Une femme dépose plainte contre son compagnon en l’accusant de lui avoir délibérément transmis le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) au cours de relations sexuelles non protégées.
Une information judiciaire est alors ouverte sur ces faits.
A l’issue de celle-ci, l’homme est renvoyé devant le tribunal correctionnel pour répondre du chef d’administration de substance nuisible ayant entrainé une infirmité permanente ; une qualification contestée par le prévenu.
En effet, pour lui, l’élément moral exigé pour tout délit n’existe pas en l’espèce ou, plus exactement, l’intention de transmettre le VIH n’est pas établie dans cette affaire et, partant de là, il ne peut être poursuivi pour avoir volontairement administré une substance nuisible. Il considère même que les juges doivent rechercher s’il n’aurait pas dénié sa séropositivité au point de perdre toute conscience des risques qu’il pouvait faire courir à sa partenaire.
Il soutient également que, à supposer que la qualification délictuelle litigieuse soit retenue,la répression ne peut se fonder sur l’existence d’un infirmité permanente.
Il se justifie en affirmant que l’état des données actuelles de la science laisse subsister une inconnue sur l’évolution et la permanence de la séropositivité au VIH et que donc il n’y a pas de caractère définitif avéré et pas d’infirmité permanente.
Suivant ce raisonnement jusqu’au bout, il ajoute que, si une sanction doit être prononcée à son encontre, les conséquences des faits ne sont qu’une incapacité de travail inférieure à huit jours voire une absence d’incapacité de travail.
Ainsi, les dispositions de l’article 222-9 du code pénal aggravant la répression en cas d’infirmité permanente ne sauraient avoir vocation à s’appliquer en l’espèce mais uniquement celles prévues à l’article 222-13 du même code.
Les juges du tribunal correctionnel et de la la cour d’appel ayant eu à statuer sur cette affaire rejette totalement cette argumentation.
Concernant le premier point, ils notent que le prévenu avait connaissance de sa contamination déjà ancienne pour laquelle il devait d’ailleurs suivre un traitement, qu’il ne conteste pas avoir omis d’en informer sa compagne tout en reconnaissant avoir été parfaitement conscient des risques de transmission du virus et de la nécessité d’une protection durant les relations sexuelles.
Ils en déduisent alors "qu’en acceptant ou sollicitant dans ces conditions des rapports sexuels non protégés, [il] ne pouvait ignorer les risques de contamination associés à ce comportement ; qu’ainsi, en tout connaissance de cause, taisant sa séropositivité, il a volontairement fait courir à [sa compagne] un risque gravissime pour sa santé et sa vie"
Pour ce qui est du deuxième grief, les juges se basent également sur l’état des connaissances de la science et de la médecine mais pour conclure à l’existence d’un "caractère irréversible" et que "cette contamination est suivie d’une réplication du virus, laquelle entraîne la destruction d’une très grande quantité de lymphocytes, selon plusieurs phases et que seuls les traitements antirétroviraux sont susceptibles de retarder l’évolution de la contamination".
Ils prennent en compte de manière très détaillée le rapport de l’expert et notamment le fait qu’un traitement est devenu indispensable et concluent qu’il existe "une grave affection virale générant une atteinte définitive de l’ensemble de son organisme et constitutive d’une infirmité permanente au sens des dispositions de l’article 222-9 du code pénal."
La Cour de cassation approuve cette solution dans un arrêt du 5 octobre 2010.
A cela, rien d’étonnant ; une simple confirmation de sa position sur ce sujet adoptée dans une décision du 10 janvier 2006 où elle avait condamné sur le même fondement un individu qui, bien que se sachant porteur du virus, a "multiplié les relations sexuelles non protégées avec plusieurs jeunes femmes auxquelles il dissimulait volontairement son état de santé, et a ainsi contaminé par voie sexuelle les deux plaignantes, désormais porteuses d’une affection virale constituant une infirmité permanente" ; le prévenu développait l’idée qu’il ne s’agissait que d’une simple prise de risque.
Il ressort de la position prise par la chambre criminelle que le virus du sida ne serait pas mortel par nature. Il s’agirait simplement d’une substance nuisible ayant pour effet de provoquer une infirmité permanente de la personne contaminée, cette infirmité résultant du caractère incurable de la maladie.
Cette analyse a très vite fait l’objet de nombreuses critiques en raison surtout de l’aspect "choquant" de considérer que le virus du sida n’est pas de nature à donner la mort alors que bon nombre de ses victimes en meurent.
La qualification d’empoisonnement serait-elle alors plus appropriée ?
C’est en tout cas ce que souhaitait certains sénateurs lors de la discussion parlementaire sur le nouveau code pénal et les premières décisions rendues sur cette question sont allées dans ce sens.
Toutefois, notamment en raison de la jurisprudence développée lors de l’affaire du sang contaminé, cette théorie séduisante devient difficilement applicable puisque, outre la nature mortelle de la substance, l’intention de donner la mort doit être établie comme le rappelle la Cour de cassation dans un arrêt du 2 juillet 1998.
Le recours à la notion de mise en danger d’autrui n’est pas plus fructueux en l’absence de loi ou de règlement imposant en ce domaine une obligation particulière de sécurité ou de prudence.
[...]
Dès lors, il convient peut-être seulement de se rendre à l’évidence et de constater qu’aucune incrimination n’est parfaitement adaptée actuellement pour réprimer effectivement ce genre d’agissements.
Et si la vraie solution se trouvait dans l’intervention législative créant une qualification autonome comme cela est déjà le cas dans d’autres pays... ?
Thomas CAUSSAINT