La partie civile, quant à elle, joue un rôle crucial dans le processus pénal français. En vertu de l’article 2 du Code de procédure pénale, toute victime d’une infraction a la possibilité de se constituer partie civile pour obtenir réparation de son préjudice. Ce droit d’action en justice est essentiel non seulement pour le rétablissement des droits de la victime, mais aussi pour la légitimité du système judiciaire. En intégrant la victime au processus pénal, le droit français cherche à reconnaître sa souffrance tout en respectant les droits de l’accusé, comme l’illustre la décision de la CEDH dans l’affaire Gäfgen c. Allemagne, où la cour a rappelé l’importance d’un équilibre entre les droits des parties.
Cependant, la coexistence de ces deux droits soulève une problématique majeure : comment concilier les droits de la partie civile avec ceux de l’accusé dans le cadre d’un procès pénal équitable ? D’une part, la reconnaissance des droits de la victime est essentielle pour assurer une justice réparatrice ; d’autre part, il est impératif de veiller à ce que la défense ne soit pas compromise par des éléments qui pourraient nuire à la présomption d’innocence. La jurisprudence a souvent été confrontée à cette question délicate, illustrant les tensions qui peuvent exister dans la pratique.
Nous examinerons les différentes facettes de cette problématique en analysant les articles pertinents du Code de procédure pénale, ainsi que des décisions clés de la CEDH. Nous aborderons également les implications de ces choix juridiques sur le droit à un procès équitable et sur le statut de la partie civile dans le système pénal français.
La législation répressive française reconnaît aux personnes lésées par la commission d’une infraction le droit d’être présentes et de participer à la procédure qui en découle depuis l’ordonnance de 1670. Cette possibilité a été consacrée dans le Code d’Instruction Criminelle de 1808, dont l’article 63 disposait que « toute personne qui se prétendra lésée par un crime ou un délit pourra en rendre plainte et se constituer partie civile », et confirmée à l’article 2 du Code de procédure pénale. Ainsi, la France accorde une place au procès pénal aux personnes ayant subi un préjudice du fait de l’infraction depuis plusieurs siècles, et ce malgré l’étatisation de la justice pénale qui a enlevé à la victime et ses proches le droit de punir. Ces personnes revêtent, depuis, la qualité de partie civile devant les juridictions répressives.
L’action civile existe, certes, depuis plusieurs siècles dans la procédure pénale française. Cependant, elle a connu des évolutions considérables ces dernières décennies qui viennent interroger le respect effectif du droit à un procès pénal équitable pour la personne poursuivie, partie privée principale titulaire des garanties de ce droit. L’évolution amorcée au début du siècle dernier qui a consacré le rôle actif de la personne lésée au procès pénal, s’est poursuivie avec une confirmation de sa présence active tout au long de la procédure pénale. Cette présence toujours plus importante, s’est doublée d’une extension du nombre des titulaires de l’action civile qui a, inévitablement, des effets sur l’économie générale du procès pénal.
Par leur simple présence les diverses parties civiles tendent à bouleverser les garanties procédurales de la personne poursuivie. Cette dernière doit se défendre face à une pluralité de parties qui invoquent tant sa responsabilité civile que pénale et qui, en raison de leur diversité, utilisent des armes propres à leurs qualités particulières. Le droit à un procès équitable est ainsi fragilisé en présence de la ou les parties civiles.
Tout au long de la procédure pénale, les recours liés à l’action publique sont fermés à la partie civile. En phase d’instruction, elle ne peut exercer de recours relatifs à la détention ou au contrôle judiciaire. En phase de jugement, elle ne peut exercer de recours portant sur l’action publique, ses recours sont limités à ses intérêts civils et plus précisément à sa réparation indemnitaire. En revanche, si elle ne peut pas exercer ces recours, le législateur lui a tout de même accordé des droits qui lui permettent de participer, au moyen de droits particuliers, aux audiences relatives à ces recours. De même, il lui a été accordé l’exercice de voies de recours portant sur ses intérêts civils mais qui, en raison de leur objet, peuvent influencer la décision sur l’action publique.
