Différé spécifique et indemnité portant sur l’exécution du contrat de travail : la position abusive de France Travail.

Par Xavier Berjot, Avocat.

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Explorer : # indemnités transactionnelles # différé d'indemnisation # exécution du contrat de travail

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Le cadre juridique du différé spécifique d'indemnisation stipule un report de prise en charge suivant la rupture du contrat de travail. Il est limité à certaines indemnités et contesté par une nouvelle interprétation de France Travail, suscitant des inquiétudes quant à sa conformité avec le texte réglementaire.
Description rédigée par l'IA du Village

La circulaire Unédic n°2025-03 du 1er avril 2025 modifie l’interprétation relative au différé spécifique d’indemnisation en intégrant dans son assiette les indemnités transactionnelles portant sur l’exécution du contrat de travail.

Cette position controversée de France Travail semble contrarier non seulement la lettre du règlement général mais aussi la jurisprudence.

-

1. Le cadre juridique du différé spécifique d’indemnisation.

1.1. Principe et fondement légal.

Selon l’article 21 du règlement général annexé à la convention du 15 novembre 2024,

« La prise en charge est reportée à l’expiration d’un différé d’indemnisation spécifique en cas de prise en charge consécutive à une cessation de contrat de travail ayant donné lieu au versement d’indemnités ou de toute autre somme inhérente à cette rupture, quelle que soit leur nature ».

Ce différé correspond à un nombre de jours calendaires égal au nombre entier obtenu en divisant le montant total des indemnités par 107,9 (valeur indexée sur l’évolution du plafond de la sécurité sociale).

Il est plafonné à 150 jours calendaires en général, et à 75 jours en cas de rupture pour motif économique.

1.2. Sommes concernées par le différé.

Le texte est explicite quant aux sommes entrant dans l’assiette du différé :

  • Les indemnités ou toute autre somme "inhérente à cette rupture" ;
  • Dont le montant ou les modalités de calcul ne résultent pas directement de l’application d’une disposition législative ;
  • Qui n’ont pas été allouées par le juge.

Sont donc traditionnellement incluses dans l’assiette : l’indemnité conventionnelle de licenciement (pour sa part supra-légale), l’indemnité de rupture conventionnelle (pour sa part supra-légale), l’indemnité transactionnelle compensant le préjudice lié à la rupture, la contrepartie financière de la clause de non-concurrence, etc.

2. La nouvelle position de France Travail : une extension contestable.

2.1. Le revirement opéré par la circulaire du 1ᵉʳ avril 2025.

La circulaire Unédic n°2025-03 du 1ᵉʳ avril 2025 précise en page 131 que :

« La mention dans la transaction du type ’somme versée du fait de l’exécution du contrat de travail’ ou ’en réparation d’un préjudice né de l’exécution du contrat’ ne saurait permettre d’exclure la somme de l’assiette du différé, dès lors qu’elle n’a pas donné lieu à l’établissement d’un bulletin de salaire ».

Cette nouvelle interprétation marque une rupture avec la position antérieure de l’administration.

La précédente circulaire n°2023-08 du 26 juillet 2023 n’apportait pas une telle précision et semblait respecter la distinction entre indemnités liées à la rupture et celles liées à l’exécution du contrat.

2.2. Une position contraire à la lettre du règlement.

La nouvelle position de France Travail apparaît en contradiction avec la lettre même du règlement général qui limite expressément l’assiette du différé aux sommes "inhérentes à cette rupture".

Or, les indemnités transactionnelles portant exclusivement sur l’exécution du contrat de travail, comme celles réparant un préjudice de santé, un défaut de repos, ou une souffrance au travail, sont par définition distinctes des indemnités de rupture.

3. La jurisprudence antérieure en faveur de l’exclusion du différé.

3.1. Les décisions judiciaires excluant le différé.

Avant la circulaire du 1ᵉʳ avril 2025, la jurisprudence avait clairement validé l’exclusion du différé pour les indemnités transactionnelles portant exclusivement sur l’exécution du contrat.

Dans un jugement du 27 février 2024, le Tribunal judiciaire de Paris avait exclu l’application du différé spécifique sur une indemnité transactionnelle réparant "les préjudices moraux et professionnels [...] subis du fait de l’exécution fautive du contrat de travail" [1].

De même, dans un arrêt du 31 octobre 2007, la Cour de cassation avait jugé que l’indemnité pour jours de réduction du temps de travail non pris n’était pas inhérente à la rupture du contrat de travail et devait donc être exclue de l’assiette de calcul du différé d’indemnisation spécifique [2].

3.2. La possible résistance de la Cour de cassation.

Il est probable que la Cour de cassation ne validerait pas la position adoptée par France Travail si elle était saisie de cette question.

En effet, la haute juridiction a toujours veillé à respecter les distinctions entre les indemnités selon leur nature et leur objet.

Depuis 2018, la jurisprudence a d’ailleurs renforcé la reconnaissance des préjudices liés à l’exécution du contrat, notamment s’agissant du droit au repos et à la santé des salariés [3].

La Cour de cassation pourrait considérer que l’interprétation de France Travail ajoute au texte du règlement général et étend indûment son champ d’application.

4. Les stratégies à adopter face à cette nouvelle interprétation.

4.1. Versement de l’indemnité avant la rupture du contrat.

Pour éviter l’application du différé spécifique d’indemnisation, les parties ont tout intérêt à ce que l’indemnité transactionnelle portant sur l’exécution du contrat soit versée alors que le contrat n’est pas encore rompu.

En effet, le texte du règlement général vise explicitement les sommes versées lors d’une prise en charge consécutive à une cessation de contrat de travail.

Si l’indemnité est versée avant la rupture, elle ne peut logiquement entrer dans cette définition.

Cette stratégie implique la conclusion d’une transaction en cours d’exécution du contrat de travail, ce qui est parfaitement possible juridiquement.

4.2. Contestation judiciaire de la décision de France Travail.

Les salariés soumis à un différé au titre d’une indemnité transactionnelle portant sur l’exécution du contrat peuvent contester cette décision devant le tribunal judiciaire.

Dans ce cas, ils pourront utilement se prévaloir :

  • De la lettre du règlement général qui limite le différé aux sommes "inhérentes à la rupture" ;
  • De la jurisprudence antérieure excluant ces indemnités de l’assiette du différé.

En conclusion, la position adoptée par l’Unédic dans sa circulaire du 1ᵉʳ avril 2025 apparaît comme un non-sens juridique car elle assimile des dommages-intérêts - indemnisant un préjudice totalement déconnecté de la rupture - à une indemnité de rupture soumise au différé spécifique.

Cette interprétation extensive, qui semble motivée par la volonté de limiter des pratiques jugées abusives, dépasse le cadre fixé par le règlement général et méconnaît la distinction fondamentale entre indemnité de rupture et indemnité réparant un préjudice lié à l’exécution du contrat.

Dans l’attente d’une clarification jurisprudentielle ou d’une modification du règlement général, les praticiens devront redoubler de vigilance dans la rédaction des transactions et privilégier, lorsque cela est possible, le versement des indemnités liées à l’exécution avant la rupture du contrat de travail.

Xavier Berjot
Avocat Associé au barreau de Paris
Sancy Avocats
xberjot chez sancy-avocats.com
https://bit.ly/sancy-avocats
LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b

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Notes de l'article:

[1TJ Paris, 1 4 social, 27 févr. 2024, n°23/02638.

[2Cass. soc. 31-10-2007 n° 04-17.096.

[3Cass. civ. 2, 15-3-20218, n° 17-10.325 ; n° 17-11.336.

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