Dans le monde entier, on s’accorde sur le fait que la vigueur de la croissance économique contribue au développement économique et social et à la réduction de la pauvreté. Notre société contemporaine étant affectée par ce phénomène d’ouverture et d’extension des frontières économiques, la vigueur affectant la croissance économique sociétale passe nécessairement par une stabilité des entreprises, lieux où se crée les richesses. Ainsi se fondant sur cette stabilité et au travers de moyens intellectuels, humains, matériels et financiers l’entreprise pourra extraire, produire, transformer ou distribuer des biens et des services conformément à ses objectifs fixés, des motivations de profit en vue d’une utilité sociale.
L’entreprise dans sa vocation créatrice de richesses étant l’objet et le réceptacle d’intérêts divergents, conflictuels, mettant aux prises des actionnaires, avec pour conséquences, d’importantes menaces sur le fonctionnement et l’existence de l’exploitation, et face à l’intérêt considérable qu’est la stabilité des entreprises gage de bien-être économique et sociétale, dans un tel contexte, il apparait bienséant pour l’entreprise de disposer d’une sécurité juridique et judiciaire permettant de mener efficacement l’exploitation de son activité.
Ainsi, face au caractère prépondérant de cette sécurité, a été instituée l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (en abrégé OHADA), une organisation intergouvernementale d’intégration juridique regroupant à ce jour 17 pays africains. Fondée par le traité du 17 octobre 1993 signé à Port-Louis (île Maurice), et révisé le 17 octobre 2008 à Québec (Canada), cette organisation a pour essence la rationalisation de l’environnement juridique des entreprises afin de garantir la sécurité juridique et judiciaire des activités économiques, dans la perspective de stimuler l’investissement et de créer un nouveau pôle de développement en Afrique, Comme le disait le regretté Professeur et Juge Kéba Mbaye : « L’Ohada est un outil juridique imaginée réalisé par l’Afrique pour servir l’intégration économique et la croissance ». S’inscrivant par conséquent dans cette lignée, le législateur Ohada a construit plusieurs dispositifs juridiques permettant de conférer cette sécurité aux différentes entreprises afin de garantir une bonne continuité de leur exploitation.
Toutefois, en tant qu’individu du monde des affaires et au regard de l’impact grandissant du phénomène de la mondialisation et de globalisation sur l’activité des entreprises, celles-ci pourraient être confrontées à des difficultés endogènes ou soit exogènes de natures à compromettre la continuité de l’exploitation de leur activité. Face à cette situation, il apparait bienséant de mettre en place un mécanisme juridique efficace de traitement préventif des difficultés des entreprises permettant en amont, d’éviter que l’entreprise se retrouve dans une situation de défaillance de nature à compromettre la continuité de son exploitation, ce, d’autant plus que la banque mondiale dans son rapport sur les opportunités d’affaires en Afrique (Doing Business) constatait en 2012 que
"Les coûts de fermeture d’une entreprise dans les Etats membres de l’Ohada s’élèvent à 25% de la valeur des biens du débiteur, les délais moyens sont de 3,75 ans et le taux de créance recouvrée est d’environ 20% du montant des créances".
De ce fait au regard de ce constat alarmant, l’anticipation par la prévention des difficultés demeure indispensable pour une meilleure survie de l’entreprise. Qualifiée selon la doctrine pour le fait "d’intervenir avant qu’il ne soit trop tard…, s’attaquer aux racines du mal, sans en attendre les manifestations, de prévenir plutôt que guérir…", la prévention des difficultés au sens du vocabulaire juridique, se présente comme étant l’ensemble des mesures et institutions destinées à informer, empêcher ou limiter la survenance des difficultés en essayant d’en supprimer les causes et les moyens.
Le législateur Ohada dans sa volonté de garantir une sécurité juridique aux entreprises de la zone Ohada et s’inscrivant dans cette perspective qu’est d’accorder un intérêt primordial à la notion de traitement préventif des difficultés des entreprises a mis en œuvre dans son ordonnancement plusieurs régimes juridiques pouvant être assimilés au traitement préventif des difficultés, permettant aux entreprises de lutter contre un échec économique de leur activité.
Ainsi, dans cette perspective de mise en place d’un système de prévention efficace à l’endroit des entreprises, nous avons pu assister à la mise en œuvre de plusieurs actes uniformes organisant certains systèmes ayant une connotation préventive, dont le 10 Avril 1998 l’acte Uniforme portant organisation des Procédures Collectives d’Apurement du Passif, révisé le 10 septembre 2015, l’objet dans le sens préventif est d’organiser des procédures caractérisées de prévention-traitement, procédure de traitement amiable des difficultés dont est la conciliation et deux procédures judiciaires de prévention dont le règlement préventif classique et le règlement préventif dérivé ou simplifié.