L’article 186, alinéa 2, du Code de procédure pénale prévoit que l’appel de la partie civile « ne peut, en aucun cas, porter sur une ordonnance ou sur la disposition d’une ordonnance relative à la détention de la personne mise en examen ou au contrôle judiciaire ». Cette interdiction s’inscrit dans une vision générale qui veut que la partie civile ne puisse interjeter appel que des décisions qui portent atteinte à ses intérêts civils, entendus au sens indemnitaire. Pourtant, la jurisprudence permet à la partie civile de participer aux audiences relatives à la détention provisoire et au contrôle judiciaire. En effet, c’est par une jurisprudence ancienne et constante que la Chambre criminelle admet que « s’il est vrai qu’aux termes de l’article 186, alinéa 2, du Code de procédure pénale, l’appel de la partie civile ne peut, en aucun cas, porter sur une ordonnance ou sur la disposition d’une ordonnance relative à la détention de l’inculpé ou au contrôle judiciaire, il n’en demeure pas moins que les articles 197, 198 et 199 du même Code prévoient la participation de la partie civile aux débats devant la Chambre d’accusation sans aucune restriction, même en matière de détention provisoire ». La Chambre criminelle limite, certes, la participation de la partie civile à l’audience sur la détention provisoire. Elle peut présenter des mémoires et être entendue, cependant, elle n’est pas recevable à proposer des moyens. De plus, les juges ne sont pas obligés de répondre à ses observations. Enfin, elle ne peut exercer de recours contre la décision que rendra la chambre de l’instruction dans la mesure où « la partie civile est sans qualité pour critiquer les mesures énumérées à l’article 137 du Code de procédure pénale, relatives à la détention provisoire, au contrôle judiciaire et au placement sous surveillance électronique ». Toutefois, la Chambre criminelle a rendu obligatoire la notification à la partie civile des audiences sur la détention provisoire devant la chambre de l’instruction, prévue à l’article 197 du Code de procédure pénale, de même que leur participation aux audiences sur la détention.
Elle précise, en plus, que le respect de cette obligation est prescrit à peine de nullité.
Selon elle, « les prescriptions de ce texte ont pour objet de mettre en temps voulu les parties et leurs avocats en mesure de prendre connaissance du dossier, de produire leurs mémoires et d’être entendus à l’audience et qu’il n’y est apporté aucune exception ni restriction à l’égard de la partie civile, lorsque l’audience est relative à une demande de mise en liberté formée en application des articles 148-1 et 148-2 du Code de procédure pénale ». Il en ressort que l’information de la partie civile et sa participation à l’audience sur la détention provisoire sont des conditions de validité de la décision qui doit être rendue. Ce qui lui donne un poids considérable à une audience où ses intérêts civils ne sont, en principe, pas concernés. Cette volonté d’intégrer la partie civile aux débats relatifs à la liberté est un vestige des prévisions du Code d’instruction criminelle qui, s’il n’accordait pas beaucoup de droits à la partie civile, lui reconnaissait néanmoins le droit de s’opposer à la mise en liberté des prévenus. La législation a, par la suite, évolué dans le sens des droits de la défense et a interdit ce recours à la partie civile. Cependant, la volonté de renforcement des droits de toutes les parties privées au procès pénal et notamment du respect de l’égalité des armes et du principe du contradictoire semblent conduire la jurisprudence à renouveler cette prérogative ancienne de la partie civile. Le principe de l’égalité des armes « constitue un élément de la notion plus large de procès équitable, qui englobe aussi le droit fondamental au caractère contradictoire de la procédure pénale ». De fait, le principe du contradictoire et l’égalité des armes sont étroitement liés. En effet, de la nécessité pour chaque partie de ne pas être mise dans une situation de net désavantage par rapport aux autres, découle la nécessité de permettre à chaque partie de discuter les preuves des autres parties dans des conditions égales. C’est en ce sens que l’argument peut être soutenu que la participation de la partie civile aux recours liés à la poursuite pénale a pour finalité de lui permettre de présenter ses moyens et discuter les preuves apportées par les autres parties en raison de sa qualité de partie à la procédure. Cependant, il est nécessaire de relever que l’égalité des armes n’est pas toujours entendue dans le sens d’une stricte égalité entre les parties. Une différence de traitement peut être admise en fonction des actions et des intérêts en cause. La Cour EDH considère, ainsi, que les objectifs du ministère public et ceux de la partie civile sont distincts. De même, elle considère qu’une différence de traitement entre la partie civile et la personne poursuivie ne constitue pas toujours une violation de l’égalité des armes.
