De cette question préjudicielle, il convient d’appréhender deux questions dont la seconde est déterminée par la première :
1 - un navire utilisé dans l’exploitation de la ZEE ou du plateau continental doit-il être assimilé à une installation au sens de l’article 60 de la convention du droit de la mer ?
2– De la qualification du support de navigation, quel est le champ personnel d’application du règlement CE 1408/71 et par extension du règlement CE 883/2004 ?
Dans cette affaire, il s’agit d’un marin résidant aux Pays-Bas, de nationalité néerlandaise qui a travaillé à bord d’un navire de canalisations battant pavillon panaméen. L’intéressé a ensuite exercé ses activités comme salarié pour une société établie à Rotterdam. Pendant cette période, il a été, en vertu de la législation néerlandaise, obligatoirement affilié, en tant que résident, au régime général d’assurance sociale.
Puis ce marin a exercé ses activités comme salarié d’une entreprise établie en Suisse, période au cours de laquelle l’intéressé a travaillé sur le plateau continental des Etats-Unis, en eaux internationales et enfin sur la partie néerlandaise puis britannique et enfin espagnole du plateau continental.
La contestation devant la Cour de cassation (le Hof) portait sur la question de savoir si l’intéressé, pour ces périodes d’exercice, était redevable de cotisations au régime général d’assurance sociale néerlandais.
Si le Hof a répondu par l’affirmative sur la base du droit national néerlandais (les résidents des Pays-Bas sont obligatoirement affiliés et redevables de cotisations pour les assurances prévues dans ces lois), en cassation l’intéressé fait valoir que le Hiof n’a pas tenu compte de sa thèse principale selon laquelle il n’était pas affilié, pendant la période concernée, au régime d’assurance sociale sur la base du règlement CE 1408/71 du 14 juin 1971.
La CJUE a accueilli ce moyen étant donné que le règlement communautaire est d’application et désigne comme applicable, durant une quelconque période, la législation d’un autre pays que les Pays-Bas (Art. 13§1) et exclut pendant cette période la législation néerlandaise.
Il convient alors de s’interroger d’une part sur le support de navigation (navire ou installation) qui déterminera la législation applicable et d’autre part sur le champ d’application personnel du règlement CE 1408/71
Dans l’analyse de cette affaire préjudicielle C-266/13 dite affaire « KIK », il convient d’élaborer un raisonnement en cohérence avec la position du Conseil constitutionnel qui affirme que le navire n’est pas une portion de territoire.
I – La qualification du navire poseur de canalisation : navire ou installation ?
« Un navire utilisé dans l’exploitation de la ZEE ou du plateau continental doit-il être assimilé à une installation au sens de l’article 60 de la convention du droit de la mer ? Cette interprétation serait périlleuse, l’article 60 se référant clairement à des installations à demeure posées sur le fond ou flottantes (obligations de signalement, possibilité de zone de sécurité autour de l’installation…). L’article 60 pourrait concerner certains engins flottant à statut de navire, mais pas un ’navire navigant’. »
L’assimilation d’un engin flottant utilisé dans l’exploitation de la ZEE ou du plateau continental à un navire et non à une « installation » semble confirmée par la CJUE (affaire C-106/11 du 7 juin 2012). Outre le fait que la Convention sur le droit de la mer ne contient aucune définition de la notion d’installations, la CJUE a rejeté les observations du requérant qui, pour contester l’application de l’article 13 §2 du règlement 1408/71 soutenait que « les dragueurs sur lesquels il exerçait son activité professionnelle n’étaient pas couverts par la notion de navire ». Or la CJUE a estimé qu’ « aucune condition relative au type de navire visé n’est prévue dans cette disposition » du règlement pour écarter les dragueurs du champ des navires concerné. Ces dragueurs étant de plus inscrits au registre néerlandais des navires de mers et détenteurs d’un certificat d’enregistrement.
Dans l’affaire KIK, il faudrait vérifier que le navire utilisé dans l’exploitation de la ZEE ou du plateau dispose ou non d’un certificat d’enregistrement ou est inscrit dans un registre de navires du pays de rattachement. Une certitude déjà, ce navire possède un pavillon : le pavillon panaméen.
Si cet engin implanté dans la zone de droits souverains reconnus aux Etats côtiers (articles 56 et 77 de la convention du droit de la mer), était considéré comme une installation sur le territoire d’un Etat membre, cette situation serait source d’instabilité pour la protection sociale des navigants au regard de la mouvance de cet engin entre les plateaux continentaux de différents pays et, par voie de conséquence, de règles d’affiliation déterminées par le lien du rapport de travail avec le territoire sur lequel il se trouve (CJUE, 17 janvier 2012, affaire Salemink).
