Les tribunaux allemands et le chocolat Dubaï.
Cet hiver, le « chocolat-Dubaï » avait envahi nos écrans et nos supermarchés.
Créée par Sarah Hamouda, une entrepreneuse britannico-égyptienne, la tablette phare, composée de chocolat fourré de crème de pistache et de fils de pâte kadaïf (autrement appelés cheveux d’ange) croustillants, est fabriquée à la main dans sa manufacture « Fix Dessert Chocolatier » à Dubaï et vendue exclusivement localement par des services de livraison.
L’engouement mondial pour ce chocolat a pris de l’ampleur grâce à un phénomène viral sur TikTok, où une vidéo, avec plus de 98 millions de vues, a clairement captivé l’attention des internautes du monde entier. En Allemagne, la frénésie du « chocolat Dubaï » (Dubaï -Schokolade) a pris les marchés de Noël d’assaut.
Que désigne réellement l’expression « chocolat Dubaï » ? Un chocolat effectivement fabriqué à Dubaï ? Ou simplement une recette devenue virale ? Et cette désignation induit-elle en erreur le consommateur ?
Ce sont à ces questions que les tribunaux allemands ont dû répondre.
Les tribunaux allemands ont d’abord interdit l’usage de l’appellation « chocolat Dubaï » à Cologne, estimant qu’elle induisait le consommateur en erreur sur l’origine géographique. Cependant, à Francfort, le tribunal a jugé que cette dénomination était devenue une désignation générique, ne faisant plus référence à Dubaï. Cologne a finalement révisé sa position, concluant que « chocolat Dubaï » était désormais une désignation générique. Ce revirement illustre l’impact du marketing et des réseaux sociaux dans la redéfinition rapide de termes juridiques.
Le droit allemand et les indications géographiques (« geografische Herkunftsangabe ») : protéger le consommateur de la tromperie (« Irreführung »).
Quiconque utilise dans le commerce une indication de provenance géographique (« geografische Herkunftsangabe ») au sens du § 126 de la loi sur les marques (« MarkenG : Markengesetz ») pour des produits qui ne proviennent pas réellement de la région désignée peut être poursuivi par toute personne habilitée à faire valoir ses droits : concurrents, associations professionnelles, organisations de consommateurs qualifiées, ainsi que les institutions des autres États membres de l’UE inscrites auprès de la Commission Européenne. S’ajoutent les chambres de commerce et d’industrie, ainsi que les syndicats, dans le cadre de la défense des intérêts professionnels.
Celles-ci peuvent se fonder sur le § 8, paragraphe 3 de la loi contre la concurrence déloyale (« UWG : Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb »), si l’utilisation de l’indication géographique est susceptible de tromper le consommateur quant à l’origine réelle du produit.
Tome I : le « chocolat Dubaï » à Cologne, du marketing trompeur.
Les deux premières affaires ont été introduites par la société MBG International Premium Brands GmbH, importateur du « Habibi-Riegel », une confiserie se présentant comme le véritable « chocolat de Dubaï ». Dans deux procédures en référé datant du 20 décembre 2024 et du 6 janvier 2025 [1], MBG attaquait la commercialisation de produits concurrents dont l’emballage comportait des expressions comme « Dubaï Chocolate », « With a touch of Dubai » ou encore « The magic of Dubai ». Le problème : ces chocolats étaient en réalité fabriqués en Turquie, comme mentionné en petits caractères au dos de l’emballage. Pour MBG, les appellations litigieuses « Dubai-Schokolade », « Dubaï Chocolate » et les expressions utilisées sur l’emballage donneraient effectivement l’impression que le produit provient de la région géographique mentionnée de Dubaï. Le tribunal a suivi cette analyse : bien que la mention « Produit en Turquie » figure sur l’emballage, sa faible visibilité ne suffit pas à écarter le risque de confusion. Un autre élément a renforcé l’analyse du tribunal : les produits en cause étaient commercialisés sous les marques « Elit » et « Misket », des marques turques peu connues du consommateur moyen en Allemagne. Ce dernier, n’ayant aucun repère sur la véritable origine de ces marques, pouvait légitimement penser que le chocolat provenait réellement de Dubaï, comme l’indiquait le reste de l’emballage. Cette méconnaissance des marques a donc renforcé le caractère trompeur de la présentation. Les demandes ont été accueillies, et la commercialisation des produits litigieux a été interdite.
Devant ce même tribunal régional, l’importateur allemand Andreas Wilmers, distributeur de chocolats véritablement fabriqués à Dubaï, a obtenu en référé [2], le 6 janvier 2025, l’interdiction de la commercialisation du produit « Alyan Dubaï Handmade Chocolate » vendu par Aldi Süd. Là encore, le chocolat était produit en Turquie mais la dénomination « Alyan Dubaï Handmade Chocolate », placée bien en évidence sur le devant de l’emballage, laissait entendre une réelle provenance de Dubaï. Le tribunal a estimé que cette présentation était de nature à induire le consommateur en erreur et a prononcé l’injonction demandée. Aldi Süd a fait appel à cette décision.
Tome II : le « chocolat Dubaï » à Francfort, du produit géographique à la recette générique.
