 CASF). Cela concerne notamment les établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes et des personnes handicapées. Si la personne concernée le souhaite, la personne de confiance peut l’accompagner dans ses démarches (constitution d’un dossier de demande d’aide sociale, ouverture des droits médicaux…). Elle peut également assister aux entretiens médicaux prévus dans le cadre de la prise en charge médico-sociale, afin de l’aider dans ses décisions. Là aussi, il n’y a pas d’obligation de désigner une telle personne de confiance.
Mais ces deux types de désignation peuvent viser des personnes de confiance différentes. Ce n’est que si la personne concernée le précise expressément dans sa désignation que la personne de confiance désignée dans le secteur médico-social exercera également les missions de la personne de confiance dans le secteur sanitaire.
II – Le droit pour le majeur protégé.
Un majeur protégé peut, lui aussi, désigner une personne de confiance dans le secteur sanitaire. Toutefois, en tutelle, cela nécessite l’autorisation préalable du juge des tutelles. Si la personne de confiance avait été désignée antérieurement à la mise en tutelle, le juge peut confirmer la désignation de cette personne ou la révoquer. Si le juge n’a pas traité du sujet dans son jugement, ce qui est le cas le plus fréquent, la personne de confiance antérieurement désignée n’est donc ni confirmée ni révoquée. Dans le flou juridique, les médecins considèrent généralement qu’elle continue à jouer son rôle. La personne en curatelle ou en sauvegarde de justice peut, quant à elle, désigner une personne de confiance comme tout un chacun.
Un majeur protégé peut également désigner une personne de confiance dans le secteur médico-social. Mais quelle que soit la mesure de protection, la désignation doit être autorisée par le juge des tutelles, dès lors qu’il y a assistance ou représentation pour les actes relatifs à la personne. En cas de désignation antérieure, le juge peut confirmer la désignation de cette personne ou la révoquer. Là aussi, le juge ne traite généralement pas du sujet dans son jugement, ce qui pose problème. En pratique, les établissements et les services médico-sociaux peuvent toutefois considérer que la personne de confiance continuera à jouer son rôle, dans l’intérêt même du majeur protégé.
Comme tout un chacun, le majeur protégé a droit au libre choix de son médecin et de son établissement de santé. Mais qui est décideur en matière de consentement aux soins ? Prendre une décision grave au niveau médical n’est déjà pas toujours simple. Cela l’est a fortiori encore moins dans le cas spécifique d’un majeur protégé, qui n’a pas forcément pleine conscience des enjeux. Et si ce dernier n’est pas en capacité de décider, il est très important de savoir qui, en la matière, a le pouvoir de décider quoi.
1. Si le majeur protégé peut exprimer sa volonté
Si le majeur protégé peut valablement recevoir l’information médicale préalable et donner (ou refuser) son accord sur l’acte médical envisagé, c’est le principe général en matière de protection de la personne qui devrait jouer (art. 459 c. civ.) : il prend seul les décisions dans la mesure où son état le permet. Mais pour le code de la santé publique, il en va tout autrement dans le cas d’une personne représentée, c’est-à-dire pour une personne en tutelle :
"Un médecin appelé à donner des soins à un majeur protégé doit s’efforcer de prévenir son représentant légal et d’obtenir son consentement (…). Si l’avis de l’intéressé peut être recueilli, le médecin doit en tenir compte dans toute la mesure du possible. » (art. R. 4127-42 CSP)
« Le consentement du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. Dans le cas où le refus d’un traitement (…) par le tuteur risque d’entraîner des conséquences graves pour la santé (…) du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables. » (art. L. 1111-4 CSP)
L’avis de la personne en tutelle peut donc être recueilli si elle est en capacité d’en avoir un, et son consentement doit être recherché par le médecin. Mais nonobstant cela, le code de la santé publique reconnaît le tuteur comme étant également décideur, puisqu’il doit donner son consentement et peut même le refuser. Le tuteur dispose donc du réel pouvoir de décision. Il faut toutefois que sa mission couvre la protection de la personne, sans restriction pour les actes médicaux, et non pas uniquement la protection des biens. Le refus éventuel des soins par le tuteur n’apparaît finalement pas comme un obstacle absolu. Si le refus du tuteur risque d’entraîner des conséquences graves pour la santé du majeur protégé, le médecin peut passer outre et délivrer les soins qu’il estime indispensables. C’est différent du cas d’une personne non protégée qui refuserait les soins : le médecin ne pourrait alors pas agir.
