Fausses annonces, sous-locations illégales : les plateformes de location engagent leur responsabilité. Par Laura Godfrin, Avocate.

Fausses annonces, sous-locations illégales : les plateformes de location engagent leur responsabilité.

Par Laura Godfrin, Avocate.

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Alors que les arnaques à la location et locations illégales ne cessent de se multiplier - en témoignent les nombreuses mises en garde des associations de protection des consommateurs -, se pose avec d’autant plus d’intérêt la question de la responsabilité de la plateforme de location du fait des contenus publiés par ses utilisateurs. Ces plateformes doivent-elles être qualifiées d’hébergeur ou d’éditeur de contenus ?

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C’est à cette épineuse question qu’ont répondu le tribunal judiciaire et la Cour d’appel de Paris dans deux décisions rendues en ce début d’année à propos des plateformes Airbnb et Abritel.

Lecture croisée des décisions Airbnb (CA Paris, 3 janv. 2023, RG 20/08067) et Abritel (TJ Paris, 21 févr. 2023, RG 11-21-001343).

Qualification juridique des plateformes de location : peuvent-elles se prévaloir du statut d’hébergeur ?

Rappelons tout d’abord les termes du débat. L’article 6 de la Loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), issu de la Directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, prévoit que le prestataire qualifié d’hébergeur (par opposition au prestataire qualifié « d’éditeur ») peut se prévaloir d’un régime de responsabilité limitée, largement convoité par les plateformes.

Et pour cause : alors que l’éditeur voit sa responsabilité engagée en fonction des règles de droit commun applicables aux contenus publiés sur la plateforme, le prestataire qualifié d’hébergeur n’est quant à lui pas responsable des contenus, sauf s’il est démontré qu’il a eu connaissance du caractère illicite d’un contenu mis en ligne par un utilisateur et n’a pas agi promptement pour le retirer ou rendre l’accès impossible.

Pour tracer la frontière entre le statut d’éditeur et celui d’hébergeur, les tribunaux font appel à un critère constant, celui du rôle actif joué par le prestataire vis-à-vis du contenu, de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données stockées [1].

En résumé, il s’infère de ce qui précède que :

  • soit le prestataire a un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance du contenu, et il sera qualifié d’éditeur ;
  • soit le prestataire n’a au contraire pas de rôle actif vis-à-vis du contenu et il sera qualifié d’hébergeur.

La qualification éditeur/hébergeur s’effectue sur la base d’une appréciation factuelle et casuistique des éléments versés aux débats. La caractérisation du rôle actif suppose ainsi d’étudier de manière précise le fonctionnement du site et ses conditions générales d’utilisation. Plus le degré d’intervention du prestataire dans le processus de publication de données sur son site est important, plus il est aisé de caractériser le « rôle actif » du prestataire et d’engager sa responsabilité en sa qualité d’éditeur.

Dans les deux affaires « Airbnb » et « Abritel », les juges sont unanimes : les plateformes de location ne sont pas en mesure de se prévaloir de la qualité d’hébergeur. S’agissant en premier lieu de la plateforme Airbnb, les juges d’appel mettent en exergue plusieurs indices permettant de caractériser le rôle actif de la plateforme, parmi lesquels l’intervention de la plateforme dans le contenu des annonces (via les contraintes strictes imposées à ses utilisateurs) et dans le service après-vente (décision unilatérale de remboursement durant la crise sanitaire notamment), ainsi que l’imposition à ses utilisateurs de règles strictes (respect des « valeurs de la communauté »).

Les juges d’appel insistent également sur la mise en place d’un système de récompense pour les utilisateurs respectant le mieux les consignes de la plateforme et, au contraire, d’un dispositif de sanction en cas de non-respect de ces règles (retrait du contenu et/ou pénalités, suspension du compte etc.).

S’agissant en second lieu de la plateforme « Abritel », le tribunal souligne dans le même sens le rôle prégnant de la plateforme dans la diffusion des annonces (notamment en validant l’inscription des propriétaires, en fixant le contenu des annonces, en édictant des consignes permettant d’en optimiser l’efficience, ainsi qu’en se réservant le droit discrétionnaire d’évaluer la pertinence des annonces publiées par rapport aux conditions générales), ainsi que la mise en place par la plateforme d’outils permettant de fluidifier le traitement financier des annulations [2].

Conséquence de la qualification d’éditeur : quelle faute pour quelle réparation ?

