Délivrer un congé pour travaux en période de tension locative : que peut-il se passer ?

Par Camille Ghesquiere, Avocat.

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Explorer : # congé pour travaux # validité du congé # procédure d'expulsion # tension locative

Ce que vous allez lire ici :

Il est possible pour un propriétaire de donner congé à son/ses locataire(s) en vue de rénover le logement. En cas de maintien d'un locataire après le préavis, une expulsion peut être demandée. Le locataire peut contester la validité du congé ou demander un délai pour quitter les lieux. Le juge tient compte des circonstances personnelles et des efforts de relogement pour accorder des délais, généralement entre trois et douze mois.
Description rédigée par l'IA du Village

Vous souhaitez donner congé à vos locataires en vue de rénover leur logement, notamment pour des motifs tenant à la performance énergétique, et vous vous inquiétez de la conciliation de cet objectif avec la tension locative actuelle ? Que peut-il se passer si le locataire se maintient dans les lieux à l’issue du délai de préavis ?

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Sachez qu’en cas de maintien dans les lieux à l’issue du préavis, vous serez probablement contraint d’engager une procédure d’expulsion. A cette occasion, il sera constaté que le locataire est déchu de son droit d’occuper les lieux depuis l’expiration du délai de préavis, ce qui fonde votre demande.

En défense, le locataire, ne parvenant pas à se reloger, pourrait éventuellement contester la validité du congé que vous lui avez délivré. Il pourrait également solliciter du juge l’octroi de délais pour quitter les lieux.

I- Une potentielle contestation de la validité du congé pour se maintenir dans les lieux.

La fin justifie les moyens. Et pour se maintenir dans le logement, l’argument le plus efficace pour le locataire serait de soutenir que le congé est nul. S’il convainc le juge sur ce point, ce dernier en tirera les conséquences en constatant que le bail a été reconduit à date anniversaire pour une nouvelle période de trois ou six années, selon les cas.

Pour illustration : « Il convient en conséquence de déclarer le congé nul. Le bail a donc été reconduit tacitement le 1ᵉʳ mars 2023 pour trois ans, soit jusqu’au 28 février 2026 inclus » [1].

Il convient donc, en amont, de vous assurer du respect des conditions prévues par la loi pour la validité du congé.

A cet égard, l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989, relatif aux locations nues, prévoit trois motifs qui permettent au bailleur de donner congé à son locataire :

  • La reprise du logement pour y habiter personnellement ou le faire habiter par un proche expressément désigné par la loi (le conjoint, le partenaire auquel le bailleur est lié par un PACS, son concubin notoire depuis au moins un an, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint, de son partenaire ou de son concubin notoire) ;
  • La vente du logement ;
  • Un motif légitime et sérieux, qui peut être, par exemple, la rénovation du bâtiment nécessitant la libération des lieux [2].

Sur ce dernier point, la Cour d’appel de Paris a rappelé que les travaux de rénovation rendant incompatible le maintien des locataires dans le logement constituent un motif légitime et sérieux pour leur délivrer congé :

« Considérant qu’il n’est pas contesté que la nécessité d’effectuer des travaux de rénovation d’un logement, travaux incompatibles avec l’occupation de celui-ci, caractérise un motif légitime et sérieux au sens de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989 » [3].

S’agissant du congé pour travaux, il ressort également de la jurisprudence que le motif légitime et sérieux s’apprécie au jour de sa délivrance, de sorte qu’est nul le congé délivré avant la réalisation d’études de faisabilité et l’obtention d’un permis de démolir [4].

La Cour d’appel de Paris, quant à elle, a pu considérer que la réalisation de diagnostics techniques préalablement à la délivrance du congé, détaillant de manière précise les travaux à réaliser, ce dont il ressortait que les travaux exigeaient la libération des lieux, suffisait à rendre valide le congé. Dans ce cas d’espèce, il convient de préciser que les diagnostics faisaient apparaître, outre la nécessité d’améliorer la performance énergétique, des anomalies affectant l’installation électrique et l’installation de gaz, dont l’une présentait un risque grave ; anomalies qui ont à l’évidence conduit à apprécier la validité du congé [5].

La Cour d’appel de Bordeaux a récemment validé un congé pour travaux en raison d’éléments antérieurs à sa délivrance attestant de son caractère légitime et sérieux, à savoir :

  • Une proposition d’honoraires signée et des plans de géomètre-expert ;
  • L’estimation complète du montant des travaux ;
  • Trois devis ;
  • Une note de synthèse émanant d’un cabinet d’architecte constituant une estimation des travaux, comprenant notamment l’amélioration de la performance énergétique des logements.

La cour a validé ce congé car les documents faisaient également apparaître l’impossibilité pour les locataires de se maintenir dans les lieux lors de la réalisation des travaux, en raison notamment de la dépose des radiateurs et sanitaires ainsi que de la démolition des revêtements muraux [6].

