ASL, AFUL et lotissements : cinq années de jurisprudence (2ème partie : 2019).

Par Jérôme Nalet, Avocat.

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Cet article est le deuxième d’une série de cinq, tous consacrés à la jurisprudence récente de la Cour de Cassation en matière d’ASL, d’AFUL et de lotissements. Il traite des arrêts notables pour l’année 2019.

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En examinant l’actualité de la Cour de Cassation pour l’année 2019, j’ai écarté les arrêts qui ne me paraissaient pas dignes d’intérêt. Ainsi, par exemple, plusieurs décisions concernaient des ASL ou des AFUL créées pour les besoins d’une défiscalisation dite « loi Malraux », en litige avec leurs organismes bancaires.

Le premier arrêt important (3ème chambre civile, n°17-26490, 17 janvier 2019) concerne justement la loi Malraux. Comme souvent, la responsabilité du Notaire est recherchée. L’originalité de cette décision tient à ce que, au-delà d’un manquement à son devoir d’information et de conseil à propos des risques attachés à l’opération de construction et au mécanisme de défiscalisation, il était soutenu l’irrégularité de la constitution même de l’AFUL. Le raisonnement semblait globalement le suivant : si le caractère irrégulier de la constitution de l’AFUL était apparu en temps utile, cela aurait empêché le versement des fonds, donc la survenance de différents préjudices. Ce raisonnement est intéressant, mais quelque peu artificiel. Le pourvoi est donc rejeté au motif « qu’aucune des pièces produites aux débats ne démontrait que, si les acquéreurs avaient été plus amplement informés sur les contraintes de l’opération et les règles de fonctionnement de l’AFUL, ils auraient renoncé à contracter (…) ».

L’arrêt rendu le 14 février 2019 sous le n°17-27081, toujours par la 3ème chambre civile, ne nous retiendra pas longtemps. Il présente simplement l’intérêt de rappeler que la loi du 10 juillet 1965 n’est pas applicable à un lotissement, même si l’entité en question n’était pas une association syndicale libre, pas davantage un syndicat de copropriétaires, mais un « syndicat doté de la personnalité civile » (formulation qui, il est vrai, induit un flou juridique certain).

A la même date et dans un autre cas d’espèce (3ème chambre civile, n°18-10601), est repris un refrain désormais bien connu et dont la loi ELAN a tiré les conséquences : « (…) le cahier des charges d’un lotissement, quelle que soit sa date, approuvé ou non, constitue un document contractuel dont les clauses engagent les colotis entre eux pour toutes les stipulations qui y sont contenues (…) ».

Le 7 mars 2019 (3ème chambre civile, n°18-10151), il est question d’un échange de parcelles entre deux syndicats de copropriétaires, dont on comprend qu’ils sont eux-mêmes intégrés à un lotissement et que cet échange de parcelles avait été prévu dans les actes par le lotisseur avant même leurs constitutions. Le fait de leur imposer un tel échange en amont ne fait pas difficulté juridiquement. En revanche, les actes initiaux prévoyaient que l’échange était subordonné à la modification de l’arrêté préfectoral ayant autorisé le lotissement selon les modalités alors prévues par l’article L315-3 du Code de l’Urbanisme. La cour d’Appel a estimé que cette condition n’était plus de nature à constituer un obstacle compte tenu de l’abrogation de l’article L315-3. Tel n’est pas l’avis de la Cour de Cassation, qui rappelle que ce texte a été remplacé par l’article L442-10 du même code. La modification de l’arrêté préfectoral par l’autorité compétente, condition fixée contractuellement, aurait donc bien dû être effectuée avant l’échange des parcelles.

Une fois n’est pas coutume, je mentionnerai ensuite un arrêt de la chambre criminelle (19 mars 2019, n°17-86844). Il fournit l’illustration de l’application d’un règlement de lotissement en matière pénale et rappelle donc que, durant dix ans et jusqu’à sa caducité, il contient des règles d’urbanisme qui doivent être respectées au même titre que les dispositions du Code de l’Urbanisme et le PLU en vigueur sur la Commune considérée (durant cette période, ces règles sont donc doublement contraignantes, sur le plan civil et sur le plan administratif).

