En l’espèce, Rachida Dati a assigné en justice la SOCIETE 12 Bis, éditrice d’une bande dessinée intitulée « Rachida aux noms des pères », dont la sortie était prévue le 25 avril 2013.
Agissant, tant en son nom personnel qu’en sa qualité de représentante de sa fille mineure, sur le fondement des dispositions des articles 9 et 1382 du Code civil, de l’article 16 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, et de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, elle souhaitait obtenir la condamnation de la société pour atteinte à sa vie privée et pour atteinte à la vie privée de son enfant.
A l’appui de sa demande, elle invoquait le fait que le livre n’avait pas pour but de retracer une partie de sa carrière politique mais de traiter un aspect intime de sa vie privée, à savoir la recherche de l’identité du père de sa fille. Outre la présentation par le livre de Madame Dati comme un personnage désinvolte, provocateur, cherchant à instrumentaliser la paternité de son enfant, l’ancienne Ministre de la Justice relevait que des passages mettaient en scène des situations désavantageuses voire humiliantes ou dégradantes pour sa fille.
Quant à la défense de la société 12 Bis, celle-ci invoquait le fait que la bande dessinée était une caricature, autrement dit une œuvre appartenant au genre de la satire politique. Elle rappelle que son propos est de livrer au lecteur, sous le prisme forcément déformant de la satire politique, un regard critique sur certains traits du personnage politique.
La société soutenait, dans son argumentaire, qu’elle n’avait pas porté atteinte à la vie privée des demanderesses au motif que les scènes reprises dans l’ouvrage étaient des événements banals et anodins, révélés et repris par la presse à plusieurs reprises.
Il restait au juge des référés à déterminer si la bande dessinée portait effectivement atteinte à la vie privée de Madame Dati ou si cette atteinte était justifiée par le droit à la liberté d’expression et le droit à la caricature, protégés par l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Il lui incombait donc de déterminer si la limite au droit à la caricature, et plus généralement au droit à la liberté d’expression, que constitue le droit à la vie privée, avait été outrepassée.
Dans le cas présent, les magistrats déboutent Madame Rachida Dati. Ils constatent, après avoir rappelé l‘appartenance de la bande dessinée au genre de la caricature, que l’ouvrage relate des informations notoirement connues du public depuis des années et ne divulgue aucune informations nouvelles.
En sus, ils précisent que l’ouvrage ne livre aucune information concernant l’enfant de la demanderesse ; et quand bien même « celle-ci est présentée sous les traits physiques de sa mère, en réduction, ces caricatures ne visent, en réalité, que sa mère. »
Enfin, le Président du Tribunal de Grande Instance ajoute, concernant les relations de Madame Dati avec les pères « potentiels » de sa fille que :
« la paternité de sa fille est un fait médiatisé depuis la naissance de l’enfant. Il ressort des pièces produites en défense qu’elle a répondu à plusieurs reprises aux sollicitations des journalistes sur la paternité même s’il s’est agi, le plus souvent, pour elle, de préserver l’identité du père. La caricature ne fait donc que reprendre ce qui a déjà été dit dans la presse et y donne un ton humoristique ou sarcastique propre au genre de la bande dessinée, volontairement irrévérencieuse. »
Le Tribunal conclut, au regard de l’ensemble de ces constatations, qu’il n’a été causé aucune atteinte à la vie privée des demanderesses. Cette solution ne saurait être contestée pour plusieurs raisons.
D’une part, concernant la nature de l’ouvrage litigieux, il est admis de façon constante en jurisprudence que la caricature est licite dès lors qu’elle permet d’assurer le plein exercice de la liberté d’expression (pour une illustration : 1ère civ, 13 janvier 1998, D. c/ Société Jag). Dès lors, la demanderesse ne saurait se fonder sur l’atteinte causée à sa vie privée par la bande dessinée, pour avoir exagéré des traits de sa personnalité, dans la mesure où c’est le propos justement visé par l’œuvre satirique.
D’autre part, elle ne saurait invoquer une atteinte à sa vie privée par la reprise d‘éléments et d‘événements intimes dès lors que ces informations avaient déjà été divulguées par elle-même dans les médias. (pour une illustration : 1ère civ, 10 octobre 1995, Mme Li Shu Xian, Veuve de Pu Yi c/ SA Editions Robert Laffont).
En effet, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, dans l’arrêt « Hachette Flipacchi c/ France » du 23 juillet 2009, a précisé que « les révélations antérieures, par une personne, d’informations relatives à sa vie privée est un élément essentiel de l’analyse de l’immixtion reprochée à une société dans certains aspects de la vie privée de cette personne. » La Cour en conclut qu’une fois portées à la connaissance du public par l’intéressé lui-même, les informations cessent d’être secrètes et deviennent librement disponibles, autrement dit librement susceptibles d‘être reprises.
Une fois les informations révélées, la personne ne peut donc plus se prévaloir d’une « espérance légitime » de voir sa vie privée protégée (CEDH, 24 juin 2004, Von Hannover c/ Allemagne).
La Cour de cassation retient la même analyse que la Cour Européenne des Droits de l’Homme sur ce point (Cass. 2ème civ, 3 juin 2004).
En conséquence, en refusant de condamner la société éditrice de l‘œuvre caricaturale au motif que cette dernière n’a révélé aucune autre information que celles déjà divulguées dans la presse, la décision rendue le 24 avril dernier apparaît justifiée.
Cette solution illustre, une nouvelle fois, les difficultés pour les personnes publiques de se prévaloir du droit au respect de leur vie privée, droit protégé à l’article 9 du Code civil et à l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, dès lors que celles-ci exposent elles-mêmes, dans les médias, des éléments de leur vie personnelle.
Les magistrats invitent, au travers de ces décisions, les personnes exposées médiatiquement à contrôler davantage la divulgation dans la presse d‘éléments personnels. A défaut, ils encourent le risque que ces informations soient réutilisées par des tiers sans pouvoir s’y opposer efficacement sur le fondement du droit au respect de leur vie privée.