Première étape franchie pour les demandeurs : les plateformes de location Airbnb et Abritel sont donc bien responsables des contenus publiés sur leur plateforme. Mais de quoi sont-elles concrètement responsables ? Bien que l’étendue exacte de leurs obligations fasse encore l’objet d’une construction jurisprudentielle, les affaires ici commentées sont d’autant plus intéressantes qu’elles portent sur des faits fautifs distincts d’une affaire à l’autre.

S’agissant de l’affaire « Abritel », les demandeurs mettaient en cause la responsabilité de la plateforme après avoir été victimes d’escroqueries à la suite de la publication d’annonces fictives. Les annonces en question figuraient sur un encadré ajouté par incrustation sur les pages de la plateforme Abritel, dans un emplacement normalement réservé à une photo.

Immédiatement, le tribunal prend soin de souligner que la plateforme, même qualifiée d’éditeur, ne peut être tenue des mêmes responsabilités qu’un professionnel du voyage.

Selon les juges, cette solution relève de « l’évidence », la plateforme jouant le simple rôle d’intermédiaire entre bailleurs et locataires. Le tribunal rejette ensuite l’argument fondé sur les pratiques commerciales trompeuses telles que définies à l’article L121-2 du Code de la consommation : les demandeurs soutenaient que ces pratiques étaient caractérisées dès lors que figuraient sur son site des fausses annonces alors même que la plateforme se présentait comme une plateforme de « confiance » garantissant une « sécurité optimale ».

Le tribunal explique toutefois que la plateforme est dans l’impossibilité de garantir une sécurité absolue, celles-ci ne pouvant prédire les comportements de ses utilisateurs.

Le tribunal recherche ensuite si le site a malgré tout commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité civile. Sur ce point, le tribunal juge en premier lieu que les escroqueries n’ont pas pour origine principale une faute ou un dysfonctionnement de la plateforme mais insiste au contraire sur les comportements imprudents de la majeure partie des demandeurs.

Mais finalement, c’est le dernier argument tenant « aux ambigüités » de la plateforme Abritel qui emporte la conviction des juges. En effet, le tribunal souligne que la plateforme Abritel est tenue d’assurer une obligation d’information et de conseil, notamment sur les dangers et les vulnérabilités de présentent une telle plateforme automatisée de mise en relation. Or, les juges constatent qu’aucun avertissement général ne figure sur le site pour mettre en garde l’utilisateur sur les risques de parasitage de contenus.

Dans le même sens, ils soulignent que, bien que des messages de sécurités soient publiés sur la plateforme, ceux-ci ne sont pas suffisamment mis en exergue, sont mélangés à d’autres informations et ne figurent pas dans la rubrique d’aide. Enfin et surtout, le tribunal reproche à la plateforme d’avoir entretenu une ambiguïté quant à la possibilité laissée aux utilisateurs d’utiliser d’autres outils que ceux offerts par la plateforme s’agissant des réservations et des paiements.

Par conséquent, même si les demandeurs ont largement participé à leur préjudice par des comportements imprudents, le tribunal considère que la plateforme est également à l’origine du préjudice. Et la responsabilité d’Abritel est évaluée à 40% du montant des sommes payées par les demandeurs aux « faux propriétaires ». L’action regroupant une soixantaine de demandeurs, Abritel est finalement condamnée à un montant global d’un peu plus de 100 000 euros.

S’agissant de l’affaire « Airbnb », la Cour d’appel de Paris a confirmé, dans sa décision du 3 janvier 2023, la condamnation de la plateforme pour avoir, en tant qu’éditeur, « largement contribué » à l’infraction commise par une locataire qui avait sous-loué illégalement son logement.

Après avoir écarté la qualification d’hébergeur revendiquée par la plateforme, la cour affirme en effet qu’il « lui appartenait de s’assurer du caractère licite des annonces publiées sur son site ». Plus concrètement, la cour juge que, puisque la plateforme procède déjà à des contrôles aléatoires de l’identité des « hôtes », il lui était parfaitement possible de rendre ce contrôle systématique et même de le doubler d’un contrôle des droits de l’annonceur à disposer du bien qu’il propose à la location touristique. Or, en s’abstenant d’un tel contrôle, la plateforme commet une faute.

La cour en déduit que Airbnb doit être tenue solidairement responsable du préjudice économique subi par le propriétaire du bien ayant fait l’objet d’une sous-location illicite via la plateforme. Les juges d’appel condamnent ainsi Airbnb solidairement avec le locataire à verser au propriétaire la somme de 32 399,61 euros (somme correspondant à la différence entre les loyers perçus par le propriétaire et les sous-loyers perçus par l’auteur des locations illicites). Une condamnation risquée qui pourrait ouvrir à la voie à d’autres actions contre la plateforme.

