Il est certain que la servitude ne peut pas exister lorsque les deux fonds sont la propriété de la même personne, parce qu’on ne peut pas se devoir une servitude à soi-même nulli enim res sua servit (D. 8.2.26, Paul). Aussi, il est entendu qu’une servitude existante s’éteint par confusion lorsque la propriété des fonds servant et dominant se trouve réunie. Le Code civil parle d’une réunion des deux fonds « dans la même main » (art. 705).
Lorsque l’un des deux propriétaires a également l’usufruit du fonds, soit servant, soit dominant, la réponse est que la servitude existe toujours, entre le plein propriétaire et le nu-propriétaire ; quoique l’usufruitier puisse n’avoir pas à exercer la servitude, il la conserve pour le nu-propriétaire : fructuarius, licet suo nomine (D. 8.6.21 : Paul, Sentences, 5). Le cas était ainsi résolu en droit romain, selon ce qu’en avait décidé Paul : ususfructus in alterutris praediis adquiritus non interrunipit servitutem (D. 8.30.1 : Paul, ad Sabinum, 15).
La solution est cohérente puisque entre un nu-propriétaire et un usufruitier le droit romain décidait encore que c’était le premier qui supportait la charge de la servitude (D. 8.2.1.1). La servitude existe en quelque sorte seulement pour partie, c’est-à-dire seulement pour la nue-propriété. Zénati, sur ce cas, écrit que « la situation n’est pas incompatible avec la survie de la servitude, car la dualité de fonds et de propriétaire perdure. Bien qu’inutilisée par l’usufruitier, la servitude demeure et pourra de nouveau être exercée par le propriétaire du fonds dominant après l’extinction de l’usufruit » (Frédéric Zénati, Extinction des servitudes par confusion, in RTD Civ. 1997, p. 460).
Par conséquent le cessionnaire de la nue-propriété peut fort bien constituer une servitude.
Précisons que dans le cas inverse d’un propriétaire qui aurait également la nue-propriété de l’autre fonds, soit servant, soit dominant, l’usufruit étant réservé à un tiers, la servitude s’éteindrait. La Cour de cassation, dans une décision en date du 17 avril 1996 a décidé au contraire qu’il n’y aurait pas confusion et que la servitude perdurait en quelque sorte entre les deux usufruitiers au motif que « l’extinction des servitudes par confusion impose la réunion dans la même main de la pleine propriété des deux fonds ». La mention de la pleine propriété est un ajout qui n’est pas dans la loi. Zénati critique avec raison cette décision et sans souscrire à sa théorie de l’obligation il faut dire avec lui qu’en effet l’usufruitier n’est pas un propriétaire et qu’à cet égard la théorie du démembrement est trompeuse.