Au regard de cette position jurisprudentielle, il est légitime de relever que, a contrario, le non-respect de cette différence de traitement peut engendrer une violation de l’égalité des armes, et ce au détriment de la personne poursuivie.
Appliquée à la participation de la partie civile aux audiences relatives à la détention provisoire et au contrôle judiciaire, le respect du principe de l’égalité des armes, peut être éprouvé et ce à plusieurs égards. Tout d’abord, la participation d’une partie à une audience doit pouvoir se fonder sur un intérêt défendu par celle-ci. Ce qui n’est pas le cas de la partie civile qui ne peut d’ailleurs pas, et à raison, exercer un tel recours. Cette impossibilité est justifiée au regard de l’égalité des armes combiné au droit à un recours effectif. Dans la jurisprudence européenne, en matière civile le droit à un recours effectif n’existe pas en tant que tel, contrairement à la matière pénale pour laquelle l’article 2 du protocole additionnel n°7 prévoit un recours effectif. Cependant, la Cour EDH le fait découler du droit d’accès au tribunal prévu par l’article 6 §1 de la Convention EDH. Le droit d’accès au tribunal implique le droit concret et effectif pour toute personne à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractères civils.
Ce droit s’entend alors tant d’un droit d’action - celui d’avoir la possibilité effective de saisir une juridiction pour connaître de sa cause - que d’un droit de recours.
Concernant ce second aspect, la Cour EDH considère que si un appel est prévu en droit interne celui-ci doit respecter les règles du procès équitable et sa mise en œuvre ne doit pas être telle à empêcher un justiciable de l’utiliser. C’est donc ce second aspect du droit d’accès au tribunal qui peut être ici évoqué : la partie civile doit pouvoir contester toute décision relative à ses intérêts. Il faut toutefois relever que la Cour EDH rappelle régulièrement que « le droit à un tribunal, dont le droit d’accès constitue un aspect, n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation ». La partie civile, en raison du caractère traditionnellement civil de son action doit, pour se prévaloir d’un droit de recours, justifier d’une contestation sur un droit ou une obligation de caractère civil, elle ne peut se prévaloir d’un droit coercitif à l’égard de la personne poursuivie. Les objets du recours devant la chambre de l’instruction, en cause ici, sont la détention provisoire et le contrôle judiciaire et ceux-ci ne recouvrent pas un intérêt civil car ils renvoient à des notions coercitives qui appartiennent au pouvoir régalien. Ils relèvent alors d’une action strictement pénale et donc uniquement de l’action publique. Eu égard à la limitation de son action à ses intérêts civils, le refus de lui accorder un recours lié à la poursuite pénale est justifié. Ensuite, si le législateur français a décidé que la partie civile ne peut pas faire appel des décisions relatives à la liberté parce qu’elles n’intéressent pas ses intérêts, on peut se demander ce qui justifie l’application du contradictoire à son égard au cours de ces audiences. Le législateur, limitant l’action de la partie civile à ses seuls intérêts civils, que fait celle-ci à une audience qui concerne l’action publique et pour laquelle, d’ailleurs, elle n’a aucun droit de recours ? Cette audience portant sur la seule action publique et mettant en opposition deux acteurs, la personne poursuivie et le ministère public, quelle est la place de la partie civile ? À ces différentes questions, il n’y a pas de réponse précise. Il semble exister une incohérence dans la position de la Chambre criminelle qui pourtant ne devrait pas exister. En effet, si la partie civile est partie à la procédure déclenchée à la suite de la commission de l’infraction, elle n’est, en revanche, pas systématiquement partie à toutes les actions exercées au cours de cette procédure générale. C’est notamment le cas des actions relatives à la détention et au contrôle judiciaire. La partie civile ne justifie d’aucun intérêt à y participer, ce qui lui enlève la qualité de partie à l’action en cause. En effet, dans le cadre de ces recours, comme il l’a été souligné, l’objet intéresse uniquement l’action publique. Dans cette mesure, une différence de traitement entre elle et le ministère public et entre elle et la personne poursuivie ne viole pas l’égalité des armes et le principe du contradictoire. Seules les actions relatives à ses intérêts doivent pouvoir être discutées par la partie civile. En définitive, la participation de la partie civile à ces audiences est difficilement justifiable, ce d’autant plus qu’elle remet en cause l’application de l’égalité des armes entre elle et la personne poursuivie.