Dans ces conditions, le positionnement le plus correct du tuteur doit être de prendre l’avis du majeur protégé et d’en faire sa décision.
Le problème se complique quand l’acte médical envisagé porte gravement atteinte à l’intégrité corporelle du majeur protégé. Dans ce cas, sauf urgence, le tuteur doit demander l’autorisation préalable du juge des tutelles pour que l’acte médical soit réalisé (art. 459 c. civ.). Mais qu’entend-on par « porter gravement atteinte à l’intégrité corporelle » ? Les protecteurs professionnels se le demandent à chaque fois qu’ils sont confrontés à une intervention médicale : faut-il demander l’autorisation préalable du juge des tutelles, ou faut-il répondre au médecin qu’une autorisation du juge n’est pas nécessaire et que leur accord (ou leur refus) suffit ? La gravité de l’atteinte peut s’apprécier au vu de l’acte en lui-même ou au vu de ses conséquences, ce qui n’est déjà pas la même chose. C’est en fait très subjectif. Chaque tribunal d’instance, voire chaque juge des tutelles, a sa pratique locale. Comme souvent, le protecteur, que ce soit un proche ou un professionnel, devra donc s’adapter à la position et aux demandes du juge local dont dépend le majeur protégé concerné.
Le code de la santé publique ne traite pas du consentement aux soins en cas de sauvegarde de justice ou de curatelle. Il n’y a donc pas là de restrictions : c’est la personne protégée qui donne son accord (ou non) à l’acte médical envisagé si elle est en capacité de le faire. Son protecteur n’a pas à intervenir, si ce n’est pour veiller à ce qu’elle reçoive bien l’information médicale préalable.
2. Si le majeur protégé ne peut pas exprimer sa volonté.
Que se passe-t-il si le majeur protégé est hors d’état d’exprimer sa volonté ? Il est par exemple dans le coma, ou ses facultés mentales sont altérées.
En cas d’urgence vitale ou médicale, le premier réflexe est logique : on soigne d’abord, et on fait du droit après. Effectivement, dans le cas général, en cas d’urgence, le médecin peut alors intervenir même si le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, et sans même avoir à consulter la personne de confiance (art. L. 1111-4 CSP). S’agissant d’une personne en tutelle, le médecin doit donner les soins nécessaires (art. R. 4127-42 CSP), ce qui rejoint le cas général. Pour les autres mesures de protection, faute de précisions, c’est aussi le cas général qui s’applique.
Hors urgence et hors la problématique de la fin de vie, dans le cas général, le médecin doit d’abord consulter, puis ensuite décider : « Lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut alors être réalisée, sauf (…) impossibilité, sans que la personne de confiance, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté. » (art. L. 1111-4 CSP)
Pour le cas spécifique des majeurs protégés hors urgence, il n’existe pas de dispositions particulières. En tutelle, c’est donc le tuteur qui décide, puisqu’il décidait même dans le cas où le majeur protégé pouvait exprimer sa volonté, du moment que son mandat couvre effectivement la protection de la personne, sans restriction sur les actes médicaux. Si le tuteur refuse de laisser pratiquer l’acte médical envisagé, le médecin donne cependant les soins nécessaires en cas de risque de conséquences graves pour la santé du majeur protégé. Et là aussi, le tuteur ne peut autoriser de lui-même l’acte médical envisagé que s’il ne porte pas gravement atteinte à l’intégrité corporelle du majeur protégé. Sinon, il lui faut obtenir l’autorisation préalable du juge des tutelles.
En curatelle comme en sauvegarde de justice, le protecteur n’a pas intervenir, comme c’était déjà le cas si le majeur protégé pouvait exprimer sa volonté. C’est donc l’avis de la personne de confiance (ou à défaut celui de la famille ou des proches) qui pèsera pour que le médecin décide finalement de procéder ou non à l’acte médical envisagé.