A noter que la décision est en cela étonnante qu’elle semble faire peser sur la plateforme de location une lourde obligation de surveillance générale de l’ensemble des annonces stockées. Dans l’affaire « Abritel » au contraire, les juges de première instance soulignaient à plusieurs reprises le rôle d’intermédiaire de la plateforme, rendant impossible un contrôle de l’ensemble des comportements des utilisateurs.

La sévérité de la solution « Airbnb » s’explique en réalité très probablement par les faits du litige. Les juges d’appel insistent en effet sur le fait que la faute de la plateforme est d’autant moins contestable en l’espèce que le nombre particulièrement élevé des sous-locations pratiquées par l’utilisateur de la plateforme aurait dû attirer l’attention d’Airbnb quant à la nécessité de s’assurer du caractère licite de son activité.

Bien que l’étendue exacte des obligations incombant à une plateforme de location qualifiée d’éditeur méritent encore quelques précisions qu’apportera la jurisprudence, il résulte de ces deux affaires qu’une telle plateforme est à tout le moins tenue à une obligation de vigilance - le respect d’une telle obligation lui imposant, d’une part, le respect d’une obligation d’information renforcée et la mise en place a priori de mesures permettant d’éviter la diffusion de contenus illicites et, d’autre part, la surveillance des contenus dont l’illicéité transparaitrait des informations portées à la connaissance la plateforme.

L’étau se resserre pour les plateformes de locations… désormais soumises aux nouvelles obligations du Digital Services Act.

A noter qu’il ne s’agit pas la première condamnation pour Airbnb. Par un jugement rendu en la forme des référés le 1er juillet 2021, Airbnb a ainsi été déclaré responsable de ne pas avoir affiché les numéros d’enregistrement des déclarations sur les annonces parisiennes des locations meublées touristiques sur le fondement de l’article L324-2-1 du Code du tourisme [3]. La sentence tombe : Airbnb est condamnée à une amende civile de plus de huit millions d’euros. Puis à peine trois mois plus tard, c’est ensuite au tour de la plateforme Booking d’être condamnée sur le même fondement à une amende civile de plus d’un million d’euros [4].

Dans les deux cas, les juges rejettent l’argument opposé par les plateformes tiré du fait que leur service devait être qualifié d’hébergeur, et donc bénéficier du régime de responsabilité allégé prévu par la LCEN. Au contraire, les juges retiennent que tant Airbnb que Booking jouent bien un rôle actif de nature à leur confier une connaissance des données stockées.

Toutes ces décisions illustrent donc la difficulté pour les plateformes de location à se prévaloir du statut tant convoité d’hébergeur. Ce débat perdurera-t-il malgré l’entrée en vigueur du règlement sur les services numériques (Digital Services Act ou DSA) ?

Assurément, puisque le DSA ne revient pas sur la distinction hébergeur et éditeur de contenus, telle que posée par la Directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique.

Mais si le DSA entérine le statut d’hébergeur, il convient de rappeler que le règlement fixe dans le même temps un ensemble de règles visant à responsabiliser les plateformes numériques et lutter contre la diffusion de contenus illicites ou préjudiciables, auxquelles les plateformes de location devront se conformer. La sous-catégorie des « places de marché » (définies comme des plateformes en ligne permettant aux consommateurs de conclure des contrats à distance avec des professionnels) font en outre l’objet d’obligations complémentaires spécifiques de traçabilité des professionnels, de « compliance by design », ainsi que des obligations accrues d’informations.

Enfin, il est intéressant de souligner que les plateformes de location ne sont pas étrangères à la qualification de « très grandes plateformes en lignes », définies comme les services comptant plus de 45 millions d’utilisateurs actifs par mois dans l’Union Européenne, et auxquelles la nouvelle règlementation impose des obligations plus contraignantes.

En effet, alors que la Commission vient de publier une première liste des opérateurs entrant dans cette qualification, a notamment été désignée comme telle la plateforme de location Booking.

Laura Godfrin, Avocate au barreau de Paris
Momentum Avocats

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Notes de l'article:

[1CJUE 12 juill. 2011, aff. C-324/09 (L’Oréal e.a./eBay international e.a.) ; Cour de cassation - Chambre commerciale 1 juin 2022 - n° 20-21.744 (Fédération Française de Football/Ticketbis SL.

[2A noter que le Tribunal judiciaire de Paris a déjà eu l’occasion de retenir la qualification d’hébergeur de la plateforme Booking (TJ Paris, 18 oct. 2021, RG 21/5248).

[3TJ Paris, réf., 1er juill. 2021, RG 19/54288.

[4TJ Paris, 18 oct. 2021, RG 21/52480.

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