Le droit à un tribunal impartial est une garantie générale du procès équitable qui induit que les magistrats chargés de statuer sur l’affaire ne doivent souffrir d’aucune pression extérieure, d’aucune influence pouvant pervertir leur jugement. Selon la jurisprudence de la Cour EDH l’impartialité des magistrats peut s’observer de manière subjective - en tenant compte de la conviction intime et du comportement personnel du magistrat - ou de manière objective - en recherchant si le juge offrait des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime à son égard. Une partie de la doctrine distingue, quant à elle, l’impartialité fonctionnelle de l’impartialité personnelle. Dans la première, il est question de l’exercice même des fonctions, indépendamment des convictions personnelles, de l’attitude ; et tout juge placé dans la même situation verrait son impartialité appréciée de la même façon. Dans la seconde, l’impartialité est constatée indépendamment de la fonction exercée, c’est en raison de traits propres au juge que l’impartialité doit être appréciée (ses convictions personnelles, ses relations familiales ou amicales…). L’impartialité requise des magistrats doit être effective tant dans leurs relations avec les parties principales au procès pénal, le ministère public et la personne poursuivie, que dans leurs relations avec la partie civile traditionnelle, partie accessoire. Cependant, concernant cette dernière, les souffrances subies du fait de la commission de l’infraction peuvent conditionner sa relation avec les magistrats. Le droit d’exercer l’action civile devant les juridictions répressives a d’abord été reconnu aux personnes physiques dans le Code d’instruction criminelle de 1808 parce qu’étant les victimes directes et surtout visibles et déterminées de l’infraction. Aux termes de l’article 2, alinéa 1ᵉʳ, du Code de procédure pénale, les personnes physiques qui peuvent se constituer parties civiles sont celles qui ont personnellement et directement souffert du dommage causé par l’infraction. Ce sont donc les victimes directes de l’infraction. À celles-ci, la jurisprudence a ajouté les proches de la victime directe, nommées par la doctrine « victimes par ricochet ». La particularité de cette catégorie de parties civiles est que la recevabilité de son action au procès pénal est intimement liée à la souffrance endurée du fait de la commission de l’infraction. Ces parties civiles portent en elles et avec elles le préjudice qu’elles ont subi.
Le préjugé est une opinion a priori favorable ou défavorable contre quelqu’un ou quelque chose. C’est un jugement qui est fait en avance, sans examen approfondi de la situation et qui se base sur des critères personnels. C’est en ce sens que la Cour EDH affirme que « l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris ». Le préjugé s’oppose, donc, à l’impartialité car celle-ci ne peut être effective si le juge qui siège à l’audience a une idée préconçue de l’affaire ou des parties en présence. Aussi, est-il nécessaire que le juge ne soit pas influencé tout au long de la procédure pénale par des éléments qui pourraient le conduire à favoriser une partie au détriment de l’autre et ce sans examen approfondi de l’affaire. Ces éléments d’influence peuvent avoir diverses causes. Il peut s’agir de liens familiaux, ou amicaux, ou encore d’une inclination en faveur d’une partie en raison d’une situation personnelle suscitant une émotion particulière. En ce qui concerne la participation des parties civiles traditionnelles, c’est surtout cette dernière influence qui est ici interrogée.