3. L’articulation entre le code civil et le code de la santé publique
En fait, en matière de consentement aux soins, les différentes dispositions du code civil et du code de la santé publique se sont empilées au fil du temps sans être forcément cohérentes entre elles. L’article 459 du code civil date, dans sa rédaction actuelle, de la refondation juridique de la protection des majeurs en 2007, alors que l’article L. 1111-4 du code de la santé publique date de 2002 pour ce qui concerne les majeurs protégés, soit avant cette refondation. Le code civil met en avant l’autonomie du majeur, alors que le code de la santé publique privilégie la protection du majeur par une représentation quasi systématique par le tuteur. Il en découle que l’articulation entre ces deux codes n’est pas satisfaisante.
Dans la pratique, et notamment dans les hôpitaux, c’est constamment que le médecin se pose la question de savoir qui va décider en dernier ressort que tel acte médical sera pratiqué sur une personne en tutelle. Les questions de responsabilité professionnelle sont évidemment sous-jacentes, que ce soit celle du médecin ou celle du protecteur professionnel. Et pour la famille et les proches, tout cela n’est pas simple à comprendre.
Quant à la personne de confiance, l’articulation de son rôle avec celui du protecteur n’est pas toujours évidente. Il y a là matière à discussion. Cela nécessite, à tout le moins, que tous deux s’entendent bien et coopèrent ensemble pour que l’accompagnement du majeur protégé se passe bien.
III – Un projet de loi en débat au Parlement.
Tout cela a conduit le Gouvernement à promulguer en 2016 une loi (loi 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, article 211) permettant, entre autres, de prendre des mesures par ordonnances dans un délai de 18 mois pour mieux articuler les dispositions du code civil et du code de la santé publique, pour toute décision relative à un acte médical sur un majeur protégé. Mais l’élection présidentielle de 2017 est arrivée, et ces ordonnances n’ont finalement pas été prises.
C’est dans ce contexte que le nouveau Gouvernement a mis en place en mars 2018 un groupe de travail interministériel sur l’évolution de la protection juridique des personnes. Le rapport de mission de ce groupe (Anne Caron Déglise, septembre 2018) préconise, entre autres, que le double dispositif actuel de la personne de confiance (secteur sanitaire et secteur médico-social) soit rendu plus lisible pour les familles et pour les professionnels par une définition socle du rôle et du périmètre d’intervention de la personne de confiance.
Ce rapport préconise également que la notion d’actes portant gravement atteinte à l’intégrité corporelle du majeur protégé soit supprimée du code civil.
Le Gouvernement s’est aussitôt saisi de ces propositions par le biais d’amendements au projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, projet aujourd’hui en débat à l’Assemblée nationale après une première lecture au Sénat. Les amendements correspondants ont été rejetés par le Sénat en octobre 2018, mais le Gouvernement les a fait réintroduire à l’Assemblée nationale lors de la discussion en séance en novembre 2018.
De ce fait, le projet de loi (article 8) prévoit désormais de modifier l’article 459 du code civil en supprimant l’autorisation préalable du juge des tutelles pour les actes portant gravement atteinte à l’intégrité corporelle. Le juge n’interviendrait plus qu’en cas de difficultés, notamment en cas d’opposition entre la volonté du patient et celle du protecteur.
Le projet de loi prévoit également désormais d’habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance, dans un délai de douze mois à compter de la publication de la future loi, pour mettre en cohérence les dispositions du code de la santé publique et du code de l’action sociale et des familles avec celles du code civil. Ces futures dispositions fixeront les conditions dans lesquelles est prise une décision portant sur la personne d’un majeur protégé en matière de santé ou concernant sa prise en charge ou son accompagnement social ou médico-social. Là, le champ sera donc plus large, et il concernera notamment le sujet de la personne de confiance.
On peut penser que la discussion parlementaire débouchera sur une promulgation de la loi au premier semestre 2019, à effet immédiat pour ce qui concerne l’article 459 du code civil, et avec une ordonnance à intervenir fin 2019 ou début 2020 pour d’autres dispositions. Après plus de dix ans de difficultés juridiques, l’horizon s’éclaircit en matière de santé du majeur protégé.