Un arrêt assez important a été rendu par la 3ème chambre civile le 21 mars 2019 (n°18-11424). Il a d’ailleurs été publié au Bulletin. La Cour de Cassation y précise que la faculté de demander le maintien du règlement de lotissement (offerte, avant la loi ALUR du 24 mars 2014, par l’article L442-9 du Code de l’Urbanisme) ne suffit pas à caractériser la volonté des colotis de contractualiser les règles qu’il contient. Cette demande de maintien n’est plus possible depuis l’entrée en vigueur de la loi ALUR. Mais il est ainsi confirmé que les demandes de maintien effectuées antérieurement, qui sont de nature administrative, n’ont aucune incidence sur la problématique civile de la contractualisation du règlement de lotissement.

Autre arrêt rendu par la même chambre à la même date : le n°17-31271. Il est de moindre importance. Le Juge de proximité (qui aujourd’hui n’existe plus) est sanctionné au motif qu’il s’est contenté de vérifier le bon accomplissement des formalités de déclaration en Préfecture et de publication au Journal Officiel pour dire recevable l’action d’une ASL, alors que le défendeur soulevait un moyen relatif aux formalités de constitution de l’Association. Or, les deux questions sont juridiquement bien distinctes :

  • le défaut d’accomplissement des formalités de déclaration et de publication ne prive pas une ASL ou une AFUL de sa personnalité morale, l’empêchant simplement d’effectuer les actes les plus graves de sa vie civile (dont l’action en justice)
  • en revanche, si une ASL ou une AFUL a été constitué de façon irrégulière, c’est son existence même qui est en cause.

L’abus du droit de défendre en justice contre une Association Syndicale Libre existe-t-il ? Oui. Et la décision rendue le 18 avril 2019 (3ème chambre civile, n°17-26599) l’illustre de façon assez cocasse. Une SCI, poursuivie par son ASL en recouvrement de charges, soulève en défense un certain nombre de moyens, lesquels sont rejetés. Elle est donc condamnée à régler ces charges. Après une tentative d’exécution infructueuse, l’Association agit contre l’associé unique de la SCI. En défense, celui-ci reprend les mêmes moyens, ainsi que d’autres, qualifiés selon les cas de « dilatoires ou spécieux » (il était en particulier invoqué, mais sans en justifier, l’existence d’autres associés de la SCI). La condamnation prononcée par la cour d’Appel, en réparation du préjudice causé à l’ASL par « son abus du droit d’exercer les voies de recours » est donc légalement justifiée, selon la Cour de Cassation. Il peut donc y avoir un abus de se défendre contre une ASL ou une AFUL, bien qu’à des conditions extrêmement spécifiques.

La question de la contractualisation du règlement de lotissement a de nouveau été abordée le 16 mai 2019 (3ème chambre civile, n°18-12899). Elle est cette fois-ci retenue, la Cour de Cassation validant la position des juges d’appel, au motif notamment que l’acte de vente litigieux faisait « expressément état du caractère contractuel du règlement de lotissement (…) ».

Nous terminerons le semestre par trois arrêts rendus par la même chambre le 27 juin 2019, tous publiés au Bulletin.

Les deux premiers, portant les n°17-28871 et 17-28872, concernent le même litige (et, encore une fois, le processus de défiscalisation dit « loi Malraux »). Je ne m’y attarderai pas, leur publication au Bulletin étant liée à des questions fiscales, de responsabilité ou d’assurance, étrangères à mon propos. Tout au plus relèverai-je au passage que, selon ces deux décisions, les statuts d’une ASL ou d’une AFUL peuvent prévoir la désignation d’un directeur en dehors de ses membres.

Le troisième (n°18-14003) concerne les membres d’une ASL qui, mécontents d’une modification du cahier des charges aboutissant notamment à réduire la largeur de la voie privée desservant leur lotissement, ont souhaité la contester. Première question posée : un cahier des charges contenant des « dispositions déclarées perpétuelles » peut-il évoluer autrement que par le biais d’une décision unanime ? Assez logiquement, la Cour de Cassation répond par la négative après avoir vérifié :

  • d’une part, que les statuts (qui, eux, avaient été adoptés à l’unanimité) prévoyaient bien la possibilité de modifier « les pièces du lotissement » à la majorité de l’article L315-3 du Code de l’Urbanisme, dont nous avons parlé plus haut
  • d’autre part, qu’il entrait bien dans l’objet de l’ASL de réduire la largeur de la voie.