D’autre part, notons que l’acte uniforme portant Droit des sociétés commerciales et du Groupement d’Intérêt Économique(GIE), entré en vigueur le 01 janvier 1998 et dont l’intérêt est la mise en œuvre de dispositions afférentes à toutes les formes de sociétés commerciales, organise à cet effet des procédures caractérisées par la doctrine de ‘’prévention-détection’’ se caractérisant par la procédure d’alerte et la procédure administration de gestion. Ces procédures ayant une connotation préventive sont prévues par l’acte uniforme Ohada et permettent aux entreprises d’être à même de réduire le risque de leur défaillance en garantissant un ordre public économique stable permettant d’attirer les investisseurs.
Cependant, en dépit de l’existence de ce régime juridique fourni afin de traiter à titre préventif les difficultés des entreprises, notons que force est de constater considérablement que nombres d’entreprises finissent du fait d’un mauvais traitement préventif, par être affectées par des procédures collectives de redressement judiciaire pouvant découler sur une liquidation des biens. Cette situation révélatrice et périlleuse mettant en évidence le manque de percée véritable du traitement préventif des difficultés des entreprises dans l’espace Ohada justifie l’intérêt particulier de notre étude.
Par conséquent, Cette étude offre l’occasion de mener une réflexion sur la question de savoir si les règles de droit économiques conçues pour les pays de l’espace Ohada n’admettent pas de lacunes ou d’irrégularités. Ayant pour essence la réflexion critique du traitement préventif des difficultés des entreprises en Droit Ohada, il s’agira par conséquent de procéder à un examen descriptif et analytique des règles applicable ; une telle démarche permettra, à terme de savoir si l’objectif du législateur Ohada a été atteint afin d’en tirer les leçons utiles.
Cette étude se propose enfin, après décèlement des insuffisances existantes, de proposer des mesures adéquates pour une amélioration des moyens de traitements préventifs à l’égard des entreprises en vue de pallier à leurs éventuelles difficultés compromettantes. A ce titre, elle justifie d’un intérêt tant scientifique que sociale. Considérant l’intérêt scientifique, notre étude pourrait être un apport de plus à la doctrine, permettant de s’enquérir suffisamment sur la question afin de s’en servir de référence pour corroborer ou élucider leurs écrits. Quant à l’intérêt social, notre étude pourrait être impacter le monde sociétale des entreprises afin de veiller à une adaptation de leur régime juridique pour un rayonnement de leurs activités.
Dans l’espace Ohada dans le but de pallier aux difficultés pouvant compromettre la continuité de l’exploitation des entreprises, le législateur Ohada a mis en place plusieurs dispositions et régimes juridiques à caractère préventif dont le rôle est d’administrer un traitement en amont aux entreprises afin de prévenir les difficultés à leur fonctionnement, cependant force est de constater qu’en dépit de toutes ses règles préventives existantes, nombres d’entreprises finissent par plongées dans une cessation de paiement, celles-ci ne pouvant répondre de leur passif exigible d’avec leur actif disponible.
De ce point de vue, on peut se demander si l’efficacité d’un système de traitement préventif doit nécessairement s’apprécier au regard du nombre des règles de prévention qui le compose ou simplement en considération des perspectives de redressement qu’il offre à l’entreprise ? En d’autres termes, les dispositions actuelles régissant l’espace communautaire Ohada en matière de traitement préventif des difficultés parce qu’elles comportent un nombre important de mécanismes de traitement sont-elles forcément efficace ?
Le système proposé par le législateur africain Ohada en matière de traitement préventif des difficultés des entreprises offre-t-il plus de chances de sauvetage des entreprises ? Le nombre croissant des procédures de redressement ou de liquidation judiciaires d’entreprises dû essentiellement à la survenance de la cessation des paiements, ne traduit-il pas finalement l’inefficacité des procédures de traitement préventif des difficultés des entreprises ? Considérant que les dispositions en matière Ohada ayant pour but de traiter les difficultés des entreprises peine à atteindre leur résultats escomptés, quelles seraient alors les causes de cette inefficacité et comment y remédier pour assurer la sauvegarde d’un plus grand nombre d’entreprises ?
Ces différentes questions susmentionnées nous conduisent alors à nous interroger sur l’efficacité des procédures de traitement préventif des difficultés dans l’espace Ohada, Dès lors, au regard des constations factuelles, les procédures préventives de traitement des difficultés dans l’espace Ohada sont-elles véritablement efficaces ? Qu’en n’est-il de leurs insuffisances ? Et comment pouvons-nous améliorer ces méthodes de traitements préventifs pour un rayonnement des entreprises ?