Après avoir qualifié le navire utilisé dans l’exploitation de la ZEE ou du plateau continental comme un navire et non une installation, il convient de déterminer la législation applicable en matière de sécurité sociale pour l’exercice des activités à bord de ce navire battant pavillon panaméen.
II – La détermination du champ d’application du règlement 1408/71 et par extension du règlement 883/2004
« Un travailleur résidant dans un Etat membre, dont l’employeur est établi dans un autre Etat membre (La Suisse y étant assimilée), mais dont l’emploi s’exerce sur un navire non communautaire et pour partie sur le plateau continental d’Etats Membres, entre t-il dans le champ d’application personnel du règlement 1408/71 [et 883/2004 désormais] » ?
Si le champ d’application du règlement 1408/71 ne suscite pas de difficultés pour déterminer la législation applicable aux navires naviguant en haute mer (loi du pavillon selon la convention internationale sur le droit de la mer) ou aux navires battant pavillon d’un Etat membre de l’Union Européenne (et Suisse), il en est autrement s’agissant des navires battant pavillon d’un Etat tiers (en l’espèce panaméen) navigant dans les eaux européennes.
Si les activités du navire en eaux européennes (au-dessus du plateau continental des Etats membres en l’espèce les Pays-Bas et le Royaume-Uni) ne peuvent pas être considérées comme des activités sur le territoire desdits Etats membres, il convient de s’interroger sur la législation applicable.
Bien que la jurisprudence concerne le statut de travailleurs salariés européens à terre, la CJUE a examiné dans différents arrêts le champ d’application personnel du règlement 1408/74 qu’il semble envisageable d’étendre à la situation de marins salariés.
En ce sens, la CJUE a énoncé que la seule circonstance que les activités d’un travailleur s’exercent en dehors du territoire de l’Union ne suffit pas pour écarter l’application des règles de l’Union sur la libre circulation des travailleurs, dès lors que le rapport de travail garde un rattachement suffisamment étroit avec le territoire de l’Union. Ce critère de rattachement est à apprécier selon des critères comme le fait que l’activité professionnelle s’exerce sur un navire enregistré dans un Etat membre ou au service d’une entreprise établie dans cet Etat membre (Arrêts Lopes da Veiga ou arrêt Aldewereld).
Sur la base de l’arrêt du 29 juin 1994 (Affaire Aldewereld), il a été démontré qu’un rattachement suffisamment étroit d’un rapport de travail avec le territoire de l’Union Européenne a automatiquement pour conséquence que les dispositions du règlement 1408/71 sont applicables à un travailleur qui a la nationalité d’un Etat membre même s’il exerce ses activités en dehors de ce territoire.
Dans cet alignement, l’arrêt de la CJUE du 7 juin 2012 dit « Bakker », concernant un marin, a clairement énoncé que « le règlement 1408/71 s’oppose à ce qu’une mesure législative d’un Etat membre exclut de l’affiliation au régime de sécurité sociale de cet Etat membre une personne ayant la nationalité dudit Etat membre, mais qui ne réside pas dans celui-ci, et qui est employé sur un dragueur battant pavillon du même Etat membre et déployant ses activités en dehors du territoire de l’Union » (considérant 28).
En conséquence, admettre que le lien du rapport de travail (siège social de l’employeur) avec le territoire de l’Etat membre considéré est suffisamment étroit, permet d’appliquer le règlement 1408/71 et d’assurer une continuité de la protection sociale en évitant une succession de périodes relativement courtes dans lesquelles, à chaque fois, un régime différent serait applicable en matière de sécurité sociale. Pour autant, l’extension de cette position jurisprudentielle aux marins salariés est précaire et il convient d’envisager une seconde solution pour déterminer la législation applicable.
La Convention de Montego Bay ne prive pas un travailleur du bénéfice de la couverture sociale prévue par la loi du pavillon lorsque le navire sur lequel il est embarqué se trouve dans les eaux territoriales d’un Etat membre.
Si la Convention de Montego Bay énonce que l’Etat côtier exerce pleine souveraineté sur sa mer territoriale et une souveraineté limitée pour la ZEE et son plateau continental, l’exercice de cette souveraineté est clairement limitative et ne s’étend pas au contrôle de la législation applicable en matière de protection sociale à bords des navires étrangers.
On peut en déduire au final que la législation sociale applicable en priorité demeure celle du principe de la loi du pavillon à l’instar de celle appliquée en haute mer.
Privilégier l’application de la loi du pavillon permettrait également d’appliquer une couverture sociale stable pour ces gens de mer travaillant sous pavillon étranger et naviguant au dessus du plateau continental des Etats Membres.
Une affaire à suivre...