Deuxième question posée : une mention, dans les statuts d’une ASL ou d’une AFUL, de l’article L315-3 du Code de l’Urbanisme (désormais son article L442-10) impose-t-elle de s’adresser à l’autorité compétente pour que le cahier des charges soit modifié ? Évidemment non : le cahier des charges, document de nature civile, peut être modifié sans en référer à l’Administration.

Les colotis concernés ayant fait flèche de tout bois, deux autres moyens sont examinés, qui nous permettent d’apprendre que :

  • pour que soit reconnu un abus de majorité en la matière, il faudrait à la fois démontrer « l’existence de manœuvres tendant à utiliser la majorité dans un intérêt autre que l’intérêt collectif » et justifier d’un préjudice personnel
  • une résolution prévoyant la publication des statuts n’est pas une « formalité substantielle conditionnant la constitution de l’association ».

Nous commencerons le second semestre par un arrêt en date du 11 juillet 2019 (Cass. 3ème civ., n°18-20304), qui souligne que la constitution d’une Association Syndicale Libre ne saurait être liée à ses seuls statuts. S’ils n’ont pas été adoptés, cela la prive uniquement de sa personnalité morale (ne remettant pas totalement en cause son existence juridique), sans qu’il y ait lieu de distinguer si elle régit un lotissement ou un autre ensemble immobilier (distinction pour le moins étrange, pourtant opérée par les juges d’appel).

Continuons avec un arrêt du 19 septembre 2019 (n°18-18272), dans lequel la 3ème chambre civile de la Cour de Cassation rappelle que, pour qu’un règlement de lotissement soit contractualisé (c’est-à-dire, pour qu’il devienne un document contractuel de droit civil, ayant force obligatoire entre les membres du lotissement, échappant ainsi à la caducité qui frappe ce type de documents dans les 10 ans de l’arrêté de lotir), encore faut-il que « l’existence d’une volonté non équivoque des colotis de donner un caractère contractuel aux dispositions du règlement de lotissement » soit caractérisée. Tel n’était pas le cas, dans l’espèce traitée par l’arrêt, qui casse donc une décision prise par la Cour d’Appel de Montpellier.

À la même date, la même chambre (arrêt n°18-19521) se prononce sur la problématique suivante : une commune peut-elle céder, à bâtir, une parcelle que le cahier des charges du lotissement mentionne comme « zone de verdure à créer » ? Pour la Cour d’Appel de Rennes, cette seule mention était insuffisante à conférer à la parcelle concernée la qualité de partie commune du lotissement. Tel n’est pas l’avis de la Cour de Cassation, qui la sanctionne, en lui reprochant de n’avoir pas recherché « comme il le lui était demandé, si le plan du lotissement n’avait pas une valeur contractuelle et si la qualification de zone de verdure n’interdisait pas à la commune, en sa qualité de lotisseur et de coloti, de vendre la parcelle en vue d’y édifier les constructions ».

L’arrêt rendu le 7 novembre 2019 (Cass. 3ème civ., n°18-21705) constitue en quelque sorte l’illustration exactement inverse de celui du 19 septembre, relatif au règlement de lotissement. L’arrêt de la Cour d’Appel de Montpellier (encore elle) soumis à sa censure avait retenu que « selon l’article L442-9 du Code de l’urbanisme, la possible contractualisation des règles d’urbanisme se limitait aux seules règles insérées dans le cahier des charges ». Non, lui répond la Cour de Cassation, indiquant « que les colotis peuvent, par une manifestation non équivoque de volonté, conférer une valeur contractuelle aux dispositions contenues dans le règlement de lotissement ».

Écartant d’autres arrêts qui ne me paraissent pas dignes d’intérêt, je terminerai l’année 2019 par une décision rendue le 14 novembre 2019 (Cass. 3ème civ., n°18-22739). Elle rappelle que ce sont les statuts d’une ASL ou d’une AFUL, et eux seuls, qui régissent son fonctionnement. Une condition qui n’y serait pas mentionnée ne saurait fonder l’annulation d’une décision prise par l’Assemblée Générale.

Jérôme Nalet
Droit Immobilier
Barreau de Versailles
Avocat Associé au sein de la Selarl Feugas Avocats
http://www.nalet-avocat.com/
http://www.feugas-avocats.com/

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