Notons que dans le sens de cette thématique, plusieurs théories élaborées par la doctrine ainsi que des positions jurisprudentielles concourent à appréhender et élucider cette notion relative au traitement préventif des difficultés des entreprises.
Selon Mayatta Ndiaye Mbaye Docteur en Droit Privé et Maître-assistant associé FSJP/UCA, dans son article intitulé Réflexions sur la modification du concordat préventif en droit Ohada, celui-ci met en évidence le fait que le concordat préventif étant une convention de droit privé et bien que conformément à sa nature contractuelle, il existe une dérogation permettant à la juridiction compétente de disposer d’un pourvoir de modification du concordat préventif, certaines questions mériteraient d’être posées quant à cette modification notamment ; Est-il possible pour la juridiction compétente de proroger le délai contenu dans le concordat préventif déjà homologué ? Ensuite, les dispositions relatives aux délais contenus dans le concordat préventif sont-elles d’ordre public ? Aussi, celui-ci met également en évidence le fait que la juridiction compétente pourrait disposer à l’issu du processus de modification du concordat préventif d’un plein pouvoir.
Ce pouvoir se justifiant au sens de l’article 1 de l’article 21 de l’AUPCAP qui prévoit qu’« à la demande du débiteur et sur rapport du syndic (…), la juridiction compétente peut décider toute modification (…) » du concordat préventif. Il résulte de ce texte que la juridiction compétente, devant une demande de modification du concordat préventif, sollicite l’avis du syndic, qui contrôle l’exécution du concordat, sur l’opportunité de cette modification, mais détient le monopole de la décision, souverain se présente de manière plus flagrante lorsqu’un syndic n’a pas été nommé dans la procédure de règlement préventif.
Enfin au sens de l’analyse des possibilités de modifications du concordat préventif, l’auteur a émis une interrogation quant à la notion de : « Modification de nature à abréger ou à favoriser cette exécution ». Selon lui, la question qui se pose est de savoir si le législateur a voulu dissocier les deux cas de modification du concordat préventif. Le « ou » utilisé par le législateur entre les deux cas de modification est-il exclusif ou additif ? Les cas de modifications sont-ils alternatifs ou cumulatifs ? Ainsi il est parvenu à la conclusion que tout ce qui abrège l’exécution du concordat préventif la favorise, par contre l’inverse n’est pas toujours vrai : ce qui favorise l’exécution du concordat préventif ne l’abrège pas toujours.
Aussi, s’inscrivant dans cette même perspective Didier Takafo-Kenfack dans son article intitulé ; La réforme de l’alerte et de l’expertise de gestion dans le nouveau droit Ohada des sociétés : Commerciales une Entreprise Inachevée, Celui-ci bien que félicitant le législateur Ohada pour les efforts accomplis au regard de la nouvelle réforme de 2015, essaie de mettre en évidence les lacunes afférentes à la procédure.
Ainsi considérant la procédure de traitement préventif qu’est la procédure d’alerte, pour lui, le même dispositif est reconduit par le nouveau texte, qui n’a pas cru devoir sanctionner l’inertie des dirigeants qui refusent d’obtempérer dans le délai imparti. L’auteur met en évidence le fait qu’aucune sanction n’ait été prévue est une lacune grave qui vide la réforme de l’alerte de sa substance. En s’abstenant de répondre aux titulaires du droit d’alerte, les dirigeants sociaux mettent en péril les intérêts de la société et devraient en répondre si un préjudice en résultait.
Considérant la procédure d’expertise de gestion, l’auteur met également en évidence que le caractère limitatif de cette procédure s’explique par le fait que les associés ne peuvent exercer leur droit que deux fois par exercice. Au cours de cet exercice, les questions peuvent reposer sur de simples spéculations, or L’associe qui a épuisé ses moyens d’action peut s’adresser au contrôleur légal s’il veut aller au bout de sa démarche. Mais qu’advient-il en l’absence du commissaire aux comptes, dont l’obligation d’en désigner un ne pèse pas sur toutes les entreprises ? En outre, l’auteur met en évidence le fait que le législateur Ohada entretient un mutisme sur les modes de saisine du juge compétent contrairement au Droit français qui prévoit que les actionnaires peuvent demander en référé la désignation de l’expert. Par conséquent la question est de savoir si le juge pourrait-être saisi par une procédure d’assignation ou s’il aurait une possibilité que le juge soit saisi par une procédure en référé.