Les tribunaux allemands s’accordaient donc sur un point : le « chocolat-Dubaï » relevait bien d’une indication de provenance géographique simple, au sens du § 127 I MarkenG. Autrement dit : pour porter ce nom, le chocolat devait venir de Dubaï. Dans le cas contraire, il s’agissait d’un étiquetage trompeur.
Selon le droit allemand des marques, toute indication géographique peut être protégée sauf si elle devient une « désignation générique » (« Gattungsbezeichnung »), au sens du § 126 II MarkenG. Cela se produit lorsque le lien avec l’origine géographique disparaît, au point que le terme n’évoque plus qu’un type de produit ou de recette, sans rattachement territorial. Ce basculement est observé au travers de la perception du consommateur moyen, raisonnablement informé et attentif.
Renversant ainsi la jurisprudence antérieure, le Tribunal de grande instance de Francfort a jugé, contrairement à ses confrères de Cologne, que le « chocolat Dubaï » serait devenu une désignation générique. Dans cette affaire le Tribunal de grande instance de Francfort a donc rejeté la demande en référé concernant l’interdiction de la commercialisation du « chocolat Dubaï » de Lidl [3].
Dans le cas d’espèce, selon le tribunal, ce chocolat est un produit composé de plusieurs ingrédients et l’utilisation du terme « Dubaï » ferait référence à une recette ou méthode de préparation spécifique plutôt qu’à l’origine géographique du produit ou des ingrédients. Les juges ont surtout souligné le fait que le chocolat Dubaï, victime de son propre succès, est devenu une désignation générique désormais associée à la recette du chocolat fourré de crème de pistache et des cheveux d’ange.
Bien que les juges de Francfort s’opposent à l’interprétation du Tribunal régional de Cologne quant à la désignation « Chocolat-Dubai », ils statuent tout de même que le tribunal régional de Cologne a toutefois estimé de manière déterminante et de bon droit que les emballages en question comportaient d’autres éléments indiquant une origine à Dubaï. Il s’agissait notamment de l’utilisation de l’anglais (« Dubai Chocolate »), d’une autre langue étrangère inconnue du consommateur moyen, ainsi que d’une étiquette mentionnant que le produit était importé.
Or, dans le cas présent, ces éléments sont absents, et qu’au contraire, la publicité met en avant une « marque de qualité propre » à la défenderesse, ce qui va à l’encontre de l’idée que le produit serait originaire de Dubaï.
C’est pourquoi, pour les raisons évoquées ci-dessus, la chambre conclut également qu’il n’existe pas non plus de risque de tromperie au sens du §5, paragraphe 1 et paragraphe 2 point 2, numéro 1 de la loi contre la concurrence déloyale (UWG).
Ces paragraphes disposent qu’il est considéré comme agissant de manière déloyale quiconque utilise une pratique commerciale trompeuse, susceptible d’induire en erreur le consommateur ou tout autre acteur économique, et de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement. Cela inclut notamment des informations inexactes ou trompeuses portant sur le motif de la vente, l’existence d’un avantage particulier, le prix, son mode de calcul, ou encore les conditions de livraison des biens ou services.
Tome III : le retour de « Charlie et les chocolatiers » à Cologne.
Aldi Süd a fait appel à la décision du 6 janvier 2025, qui lui avait interdit la commercialisation de son « Alyan Dubai Handmade Chocolate », arguant que la désignation « chocolat Dubaï » est aujourd’hui devenue une désignation générique (« Gattungsbezeichnung »).
Par la décision de la cour, le Tribunal régional de Cologne a révisé sa décision du 21 janvier 2025 [4] en suivant finalement l’opinion des juges de Francfort : selon les juges de Cologne, le consommateur sait désormais que le chocolat de Dubaï est une recette et non un produit fabriqué à Dubaï.
Le demandeur ne s’est pas uniquement fondé sur la loi des marques (MarkenG) mais aussi sur le droit de la concurrence déloyale (UWG), notamment le §5, paragraphe 1 et paragraphe 2 point 2, numéro 1 de la loi contre la concurrence déloyale (UWG).
Seulement l’emballage du chocolat chez Aldi Süd a été jugé qu’il n’était pas non plus conçu de manière à induire le consommateur en erreur. Il n’y avait donc aucune raison de suspecter que le consommateur puisse être induit en erreur. Le contexte du marché a changé : ce chocolat est désormais largement disponible en Allemagne, donc l’impression d’un produit rare et lointain n’est plus actuelle.
« Charlie et les chocolatiers », doivent-ils venir de Dubaï ?
Après tant de réflexions (et quelques allers-retours devant les tribunaux allemands), la réponse est tombée : non.
Le chocolat Dubaï, victime de son propre succès sur les réseaux sociaux, a perdu dans un éclair son statut d’indication géographique simple. Désormais, ce n’est plus qu’un chocolat fourré à la pistache et aux cheveux d’ange sans plus de protection juridique.
La question sous-jacente était donc : une indication géographique peut-elle devenir générique en quelques semaines sous l’effet d’un buzz marketing ?
À l’ère d’Instagram, TikTok et autres plateformes, la réponse semble pencher vers le oui.
Reste à voir si le film « Charlie et les chocolatiers à Dubaï » aura une suite puisqu’il semblerait bien que l’engouement pour le chocolat de Dubaï soit bien loin de s’estomper !