La plupart des travaux universitaires qui s’intéressent à l’impact des émotions sur le cours de la justice pénale relèvent de la sociologie ou de la criminologie. Pourtant, sur le plan juridique « (…) l’émotion n’est pas impensable, même si elle demeure souvent impensée ». En ce sens, aux États-Unis, un mouvement doctrinal s’est développé autour de cette question. Ce mouvement interdisciplinaire, intitulé Law and Emotion, traite du rôle que jouent, ou que devraient jouer, les émotions dans la pratique du droit et de la justice. Ce mouvement a permis de démontrer que les émotions exercent une réelle influence sur la justice notamment dans l’office du juge. En France, cette question a longtemps été ignorée. Mais depuis quelques années, elle semble intéresser autant la doctrine que les praticiens. Les juges, eux-mêmes, analysent de plus en plus cette influence sur leur office. Ainsi, dans le cadre de son cycle de conférences 2022, la Cour de cassation a traité de « L’office du juge, la raison et ses émotions » avec pour objectif « de voir comment il (le juge) accomplit son office en éprouvant lui-même des émotions ». Il est, donc, désormais acquis que les émotions peuvent exercer une influence sur la justice.
Pendant longtemps le législateur refusait d’intégrer la partie civile à la phase d’application des peines, car cette phase relève exclusivement du pouvoir étatique. En effet, depuis l’étatisation de la justice, la sanction de la personne condamnée revient à la puissance publique, et la personne lésée par l’infraction n’a aucun droit dans la mise en œuvre de cette sanction. Son rôle dans la procédure pénale devrait prendre fin à l’issue de la décision définitive sur les intérêts civils. Toutefois, ces dernières années, le mouvement d’extension des droits des victimes leur a ouvert une brèche dans la phase d’application des peines - victimes qui n’ont plus, alors, le statut de partie civile.
Le législateur a entamé la prise en compte de l’ex-partie civile au-delà du strict procès pénal avec la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes qui a consacré la judiciarisation (ou « juridictionnalisation ») de l’application des peines. Plusieurs lois successives ont ensuite intégré la prise en compte de l’ex-partie civile au cours de cette phase et lui ont reconnu une certaine place. Le droit européen, quant lui, met de plus en plus en avant la nécessité d’informer les victimes durant la phase d’exécution de la peine.
Ainsi, les droits des victimes ne concernent plus uniquement les phases préparatoire et de jugement : ils sont désormais intégrés à la phase d’exécution des peines. Cette intégration se fonde principalement sur la protection de l’ex-partie civile souffrante. En effet, un lien s’est indubitablement créé entre la souffrance de la partie civile traditionnelle et sa protection : parce qu’elle a souffert de la commission de l’infraction elle est vulnérable ce qui rend nécessaire sa protection par l’État et ce même après la reconnaissance de la culpabilité et le prononcé de la peine. La nécessaire protection de l’ex-partie civile, en raison de sa qualité de personne souffrante, s’accompagne cependant d’un risque de partialité du juge de l’application des peines. Si au cours de la phase d’application des peines il n’existe plus, par hypothèse, de personne poursuivie, cette personne désormais condamnée n’est néanmoins pas privée de garanties. À son égard s’appliquent toujours les garanties du droit à un procès équitable dont l’exigence d’impartialité requise des juges. L’impartialité objective développée par la Cour EDH revient à déterminer si le juge offrait des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime. Cette impartialité s’apprécie sans tenir compte ni du comportement du juge ni de ses convictions. Le seul exercice de ses fonctions suffit à le rendre partial comme elle aurait rendu partial tout juge placé dans la même situation. La Cour EDH a, à partir de la démarche objective, développé la théorie des apparences. Elle consiste à vérifier si le tribunal offre toutes les garanties de l’impartialité du point de vue d’un observateur extérieur. Selon cette théorie, la justice ne doit pas seulement être dite, elle doit également donner le sentiment qu’elle a été bien rendue. Elle souligne, en ce sens, « l’importance attribuée aux apparences et à la sensibilité accrue du public aux garanties d’une bonne justice ». Cette forme d’impartialité est exigée à toutes les phases de la procédure pénale et, donc également, en phase d’exécution des peines. En effet, depuis plusieurs décennies la souffrance de la partie civile est mise en avant et en raison de cette souffrance elle est de plus en plus incluse dans les différentes phases du procès. La phase d’application des peines n’échappe pas à cette évolution. Au cours de cette phase, ses intérêts sont de plus en plus pris en compte en raison de sa souffrance et plus particulièrement de sa vulnérabilité.