Selon Sara Nandjip Moneyang, Maître de conférences, Faculté des sciences juridiques et politiques, Université de Douala (Cameroun), dans son article intitulé ; La réforme des procédures collectives Ohada : quelle avancée pour le traitement des difficultés de l’entreprise ? L’auteur met en évidence le fait que l’on pourrait aussi remettre en cause l’efficacité de la procédure de conciliation eu égard à la distinction faite par le législateur entre les différents types de créanciers du débiteur. Ainsi il justifie sa thèse par le fait que l’acte uniforme portant procédure collective et apurement du passif oppose les cocontractants aux principaux créanciers qui semblent être les fournisseurs et les clients.
Or, le créancier étant toute personne pouvant réclamer l’exécution d’une obligation parce qu’elle est devenue exigible, le cocontractant pourrait bien être créancier. Pour l’auteur, cette conception est de nature à affaiblir l’importance de la procédure de conciliation. Aussi celui-ci démontre que la condition d’ouverture de la conciliation, qui consiste pour le débiteur à présenter des difficultés avérées ou prévisibles ; peut conduire à un réel souci d’appréciation de la situation du débiteur, à qui on risque de refuser l’ouverture de la procédure. En effet, non seulement la difficulté doit être identifiée, mais constatée et de nature à permettre facilement d’en mesurer les conséquences sur la continuité par le débiteur, de son activité. Enfin, l’auteur met en évidence la complexité relative à la constitution des dossiers en vue d’une ouverture d’action en règlement préventif, des documents devant être versés au dossier pour l’ouverture de la procédure, dont le nombre passe de dix à quatorze et qui doivent dater de moins d’un mois. Cette situation étant de nature à remettre en cause l’efficacité de procédures préventives dans le traitement des difficultés des entreprises.
In fine, pour Aymar Toh dans sa thèse présentée pour obtenir le grade de Docteur de l’Université de Bordeaux Ecole Doctorale Droit privé et sciences criminelles sur « la prévention des difficultés des entreprises : étude comparée de Droit français et Droit Ohada », soutenue le 09 décembre 2015, il soutient que le système Ohada devrait s’inspirer du système français pour améliorer son dispositif de prévention.
La première piste d’amélioration concerne la prévention détection de droit Ohada.
Le législateur africain semble apparemment peu concerné par ce premier volet de la prévention qui consiste à dépister les premiers symptômes annonciateurs de la cessation des paiements. En effet, dans le dispositif actuel, la prévention détection se limite en droit Ohada au droit d’alerte du commissaire et au droit d’alerte des associés. Ces deux types d’alerte ne peuvent suffire à informer le dirigeant de manière efficace sur sa situation financière. En conséquence, le domaine du droit d’alerte est très réduit et ne permet pas au dirigeant d’avoir une pluralité de moyens de détection Il est souhaitable de diversifier le régime de la prévention détection en multipliant le nombre des agents de détection. C’est pourquoi, à l’instar du droit français qui comporte six agents de détection, une augmentation du nombre des agents de détection de droit Ohada peut contribuer à renforcer le système de prévention détection de droit Ohada. Il appartiendra au législateur de choisir les agents de détection adapté au contexte socio-économique africain. En effet, en l’absence d’un droit du travail uniforme dans l’espace Ohada, la reconnaissance d’un droit d’alerte au comité d’entreprise dans cet espace juridique doit faire l’objet d’une véritable étude.
Le droit Ohada peut également s’inspirer de la méthode du droit français qui consiste à instrumentaliser le droit des sûretés pour financer l’entreprise en difficulté. Le droit des sûretés dans le dispositif de droit Ohada n’est pas aligné sur l’acte uniforme portant procédures collectives d’apurement du passif. Il en va ainsi de l’agent de sûreté de droit Ohada dont le régime peut constituer un obstacle au redressement de l’entreprise.
Retenons que l’étude des insuffisances du système de prévention en Droit Ohada permet de constater que l’efficacité réelle des présentes dispositions pourrait être discutée. Après ce constat, on ne peut que déplorer les nombreuses imprécisions et manquements relatifs aux systèmes de prévention en droit Ohada.
Pour ce faire, le législateur Africain devrait suffisamment réfléchir à l’établissement d’un régime juridique efficace pour pallier à toutes les éventualités quant à la prévention des difficultés des entreprises.
Discussion en cours :
Belle analyse. Elle m’a été d’une grande utilité pour cerner certains points d’ombre en ce qui concerne les insuffisances dont souffre le système de prévention de difficultés des entreprises.