Objets connectés : de la mesure de soi à la mesure des autres.

Par Charles Herzecke, Juriste.

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Explorer : # objets connectés # quantified self # vie privée # assurance

La scène d’ouverture du film The Island, durant laquelle les toilettes indiquent qu’elles détectent un excès de sodium, ne relève aujourd’hui guère de la science fiction mais bien du présent.

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Les objets connectés ont permis l’essor du phénomène du quantified self, autrement dit l’auto-évaluation de soi. Ces appareils équipés de capteurs recueillent des informations telles que le rythme cardiaque, la pression sanguine, le poids, le taux de glycémie, le nombre de pas, le sommeil, etc. Quantifier sa vie sous forme de données pour mieux l’analyser, c’est le credo du quantified self, apparu pour la première fois dans la Silicon Valley en 2007.

C’est dans le domaine de la santé que cet essor est le plus fulgurant : de la montre à la balance connectée, de la brosse à dents à la fourchette qui vibre quand on mange trop vite, etc. D’après les estimations, d’ici à 2018, chaque personne disposera en moyenne de huit objets connectés [1]. Marc Benioff, PDG de Salesforce résume bien cette évolution : « il semble que chaque objet sera tôt ou tard connecté à Internet ».

Certaines wearable technologies à venir vont directement révolutionner la pratique de la santé au quotidien, comme par exemple les lentilles intelligentes (en cours de développement chez Google) capables de mesurer le niveau de glucose de leur porteur, ou encore des écouteurs déterminant la température et le taux d’oxygène dans le sang.

Une autre innovation dans le domaine de la santé est à souligner. Développé par le MIT, Vital-Radio [2], est un système similaire à celui d’un radar, capable, même à travers les murs, d’enregistrer la respiration ainsi que la fréquence cardiaque d’une personne et de les restituer. Le système distingue les humains des objets inanimés par rapport au signal réfléchi par ces derniers. Une autre particularité de ce système consiste à détecter l’état émotionnel des personnes et pourrait ainsi ajuster l’éclairage de la pièce ou proposer de la musique en adéquation avec votre humeur.

Le fait pour un individu de recueillir un maximum d’informations destinées à évaluer l’impact de ses agissements sur sa santé semble être un progrès positif. On peut supposer que ces wearables incitent les individus utilisateurs à prendre leurs responsabilités quant à leur santé. Cependant, certaines interrogations apparaissent au niveau du traitement et de l’utilisation des données issues de ces technologies.

Il existe indéniablement un risque d’atteinte à la vie privée des utilisateurs, et ce d’autant plus que les conditions générales d’utilisation des objets connectés ne sont pas toujours explicites à propos de l’utilisation faite de ces données. A qui appartiennent-elles ? Qui peut les utiliser ? Qui a accès à celles-ci ? Ce sont les réponses à ces questions qui permettront de déterminer le niveau de risque d’atteinte à la vie privée de ces nouveaux appareils.

Le fait que la collecte de données soit généralisée ne se justifie pas toujours. En réalité, cette collecte disproportionnée de données personnelles représente une véritable manne financière, comme en témoigne l’avènement des data brockers (courtiers en données). Ainsi, si certains services en ligne proposent de la musique en streaming à des tarifs très attractifs, c’est parce qu’ils se financent en partie grâce aux données des utilisateurs.

Si les objets connectés semblent déceler un nouveau modèle de santé, cela pourrait aussi préfigurer de nouvelles pratiques dans le monde du travail ou des systèmes d’assurances.

Des entreprises américaines imposent d’ores et déjà à ses salariés des bracelets comptant leurs pas afin d’éviter des pénalités sur le montant des cotisations d’assurance maladie en prouvant que leurs employés font le nécessaire pour rester en bonne santé. Un employé ayant refusé un bracelet connecté a été licencié aux motifs que l’entreprise devait payer à l’assurance un supplément de 50 $ mensuel suite à ce refus. Dans la même veine, la société Biosyntrx poste en ligne la quantité de pas quotidien des employés afin de les motiver en installant une sorte de classement en temps réel du salarié ayant comptabilisé le plus grand nombre de pas [3]. L’année dernière le New York Times (4) expliquait qu’un Big Brother digital faisait son entrée dans le domaine du travail avec l’utilisation d’un outil pouvant être glissé dans le badge d’un employé. Celui-ci peut traquer la localisation d’un employé et ainsi être capable de déterminer qui cet employé rencontre et à quel niveau de sociabilité celui-ci se situe. Les entreprises utilisant ce dispositif ont découvert que les gens les plus sociables déjeunant sur des plus grandes tables étaient de fait plus compétents au service-client.

Concernant le domaine de l’assurance, les objets connectés vont transformer le secteur de l’assurance IARD. En effet, le fait pour l’assureur d’être informé si son client mange bien cinq fruits et légumes par jour, ne mange pas trop gras, a effectivement arrêter de fumer, ne se couche pas trop tard ou pratique régulièrement une activité sportive permet de récolter des informations de grande valeur, l’aidant à maitriser de façon bien plus précise son risque-client.

Une initiative recourant à l’utilisation d’objets connectés a été lancé l’année dernière par l’assureur AXA. Ce dernier a offert un wearable aux 1.000 premières personnes souscrivant à sa mutuelle santé. Les personnes ayant réalisé plus de 7.000 pas par jour se voyaient offrir des chèques cadeaux pour de la médecine douce. Si les données récoltées par les appareils de mesure d’activité ont été communiquées à l’assureur seulement durant la période du jeu, cet événement illustre l’attrait que peut avoir les données récoltées par les objets connectés pour les compagnies d’assurance et l’interconnexion pouvant se produire.

Si chacun est responsable pour sa propre santé, et que les objets connectés nous aident à y prendre conscience et agir dans le bon sens, il serait à l’avenir préoccupant que ceux-ci se systématisent dans ces domaines et soient un préalable à toutes demandes d’assurance, de crédit ou de travail. Bien sûr, il peut être rétorqué qu’il suffirait simplement à tout utilisateur des objets de contrôler et d’empêcher le partage de ses données. Cependant, le fait pour un utilisateur de refuser de partager ses données pourrait sembler suspect. Si un assureur accorde un rabais aux assurés acceptant de partager leurs données d’activité, l’utilisateur voulant assurer la confidentialité de ses données se retrouverait face à un dilemme. Et si maintenant montrer patte blanche rimait avec le partage de ses données ?

Sans vouloir dresser un tableau inquiétant de l’avenir des objets connectés, et plus précisément du quantified self, il est surtout important de se demander à qui profiterait le plus l’utilisation massive de ses objets. Si la réponse souhaitable est bien entendu aux utilisateurs désirant en savoir plus sur leur santé, il serait rassurant d’en être convaincu. Si dans le cas contraire, les principaux bénéficiaires ne s’avèrent pas être les utilisateurs eux-mêmes, le roman d’anticipation de Bernard Mourad [4] décrivant l’introduction en bourse des humains sous forme de « Sociétés-Personnes », valorisés et analysés par des experts, faisant appel aux marchés pour financer leurs ambitions, ne semblerait pas décrire un futur si lointain.

[1] Stéphanie de SILGUY, les objets connectés, un risque pour la protection de nos données personnelles

[2] http://siliconangle.com/blog/2015/04/23/vital-radio-will-monitor-your-heart-rate-and-breathing-through-your-wi-fi-router/

[3] http://information.tv5monde.com/info/technologies-de-la-mesure-de-soi-un-marche-inquiteant-29509

[4] http://www.editions-jclattes.fr/livre-les-actifs-corporels-bernard-mourad-222985

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