Si l’accès à la phase d’application des peines a longtemps été refusée à l’ex-partie civile au motif qu’elle relève du pouvoir souverain de la force publique, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Depuis un peu plus de deux décennies ses intérêts et plus particulièrement sa protection sont de plus en plus privilégiés au cours de cette phase de la procédure pénale. L’irruption de l’ex-partie civile - et plus généralement de la victime même lorsqu’elle ne s’est pas constituée partie civile au cours du procès pénal stricto sensu - dans la phase d’exécution des peines commence avec l’adoption de l’article préliminaire du Code de procédure pénale en 2000 qui prévoit, en son paragraphe 2, que « l’autorité judiciaire veille à l’information et aux droits des victimes au cours de toute procédure pénale ». Faisant écho à ce paragraphe de l’article préliminaire, depuis la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, le livre cinquième du Code de procédure pénale est composé de plusieurs articles qui prévoient la prise en compte des intérêts des victimes, incluant l’ex-partie civile, dans la décision des juridictions de l’application des peines, tant dans des procédures d’aménagement de peines que dans le cadre des mesures de libération.
Confortant le mouvement intervenu en 2000, l’article 707 du Code de procédure pénale, issu de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, énonce les principes généraux (« Dispositions générales ») applicables à la phase d’application des peines. Dans sa version originelle, son deuxième alinéa disposait que « l’exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l’insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive ». L’article 707 du Code de procédure pénale a été réécrit par la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales.
L’alinéa 174 précité a été supprimé. C’est désormais le paragraphe IV de l’article 707 qui est consacré à la victime. Il dispose que, « au cours de l’exécution de la peine, la victime a le droit :
1° de saisir l’autorité judiciaire de toute atteinte à ses intérêts ;
2° d’obtenir la réparation de son préjudice, par l’indemnisation de celui-ci ou par tout autre moyen adapté, y compris, s’il y a lieu, en se voyant proposer une mesure de justice restaurative ;
3° d’être informée, si elle le souhaite, de la fin de l’exécution d’une peine privative de liberté, dans les cas et conditions prévus au présent code ;
4° à la prise en compte, s’il y a lieu, de la nécessité de garantir sa tranquillité et sa sûreté » énonçant in fine que « l’autorité judiciaire est tenue de garantir l’intégralité de ces droits tout au long de l’exécution de la peine, quelles qu’en soient les modalités ».
Cet article permet de consacrer la volonté, déjà affichée, de garantir la protection de la victime, et de l’expertise civile, au cours de l’application des peines en lui accordant des droits concrets qui permettent que ses intérêts soient obligatoirement pris en compte par les juges dans leurs décisions. Cette volonté de protéger la victime a été influencée par des législations internes de certains États accordant une place une place importante aux victimes au cours de cette phase de la procédure et préconisée par les normes européennes qui incitent les États à intégrer les victimes d’infraction dans les procédures d’exécution des peines. Par exemple, la directive 2012/29/UE du Parlement et du Conseil du 25 octobre 2012 prévoit que la victime devrait recevoir des informations concernant le droit de recours contre une décision de libérer l’auteur lorsque ce droit existe dans le droit national.
L’article 6§5 de ladite directive prévoit quant à lui que « les États membres veillent à ce que la victime se voie offrir la possibilité d’être avisée, sans retard inutile, au moment de la remise en liberté ou en cas d’évasion de la personne placée en détention provisoire, poursuivie ou condamnée pour des infractions pénales concernant la victime. En outre, les États membres veillent à ce que la victime soit informée de toute mesure appropriée prise en vue de sa protection en cas de remise en liberté ou d’évasion de l’auteur de l’infraction ». Pour mieux appréhender cette intégration, il est nécessaire d’en préciser l’étendue.
