Respect du principe d’égalité de traitement entre candidats entrants et sortants d’un marché public.

Par Sarah Bouët, Avocat.

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Explorer : # Égalité de traitement # marchés publics # transparence # concurrence loyale

Le principe d’égalité de traitement des candidats constitue un des principes fondamentaux de la commande publique, lequel doit être assuré par l’acheteur, faute de quoi le marché pourra être annulé par le juge.
Ce principe a pour corollaire le principe de transparence.
Pourtant, dès lors que parmi les candidats au marché, se trouvent le ou les candidat(s) sortant(s), le respect de ces principes peut s’avérer plus délicat pour l’acheteur public.
C’est à dans ce contexte là que ce dernier doit redoubler de vigilance.

-

L’article L3 du Code de la Commande publique est ainsi rédigé :

« Les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d’égalité de traitement des candidats à l’attribution d’un contrat de la commande publique. Ils mettent en œuvre les principes de liberté d’accès et de transparence des procédures, dans les conditions définies dans le présent code.

Ces principes permettent d’assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics ».

Il s’agit du principe de l’égalité de traitement entre les candidats, dont le manquement est soigneusement sanctionné par le juge des référés précontractuels.

A ce titre, le juge administratif vérifie qu’un candidat ne dispose pas d’un avantage concret ou effectif par rapport à ses concurrents [1].

En d’autres termes, au moment de la mise en concurrence, les pouvoirs adjudicateurs doivent communiquer à l’ensemble des candidats les « informations nécessaires à l’établissement d’une offre satisfaisante » [2].

A ce titre, la jurisprudence est largement fournie.

(i) Dans une ordonnance du 29 juin 2009, le tribunal administratif de Paris a jugé, s’agissant du renouvellement d’un marché de nettoyage avec reprise du personnel obligatoire, que cette communication devait comprendre, « non seulement les éléments essentiels et nécessaires à la présentation d’une offre satisfaisante, mais aussi, sous réserve du secret des affaires, les informations privilégiées, seules détenues par les sortants et susceptibles de leur donner un avantage décisif » [3].

De même, le Conseil d’État a confirmé l’analyse du tribunal administratif de Melun [4] selon laquelle le pouvoir adjudicateur porte atteinte au principe d’égalité de traitement des candidats en refusant de produire,

« en les anonymisant, les informations relatives à la charge salariale et en renvoyant leur divulgation à un stade postérieur à la signature du marché, alors que les entreprises sortantes disposaient de renseignements plus précis leur permettant de soumissionner efficacement ».

L’obligation d’information trouve, en tout état de cause, sa limite dans l’interdiction faite au pouvoir adjudicateur de communiquer les renseignements dont la divulgation serait contraire à la loi (tels ceux protégés par le secret commercial et industriel), serait contraire à l’intérêt public, ou pourrait nuire à une concurrence loyale entre les opérateurs économiques [5].

Il ne peut donc pas être exigé du candidat sortant qu’il dévoile, par exemple, les informations relatives à sa situation financière, et à l’organisation et au fonctionnement de l’entreprise [6].

Plus encore, Dans un arrêt du 12 juillet 2019, le Conseil d’État a confirmé l’annulation d’une procédure, certaines informations détenues par le candidat titulaire sortant n’ayant pas été partagées avec les autres candidats.

En l’espèce, la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) avait lancé une procédure d’appel d’offres en vue du renouvellement du programme français de dépistage du cancer colorectal.

Le marché a été attribué à un groupement d’entreprises dont le mandataire est la société Cerba.

Plusieurs sociétés évincées, dont l’entreprise eBioSanté, ont alors saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif (TA) de Paris qui, sur leur demande, a annulé la procédure en cause.

La Cnam et la société Cerba se sont alors pourvues en cassation devant le Conseil d’État, lequel a estimé que si la Cnam avait partagé ces informations privilégiées avec les autres candidats, la société eBioSanté aurait pu obtenir de meilleures notes, voire même remporter le marché [7].

Autre exemple en la matière : la ville de Paris avait soumis aux candidats à l’attribution du lot n° 1 une étude de cas portant sur un bâtiment municipal.

Or, la société Ginger CEBTP, qui s’est finalement vue attribuer le lot, avait déjà réalisé cette étude en qualité d’attributaire d’un précédent marché de la ville de Paris.

Cette société a logiquement obtenu la meilleure note au titre du sous-critère « méthodologie d’exécution » sur lequel portait l’étude de cas.

Le juge a considéré que ce sous-critère avait avantagé la société Ginger CEBTP et rompu l’égalité de traitement entre les candidats et que ce manquement avait bien été de nature à léser la société Sixense engineering et a donc annulé la procédure de passation sur ce motif [8].

Ce principe implique donc que le pouvoir adjudicateur communique les éléments essentiels et nécessaires à la présentation d’une offre satisfaisante mais aussi les informations privilégiées, seules détenues par le candidat sortant, et susceptibles de lui donner un avantage décisif ou de le léser, afin de rétablir l’équilibre entre le candidat sortant et le candidat entrant.

Ces informations peuvent être diffusées sous forme d’une note technique jointe au règlement de consultation.

Il résulte de ce qui précède que le respect du principe d’égalité de traitement des candidats passe par la diffusion d’une information uniforme auprès de l’ensemble des candidats.

Cette obligation de transmission des informations dites « privilégiées » doit être précisée lorsque coexistent des candidats entrants et sortants.

Dans ce cas les informations dites « privilégiées », auxquelles seuls les candidats sortants ont accès, doivent être communiquées aux candidats entrants, faute de manquement aux obligations susvisées.

Ces informations ne peuvent nullement concernées des éléments confidentiels sur la personne même du candidat, mais sont considérées comme privilégiées dès lors qu’elles peuvent avoir une influence sur la qualité des offres remises.

L’analyse des différentes décisions rendues en la matière, dans lesquelles les juridictions administratives ont jugé que ces informations avaient manquées et ainsi qu’il existait une violation des principes de transparence et d’égalité de traitement entre les candidats, permet de définir ce type d’information comme étant celles qui favoriseraient le candidat qui en a connaissance au détriment des autres.

Sarah Bouët, Avocate,
Barreau de Bordeaux
sbouet.avocat chez gmail.com

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[1Voir en ce sens : CE 29 juillet 1998 Société Genicorp, req. n° 177952 : Mentionné aux Tables du Rec. CE.

[2Voir en ce sens : CE, 28 juillet 1999, n° 206749, SA Bouygues et autres.

[3Voir en ce sens : TA de Paris, 29 juin 2009, Société Perfect Nettoyage SA, n° 0909822, Bulletin Juridique des Contrats Publics, 2009, n°66, page 385.

[4TA de Melun, ordonnance n° 1007022/2 du 29 octobre 2010.

[5Article 80-III du Code des marchés publics.

[6Voir en ce sens : CE, 16 mars 2011, Syndicat mixte de traitement des ordures ménagères centre ouest seine et marnais, n°344329.

[7Voir en ce sens : CE, 12 juillet 2019, n°429782.

[8Voir en ce sens : CE 27 avril 2021 Ville de Paris, req. n° 447221 : mentionné aux tables du recueil Lebon.

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