Pour conclure, le congé pour motif légitime et sérieux délivré en vue de la réalisation de lourds travaux de rénovation tels que l’amélioration de la performance énergétique suppose, pour être valide, de :

  • Nécessiter la libération du logement par les locataires ;
  • Connaître suffisamment, au jour de la délivrance du congé, le détail des travaux à réaliser pour vérifier la première condition.

II- Sur la possibilité pour le locataire de solliciter un délai pour quitter le logement.

Tension locative oblige, le locataire qui s’est maintenu dans le logement à l’expiration du congé pourra, lors de l’instance tendant à obtenir son expulsion, demander au juge un délai pour quitter celui-ci.

En effet, l’article L412-3 du Code des procédures civiles d’exécutions permet à l’occupant d’un logement, dont l’expulsion est demandée, de solliciter du juge l’octroi de délais pour se reloger, à condition que ce relogement ne puisse se faire dans des conditions normales :

« Le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales.
Le juge qui ordonne l’expulsion peut accorder les mêmes délais, dans les mêmes conditions
 ».

Le juge pourra alors lui accorder un délai compris entre trois et douze mois, ainsi que le prévoit l’article L412-4 du Code des procédures civiles d’exécution :

« La durée des délais prévus à l’article L412-3 ne peut, en aucun cas, être inférieure à un mois ni supérieure à un an ».

A cette occasion, le juge tient compte, notamment, des situations respectives du propriétaire et du locataire, du respect par ce dernier de ses obligations ainsi que des démarches qu’il a entreprises en vue de son relogement, comme le prévoit l’article précité :

« Pour la fixation de ces délais, il est tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l’occupant, notamment en ce qui concerne l’âge, l’état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d’eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l’occupant justifie avoir faites en vue de son relogement. Il est également tenu compte du droit à un logement décent et indépendant, des délais liés aux recours engagés selon les modalités prévues aux articles L441-2-3 et L441-2-3-1 du Code de la construction et de l’habitation et du délai prévisible de relogement des intéressés » [7].

III- La charge de la preuve des conditions anormales de relogement incombe au locataire.

Celui-ci est ainsi débouté de sa demande de délais pour quitter le logement s’il n’apporte aucun élément permettant de démontrer que son relogement ne peut avoir lieu dans des conditions normales :

« En conséquence, M. [T] [L] ne démontre pas en quoi son relogement ne peut avoir lieu dans des conditions normales.
Dès lors, aucune circonstance ne justifie d’octroyer à M. [T] [L] des délais renouvelables en application de l’article L412-3 du Code des procédures civiles d’exécution précité.
Ses demandes tendant à lui accorder un délai de trois mois et un délai renouvelable de six mois seront donc rejetées
 » [8].

Quelques exemples de situations dans lesquelles des délais pour quitter le logement ont été accordés au locataire à l’expiration du congé :

  • Un locataire s’est vu accorder un délai de six mois pour quitter son logement, notamment en raison de l’absence de retard dans le paiement de son loyer et de démarches (infructueuses) réelles entreprises en vue de son relogement, tant dans le parc social que dans le parc privé [9].
  • De même qu’un locataire s’est vu accorder un délai de douze mois pour quitter les lieux après avoir justifié de démarches en vue de son relogement, en produisant : une demande de logement social valide, une décision de la commission de médiation reconnaissant son droit opposable au logement et une décision du tribunal administratif enjoignant au Préfet d’assurer son relogement [10].

Il convient toutefois de remarquer que le juge tient compte des délais de procédure pour décider ou non d’accorder au locataire un délai pour quitter le logement :

« Monsieur [F] [V] sollicite des délais pour quitter les lieux.
Compte tenu de la durée de la procédure, il a toutefois d’ores et déjà disposé de larges délais pour organiser son départ des lieux depuis le 1ᵉʳ janvier 2023 et il n’y a pas lieu de faire droit à sa demande de délais supplémentaires
 » [11].

En conclusion, la tension locative actuelle pourrait conduire les locataires à se maintenir dans le logement à l’issue du congé et contraindre le bailleur à engager une procédure d’expulsion, ce qui aurait nécessairement pour conséquence de conduire à retarder le projet de travaux de rénovation.

Camille Ghesquiere, Avocat
Barreau de Lille
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Notes de l'article:

[1Tribunal judiciaire de Paris, 8 juillet 2024, n°23/03723.

[2Cour de cassation, Troisième chambre civile, 7 févr. 1996, n° 94-14.339.

[3Cour d’appel de Paris, 17 janvier 2023, 20/06883.

[4Cour de cassation, Troisième chambre civile, 18 décembre 2012, n°11-23.803.

[5Cour d’appel de Paris, 17 janvier 2023, n°20/06883.

[6Cour d’appel de Bordeaux, 6 janvier 2025, n°22/05642.

[7Art. L412-4 CPCE.

[8Tribunal judiciaire de Bordeaux, 11 mars 2024, n°23/02137.

[9Tribunal Judiciaire de Paris, 18 décembre 2023, n°23/07158.

[10Tribunal Judiciaire de Paris, 19 juin 2024, n°23/06680.

[11Tribunal judiciaire de Paris, 18 décembre 2024, n°24/03920.

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