Il faut noter que, dans les dispositions précitées, le législateur vise logiquement la « victime » et non la « partie civile » ceci parce que la partie civile n’existe plus à cette phase du procès (autant que l’action publique qui s’éteint au prononcé de la peine, l’action civile s’éteint et les intérêts des parties civiles disparaissent au prononcé de la décision sur les intérêts civils). Le terme de « victime » utilisé par le législateur englobe a priori toutes les victimes, celles qui se sont constituées parties civiles comme celles qui ne l’ont pas été.
Quels intérêts ? Ensuite, l’article 707, IV, précité, précise que la victime obtient réparation de son préjudice « par l’indemnisation de celui-ci ou par tout autre moyen adapté ». De fait, il s’en déduit que la protection de celle-ci recouvre autant la réparation indemnitaire que la réparation morale. Concernant la réparation indemnitaire, elle se justifie par le fondement même de l’action civile, qui est, a priori, une action en réparation traditionnellement entendue dans le sens indemnitaire. Ainsi, même si le procès est terminé, il faut encore que la personne condamnée exécute les décisions pénales et civiles prises à son encontre.
Aussi, la protection de la victime, et de l’ex-partie civile, à ce stade peut répondre à la nécessité d’assurer son indemnisation effective par la personne condamnée. Une autre justification tient à l’impact de cette réparation indemnitaire sur la réinsertion de la personne condamnée car, bien évidemment, le paiement des dommages et intérêts prononcés participe à cette réinsertion. Cependant, une critique peut être faite à l’intégration particulière de cette protection au cours de cette phase de la procédure. En effet, dès lors que c’est à l’autorité judiciaire de s’assurer de l’exécution de cette décision, la présence de la victime, et plus particulièrement de l’ex-partie civile, n’a pas une réelle nécessité.
Cette prise en compte des intérêts indemnitaires questionne d’autant plus lorsque les indemnités ont été payées par le Fonds de garantie des victimes. Concernant la réparation morale, elle a trait à la protection de la victime contre la commission de nouvelles infractions par la personne condamnée. Il y a, en ce sens, de plus en plus de décisions des juridictions de l’application des peines qui fondent le refus de la libération conditionnelle sur les intérêts moraux de la victime.
Mais « est-ce à la victime de s’exposer ainsi, dans une plainte infinie, à celui qui est la source de ses malheurs ? N’est-ce pas plutôt à l’autorité judiciaire de mettre en évidence les éventuels risques de récidive objective de l’intéressé et de s’assurer concrètement que la victime - qu’elle se soit manifestée important peu - ne sera pas victimisée encore par le libéré ? »
Encore une fois, c’est à l’autorité (infra. n°274 546 R. Cario), La place de la victime dans l’exécution des peines (D. 2003. 145 176) judiciaire de s’assurer de la protection de la victime, et de l’ex-partie civile, en qualité de détentrice de la force publique.
En tout état de cause, la protection de l’ex-partie civile souffrante au cours de la phase d’application des peines est désormais établie dans la législation interne, et est encouragée par une partie de la doctrine. Même si elle n’a pas de statut particulier au cours de cette phase de la procédure pénale, l’intégration de ses intérêts répond à une volonté du législateur de lui accorder des droits sans pour autant lui reconnaître de statut particulier à des stades de la procédure où elle ne peut être partie. Si cette protection est nécessaire au regard de sa vulnérabilité, l’influence de cette protection sur la structuration des juridictions d’applications des peines remet en cause l’impartialité du tribunal.
En conclusion, la question de la coexistence des droits de la partie civile et de ceux de l’accusé dans le cadre d’un procès pénal équitable révèle des enjeux complexes et souvent conflictuels. La reconnaissance des droits de la victime, au travers de sa capacité à se constituer partie civile, est essentielle pour assurer une justice réparatrice et renforcer la légitimité du système judiciaire. Cependant, il est tout aussi crucial de garantir que les droits de la défense ne soient pas compromis, respectant ainsi le principe fondamental de la présomption d’innocence.
Références :
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J. Leroy, La constitution de partie civile à fins vindicatives : défense et illustration de l’article 2 du Code de procédure pénale, Thèse, Paris XII, 1990
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Conseil constitutionnel, Décision n° 2013-363, QPC du 31 janvier 2014
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Code pénal
Code de procédure pénale.